À l’horizon 2025, le port de Gennevilliers (92) se sera doté d’une usine de méthanisation pour produire du biogaz. Construite par l’entreprise de recyclage Paprec, l’usine permettra de produire de l’énergie renouvelable à l’échelle locale pour les habitants de la Boucle Nord de Seine.
Le premier port fluvial d’Île-de-France possédait déjà depuis 2020 une station de bio-GNV (Gaz Naturel Véhicule) pour remplir le réservoir de certains véhicules en transit dans la zone industrielle de Gennevilliers. Pour ce projet, le SIGEIF (Syndicat Intercommunal pour le Gaz et l’Électricité en Île-de-France) s’était allié avec TotalEnergies. Avec l’usine de méthanisation, l’objectif n’est pas seulement de fournir du gaz, mais aussi de le fabriquer directement. « Dans ce type de dispositif, le méthane, donc le biogaz, ne va pas être produit à partir de ressources fossiles comme le gaz naturel classique, mais avec des déchets alimentaires », décrit Pierre Buffiere, professeur et chercheur à l’Institut National des Sciences appliquées de Lyon.
Pour trouver la quantité de déchets nécessaire au bon fonctionnement de l’usine, le SIGEIF s’est donc tourné vers le Syctom, le service public de traitement des déchets ménagers en Île-de-France. L’investissement des déchets ménagers dits « fermentescibles », dont la fermentation va créer du biogaz (déchets alimentaires, herbes, bois) dans la future usine est une bonne nouvelle pour Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers (PCF). « À partir de 2025, une loi va imposer aux collectivités locales de collecter les biodéchets, donc la question de leur traitement se posait. Ça nous semblait cohérent de traiter les restes des cantines et des marchés via le port et de réinjecter le gaz produit dans le réseau », se souvient l’édile. À terme, l’usine de méthanisation devrait pouvoir produire 30 GWh (gigawattheure) par an de biométhane, soit la consommation en gaz de 5000 foyers.
De la terre à la terre
Avant d’être utilisés dans une centrale de traitement, les déchets doivent être préparés, pour retirer tout indésirable (cailloux, morceaux de verre, restes de plastique, etc). Les déchets alimentaires vont ensuite être mis à fermenter dans une cuve géante, le digesteur, et produire un mélange de gaz : environ 70% de méthane, du dioxyde de carbone et un peu de sulfure d’hydrogène. Pour pouvoir être injecté dans le réseau de distribution, le mélange de gaz doit être purifié en ne gardant que le méthane afin de ne pas abîmer les tuyaux. « L’avantage, c’est qu’après purification, on obtient un vrai clone du gaz naturel, utilisable dans toutes les installations qui fonctionnent au gaz sans avoir à changer de brûleur », explique Pierre Hirtzberger, directeur général des services techniques de Syctom.
Impossible pour l’instant de savoir à quels Gennevillois et résidents des villes voisines profitera la production de l’usine : l’opérateur gazier qui rachètera le biogaz pour le vendre ensuite à ses clients n’a pas encore été choisi. Une fois le gaz récupéré, la « soupe », appelée digestat, que seront devenus les déchets après fermentation aura aussi le droit à une nouvelle vie. « Le digestat sera transporté par les barges du port de Gennevilliers en dehors de l’Île-de-France jusqu’aux zones de grande culture dans l’Eure et en Eure-et-Loir pour servir d’engrais », précise Pierre Hirtzberger. Les restes de légumes permettront donc d’en faire pousser d’autres, en plus de produire du biogaz.
Crues et explosions
La Seine a parfois la manie de sortir de son lit. Traumatisées par la grande crue de 1910, de nombreuses communes du bord de Seine, dont Gennevilliers, ont un PPRI (Plan de prévention du risque inondation) particulièrement exigeant. « Les éléments sensibles doivent être construits au-dessus de la côte de 1910, soit 8,62 mètres. Paradoxalement, le port est probablement le seul endroit de Gennevilliers complètement au-dessus des risques d’inondation, puisqu’il a été construit après 1910 », note Patrice Leclerc. Le projet d’usine a été validé par le préfet de la Seine-Saint-Denis après une évaluation des risques, et toutes les mesures nécessaires ont été prises, selon Syctom. « Le terrain fait 17 000 mètres carrés, mais le site n’en fera que 14 000, justement pour avoir une marge si l’eau montait. En cas de crue vraiment exceptionnelle, l’arrêt complet de l’usine serait bien sûr envisagé », affirme le directeur général des services techniques.
Quand on lui parle de l’explosion d’un méthaniseur en 2019 à Plouvorn, en Bretagne, le maire de Gennevilliers s’inquiète. « J’espère que l’État ne laisserait pas construire une installation qui risque d’exploser au pied de l’A15, ce serait de l’irresponsabilité ! », s’indigne l’élu. Sur ce sujet, Syctom tient également à rassurer. « Comme pour toute installation qui contient du gaz, il y a un certain nombre de dispositions prises pour éviter tout scénario d’accident industriel », souligne Pierre Hirtzberger. Une torchère pour brûler le gaz qui ne peut pas être injecté dans le réseau et un système d’évent sur le toit du digesteur afin d’éviter tout problème de surpression sont prévus dans la construction de l’usine. Peut-être des leçons tirées de l’accident de Lubrizol (76)…

De l’eau dans le gaz
Le port de Gennevilliers souhaite aussi construire pour fin 2024 un entrepôt de 600m de long et 35m de haut pour maximiser le trafic fluvial alors que la zone industrielle est déjà pleine. Ce projet, Green Dock, ne plait pas vraiment aux villes voisines. « On souhaite obtenir un classement en zone naturelle régionale urbaine, mais si demain on a un bâtiment gigantesque qui vient s’implanter, ça va créer un désordre dans la biodiversité », soupire Eugénie Ponthier, élue adjointe à l’écologie urbaine d’Épinay-sur-Seine.
Elle s’inquiète également pour la zone classée Natura 2000 de l’Ile-Saint-Denis, une autre ville proche du port de Gennevilliers. Le parc, qui abrite des espèces protégées comme le grand cormoran ou le martin-pêcheur, est situé juste en face du futur entrepôt XXL. « Si on me prouve le danger pour la zone Natura 2000, le projet ne se fera pas », assure Patrice Leclerc. Sollicité à de nombreuses reprises par notre rédaction, Haropa Port, établissement responsable du port de Gennevilliers et du projet Green Dock, n’a pas souhaité nous répondre.