L’association “ATMP” à Saint-Etienne vient en aide aux personnes en difficultés placées sous mandat de curatelle ou tutelle par la justice. Immersion dans le quotidien de deux mandataires, une profession mal-connue confrontée à l’urgence sociale.  

Il est 8h. Anaïs Paillasson, 31 ans, récupère sa voiture. C’est le début d’une journée marathon pour la mandataire. La première visite du jour, une dame âgée qui vit seule. L’un de ses enfants lui réclame régulièrement de l’argent, elle l’aide financièrement quitte à ne pas pouvoir subvenir à ses propres dépenses. L’objectif du rendez-vous est de faire un point mensuel sur ses besoins mais sa curatrice doit lui annoncer une mauvaise nouvelle. “Je ne sais pas comment je vais lui annoncer ça…”

Anais Paillasson, mandataire de justice rend visite à une dame sous mandat de protection

La porte s’entrouvre, la dame est en robe de chambre rose : “Je ne vous attendais pas si tôt“ dit-elle en souriant à sa curatrice depuis plus de 5 ans. Elles prennent place autour de la table de la salle à manger, sur le buffet on distingue la photo de son mari décédé quelques années auparavant, l’un des principaux évènements à l’origine de sa solitude.

Anaïs Paillasson sort son ordinateur et lui demande ce dont elle a besoin. “ Il faut apprendre à penser à vous. Vous avez le droit, vous n’avez pas grand-chose dans vos placards”. “ Oh vous savez, j’ai ce qu’il me faut” lui répond-t-elle. La mandataire lui présente un catalogue « L’âge d’Or » pour lui proposer de commander des vêtements pour l’été. La femme finit par porter son choix sur un gilet et une robe bleue, sa couleur préférée. La jeune mandataire achève l’entretien par évoquer la mauvaise nouvelle : une lettre des huissiers de 2800 euros concernant les loyers impayés de son fils dont elle s’est portée garante. “En tant que curatrice, j’aurai dû co-signer, vous ne pouviez pas vous porter garante seule” lui explique-t-elle. 

Audio : La mandataire rassure la dame qu’elle visite

Après ce rendez-vous à domicile, direction les bureaux de l’association. Une autre personne sous protection l’attend. Il s’agit d’une femme, elle arrive difficilement à marcher, elle s’effondre en pleure en voyant sa mandataire arriver. “J’ai de très fortes douleurs aux jambes depuis ce matin” lui dit-elle. 

Siège de l’Association des mandataires de justice ATMP : Association tutélaire des majeurs protégés

“Je ne peux pas vous laisser comme ça, on part tout de suite, venez” . Changement de plan, Anaïs Pallaisson décide de la conduire aux urgences de l’hôpital et annule tous ses rendez-vous. La mandataire restera à son chevet jusqu’à la fin de la journée.

“dans ce métier, on ne fait pas que gérer une situation financière, on s’occupe de l’humain.”

Au même moment, Laurianne Francavilla, une autre mandataire de l’association part rendre visite à une femme victime de violences conjugales. Elle la suit pour une mesure de curatelle depuis plusieurs mois. “Je suis dans l’impasse avec cette dame” confie-t-elle inquiète. Elle essaye de la convaincre d’aller porter plainte contre son compagnon. En arrivant devant la porte de l’immeuble, l’appréhension monte. “C’est la première fois que je vais voir cette dame à domicile, j’ai peur de tomber sur Monsieur, je ne sais pas comment il pourrait réagir face à moi”. 

En rentrant dans l’appartement, les lieux portent les stigmates de scènes de violence, le papier peint est arraché, la chaudière est marquée de traces de coups. La mandataire demande alors à la jeune femme si elle peut visiter l’appartement. L’objectif est de s’assurer que son compagnon ne se cache pas, près à surgir. “Madame, j’essaye de vous faire comprendre le schéma de violence dans lequel vous êtes” lui explique-t-elle. Elle lui présente les moyens qui sont à sa disposition pour agir, elle rappelle l’existence du numéro d’urgence, le 115 pour les violences conjugales. Elle propose de l’accompagner pour porter plainte. “Vous ne le connaissez pas, il est très gentil, il m’a beaucoup aidé quand j’ai été en difficulté” rétorque-t-elle.

Au cours de l’entretien, la jeune femme cède uniquement sur un point, elle veut bien prendre son indépendance et chercher un nouvel appartement, loin de son compagnon. Un échec pour la mandataire. “Ce sont les limites de notre métier, on ne peut pas décider à la place des personnes, c’est ça que les gens ne comprennent pas toujours, on n’a pas toutes les prérogatives, la personne garde son libre arbitre” , explique-t-elle frustrée. 

Laurianne Francavilla profite de son passage dans le quartier pour rendre visite à un homme d’une soixantaine d’années sous curatelle. Elle vient lui expliquer le détail de ses dernières factures. Le problème c’est qu’il souffre de paranoïa. “ Il a usé déjà beaucoup de professionnels et moi aussi je commence à être à bout. Il ne me fait pas confiance, il faut faire preuve d’une grande patience” confie-t-elle.

Interview de la mandataire déléguée référente de l’association

Juste le temps de faire le bilan de sa dernière visite à son assistante au téléphone et Laurianne Francavilla doit déjà repartir. Direction L’ESAT : Un établissement qui œuvre pour l’inclusion des personnes handicapées à travers le travail. Lauriane Francavilla va participer à une réunion « bilan ». Le but est de décider si un jeune homme dont elle s’occupe peut prendre son indépendance et sortir de l’établissement.

Sont présents, un expert psychologue, une orthophoniste et le président de l’établissement. Tour à tour, chacun donne son avis sur la situation du jeune homme. Laurianne Francavilla s’exprime et émet des doutes, comme l’ensemble des autres professionnels sur sa capacité à vivre de manière autonome. “Je suis obligée de poser mon véto, il n’arrive pas à gérer son argent, c’est trop tôt pour un logement indépendant” confie-t-elle. 

Audio : La décision du Président de l’ESAT

La dernière visite à domicile pour la mandataire. Clara, 20 ans. Descolarisée et sans emploi, elle vit seule avec sa mère sur laquelle elle exerce des violences physiques et verbales depuis plusieurs années. Les deux femmes vivent dans un logement qui a été jugé insalubre par les services sociaux. Laurianne Francavilla sa mandataire depuis tout juste un an cherche à l’extraire du domicile familial et à lui obtenir une place dans un centre d’hébergement éducatif dédié aux jeunes en difficulté. Son but est également de la préparer à retourner sur le chemin de l’emploi et de la formation.

Lors de l’entretien, la jeune fille semble à l’écoute des dispositifs mis en place par sa mandataire. Elle prend des notes sur son carnet sur les démarches qu’elle doit effectuer pour la semaine. “Vous comprenez que cette situation ne peut pas durer, il faut agir”. lui dit-elle. Pour la mandataire, ce comportement est un signe d’espoir. “On formule beaucoup d’attentes pour les jeunes, on fait tout pour qu’ils puissent se sortir du mandat de protection et devenir autonomes. Notre métier, c’est aussi avoir foi en l’avenir.”

Quelques définitions

Tutelle : La tutelle s’adresse à une personne majeure ayant besoin d’être représentée dans l’ensemble des actes de la vie courante du fait de la dégradation de ses facultés ou de son incapacité à exprimer sa volonté.

Curatelle : La personne sous curatelle est accompagnée dans certains actes de la vie courante pour une durée limitée. Une mesure d’assistance moins contraignante que la tutelle.

Mandataires à la protection des majeurs : Ce sont des professionnels désignés par le juge et chargés d’assister des personnes bénéficiant d’une curatelle ou tutelle.

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