Un club de pétanque menacé d’expulsion

Le 29 septembre 2022, le Club Lepic Abbesses Pétanque (CLAP) apprend que la Mairie de Paris cherche à l’expulser. Malgré l’appel à projet pour reprendre le terrain sur lequel il siège depuis plus de 50 ans, les boulistes continuent d’exister presque comme si de rien n’était. (Par Tibor Turpin)

En haut des marches interminables de la station Lamarck-Caulaincourt, et des nombreux escaliers du quartier de Montmartre, se trouve le Club Lepic Abbesses Pétanque (CLAP). Au début de l’avenue Junot, avant de pénétrer à l’intérieur du Maquis de Montmartre, une grande affiche « Touche pas à mon CLAP » est visible. Depuis septembre, l’institution vieille de 50 ans est menacée d’expulsion par la Mairie de Paris. Basés à la même adresse depuis 1972, les boulistes n’abdiquent pas et comptent bien continuer leur vie associative comme auparavant.

L’esprit de compét’

« On commence un jour ? » lance une compétitrice. Aussitôt Gilles, l’organisateur du tournoi inter-Clap s’élance au milieu des terrains. Le tirage au sort est fait, toutes les équipes doivent affronter trois adversaires avant de savoir si elles se qualifient pour les demi-finales. Pendant toute la journée, dans une ambiance calme et heureuse, 18 doublettes se rencontrent. L’ordre du jour, uniquement des équipes mixtes. 

Ce qui fait d’ailleurs la force du CLAP, c’est sa diversité. Ici sur près de 300 licenciés, un tiers sont des femmes. Une fierté pour Gilles : « Aucun autre club n’a autant de licenciées féminines qu’ici. Et on en profite. Il y a quelques semaines dans un tournoi, nous avons fait exprès de n’inscrire que des équipes féminines. Elles sont allées jusqu’en demi ! En face, ils étaient verts. » 

Les tournois sont l’occasion pour tous de mettre en pratique les semaines, mois ou parfois années d’entraînement. Marie témoigne : « Il s’agit de mon premier concours. Mais je suis au club depuis sept ou huit ans. » C’est via son mari qu’elle rejoint le club. « Jean-Marc est inscrit au CLAP depuis 1995 », détaille-t-elle. Malheureusement, la chance du débutant ne l’accompagne pas, ils seront éliminés dès le premier tour mais Marie garde le sourire. « Ça se passe bien ton premier tournoi ? » lui demande une autre compétitrice. « Bah écoute, oui je perds », répond-elle en rigolant.

« Tu joues comme une pipe ! »

D’autres en revanche sont là avec un objectif clair : La victoire. Christophe, surnommé « Le Stéphanois », n’est pas inquiet. Assis au bord des terrains après sa première victoire de la journée, le soixantenaire se remémore ses années dans la Loire. « Le niveau n’est pas le même à Paris. À l’époque, j’avais fait cinq demi-finales départementales d’affilée. » Arisoa, l’une des plus jeunes du club, est sur le même état d’esprit que son coéquipier. « Il faut au moins que l’on récupère notre mise d’inscription, comme à chaque tournoi. »

« On a accéléré la cadence » glisse discrètement l’un des boulistes aux quelques spectateurs venus voir son match. Certains matchs sont plus expéditifs que d’autres, ce qui permet aux plus rapides de se restaurer à la manière du CLAP. Véro qui est aux commandes de la buvette, orchestre presque tout. Elle qui participe aussi au tournoi alterne entre les parties et le service. Baguettes de pains, assiettes de fromages et pâtés, les participants sont aux anges. Cet esprit fédérateur est presque l’aspect le plus important pour le club. 

Un club familial 

Les exclamations des joueurs se font entendre jusqu’en dehors de l’enceinte des terrains. À chaque partie, un panel de commentaires, positif ou négatif, est déployé : « Tu joues comme une pipe ! » ou « On ne va pas leur donner du caviar à chaque point  ! » peut-on entendre suivi des rires du public ou de l’équipe adverse. Le bruit des boules résonnent au rythme des vannes et la maîtrise de la répartie est nécessaire pour tenir tête aux plus moqueurs. 

Par moment, les huit terrains de pétanque ressemblent presque à une cour de récréation. Ici tout le monde se connaît, et chacun joue à ce qu’il veut. Certains viennent contempler les boulistes en jouant aux cartes. Chaque jour, les mêmes visages sont reconnaissables. Au même emplacement, sous les rayons du soleil, un groupe de cinquantenaire s’amuse au tarot ou à la belote. 

Plusieurs spectateurs viennent observer les boulistes s’exercer.

Eric, 60 ans, vient au CLAP depuis 15 ans pour le plaisir de retrouver ses amis dans un cadre extraordinaire : « Je suis arrivé par hasard grâce à une connaissance, et je suis tombé amoureux du lieu. » L’ancien journaliste raconte avec une belle nostalgie ses premières expériences. Après plusieurs anecdotes concernant le mouvements d’Action Directe qu’il avait dû couvrir ou les faits divers qu’il devait suivre, il explique pourquoi il reste au club après tant d’années : « Ça n’existe plus des lieux comme celui-ci. C’est très étonnant de se retrouver entre ancien voyou, bobo ou prolo. C’est la magie du CLAP. »

Lui qui n’aime pas particulièrement la pétanque et qui se trouve même « plutôt médiocre » dans la discipline se soucie de l’avenir de son club. « Je suis inquiet de l’avenir du CLAP, évidemment. Il y a un équilibre remarquable ici, c’est un lieu de partage qu’il ne faut pas perdre », avoue-t-il.

« Ça n’existe plus des lieux comme celui-ci »

Les boulistes représentent beaucoup dans le XVIIIème. Max, qui connaît l’histoire du CLAP du bout des doigts, prend un plaisir fou à raconter certaines anecdotes du club. Les quelques commerçants du quartier qui jouaient à la pétanque dans les années 60 se faisaient virer des squares par les mamans. Elles jugeaient la pratique trop dangereuse près de leurs enfants. 

Tout y passe pendant son récit, l’installation des pétanqueurs sur ce lieu via une proposition de la Mairie de Paris, l’héritage de l’ancien terrain du peintre Félix Ziem, les potins propres au quartier, les personnes connues qui passent au CLAP et même les précédentes batailles juridiques du club. 

Dans les années 80, un projet de construction de parking à l’emplacement des terrains de pétanque avait déjà menacé le club d’expulsion. La végétation, intouchable sur la propriété avait été abimée pendant la nuit par les potentiels futurs acheteurs. En réponse plusieurs personnalités  telles que Pierre Richard, Robert Sabatier, Ghislaine Thesmar ou Daniel Vangarde s’étaient accrochées aux arbres. Le résultat fut positif en faveur du CLAP et le club resta en place. 

Clap de fin ? 

Bis-repetita depuis septembre dernier. La Mairie qui a installé le club en 1972, veut désormais l’expulser. C’est d’ailleurs dans les journaux que les licenciés apprennent la nouvelle, une première mauvaise surprise. Au fur et à mesure que la direction prend connaissance de la demande, cela va de mal en pire.

« On sera limite des animaux de cirque au milieu des nanas en escarpins »

Le Maquis de Montmartre sur lequel réside le club est classé depuis 1991 en tant que site pittoresque et historique. Impossible, sauf procédure exceptionnelle, de restaurer, construire ou détruire les monuments présents sur place. Pourtant les projets retenus par la Mairie de Paris pour la suite surprennent les pétanqueurs. 

En plus de leur dossier, le CLAP doit faire face à plusieurs grosses institutions. Promotrain, l’entreprise qui s’occupe du tourisme à Montmartre, une filiale du groupe Accor, une agence immobilière, et l’Hôtel Particulier veulent tous reprendre le terrain. Dans les quatre cas, l’objectif est le même : capitaliser sur un terrain qui coûte cher. Des potentiels projets qui rendent fou Max. 

« On sera limite des animaux de cirque au milieu des nanas en escarpins », explique-t-il. Malgré l’épée de Damoclès au-dessus de sa tête, le club continue d’exister. Face aux remontrances de leurs concurrents, le CLAP répond présent à chaque fois. Plus qu’un club, il s’agit d’une association à but non lucratif. Les licences servent à organiser les tournois, payer la Fédération Française de Pétanque et de Jeu Provençal et entretenir la flore précieuse du lieu. Pour toutes ces tâches, aucun salarié, tous les membres de la direction sont bénévoles. 

Christophe lui n’est pas inquiet : « Ils nous auraient déjà virés. Ils ne peuvent rien faire. » Le verdict devrait tomber entre mi-mai et début juin. Même s’ils sont confiants, les dirigeants du CLAP savent qu’ils feront appel si le résultat n’est pas en leur faveur. Pour eux, une chose est sûre : hors de question que le club disparaisse ou change de lieu.

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