Alors que le plan de financement de la sécurité sociale pour 2023 vient d’être passé avec l’utilisation du 49.3, il fait déjà grincer des dents. Ce vent de colère souffle depuis les murs de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), qui craint déjà que rien ne bouge pour la protection des enfants.
Toute une partie du budget 2023 est consacré à la « famille », mais il n’y a rien pour ceux qui doivent s’en éloigner à tout prix. « La maltraitance, les violences sexuelles, la violence des parents, celle des enfants, le handicap, la psychiatrie et les troubles mentaux » voici ce à quoi sont confrontés les métiers de la protection de l’enfance nous explique Mathieu, éducateur spécialisé (pour des questions d’anonymat, le nom a été changé à la demande de la source). Il travaille depuis plus de 20 ans dans le secteur de la protection de l’enfance. Il dénonce une volonté du gouvernement depuis des années de « conserver les liens avec la famille » même lorsque celle-ci s’avère être un danger pour l’enfant.
Dans ce nouveau plan de financement annoncé par le Gouvernement, une clause est dédiée à l’accueil de l’enfant dans la famille après leur naissance mais aucune ne prête attention aux enfants polytraumatisés de l’ASE. Une réforme importante est attendue concernant le libre choix du mode de garde (CMG) des enfants de moins de 6 ans, ainsi que la valorisation du métier d’assistant maternel. Pour les services de protection de l’enfance, silence radio.
Il y a urgence
« La partie budgétaire réservée à l’ASE est dérisoire face à ses besoins, elle va conduire à la perte de l’efficacité de ses services » déplore Hassna Moummad, coordinatrice parentalité. Après les annonces du gouvernement concernant le Plan de Financement de la Sécurité Sociale 2023 (PLFSS2023), on a beau sortir les pelles et les pioches, aucune info sur le budget alloué à la protection de l’enfance. Pour répondre à ces questions, Charlotte Caubel, secrétaire d’État auprès de la première ministre, chargée de l’Enfance, n’a pas souhaité répondre.
Face à la gravité de la situation, le budget est inadapté. Même si certains s’acharnent à dire que l’ASE est responsable de placements abusifs, ils sont en réalité débordés par le nombre d’enfants en attente de placements. Ces enfants représentent parfois un danger pour leur environnement, ou sont mal placés par rapport au milieu duquel ils sont issus (personnes du spectre autistique, enfants polyhandicapés dans un foyer précaire). Ils peuvent aussi, dans la majorité des cas, être victimes de violences intrafamiliales. Le 31 mars 2022, le nombre de victimes d’inceste en France était de 160 000 enfants selon la Comission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. En 2021, plus de 50 000 enfants et adolescents étaient victimes de violences physiques dans leur cercle familial (source : Justifit). Lorsque un signalement est fait, la procédure veut qu’une enquête soit ouverte et que l’enfant soit éloigné de son foyer pour son bien. Il dispose alors de l’étiquette « d’enfant placé ». Lorsqu’il ne l’est pas, il risque alors sa propre vie. En 2018, une étude a démontré qu’un enfant décède tous les 5 jours à la suite de maltraitance au sein de sa famille (source : Justifit). Une fois placés ces violences laissent des séquelles et les enfants traumatisés ont besoin d’un suivi psychiatrique et médical conséquent. Face au manque de moyens et de personnel, la situation reste figée. « Sans suivi, ces enfants ne se sortent pas de l’environnement toxique dans lequel ils ont grandi » explique Mathieu. Un quart des SDF ont grandi en tant qu’enfant placés selon la Fondation Abbé Pierre.
Grèves, COVID, enquêtes : un service en panique
« Ça me met en colère parce que ce sont les enfants qui trinquent » fustige Mathieu. En effet, les services sont saturés depuis la pandémie de Covid-19. Selon l’ONPE (Observatoire National de la protection de l’Enfance), le nombre d’enfants placés était de 308 000 en 2020 alors qu’il était de 299 801 en 2016. Il avait cependant explosé en 2019 lors de la pandémie et était monté à 312 689. Le confinement a exacerbé les violences intra-familiales en « enfermant les enfants avec leurs bourreaux » explique Mathieu. Au sein de son département, près de 250 enfants attendent d’être placés. « Les délai sont de plus en plus longs, les enfants sont placés de plus en plus tard et ils en sortent de plus en plus traumatisés. » Pour les métiers de la protection de l’enfance, plus tôt l’enfant est pris en charge, et plus il multiplie ses chances de pouvoir accéder à une meilleure insertion. Le travail en psychiatrie est long et compliqué lorsqu’il s’agit de mineurs de plus de 15 ans.
La prime COVID Segure allouée pour le personnel médico-social manque également à l’appel pour les acteurs de la protection de l’enfance. « La plupart des éducateurs qui ont assuré leur poste durant le confinement n’ont pas vu un centime de la prime Segure contrairement aux cadres et aux chefs qui sont restés sagement chez eux, au chaud » s’indigne Mathieu. Pendant le COVID, il était réquisitionné par le département pour aller travailler. Il s’exposait alors sans masque à l’époque au risque de contamination et devait rentrer chez lui le soir avec sa famille. Une mission qu’il a pourtant tout de suite acceptée.
Une prime oubliée qui a poussé les salariés, département après département, à se mettre en grève. « Les salaires faibles et les conditions de travail font que le seul moyen d’être entendu, aujourd’hui c’est la revendication de nos droits, la demande de reconnaissance et cela passe par la grève » s’insurge Hassna. Avec un salaire trop faible pour les tâches confiées, l’attractivité de ce métier s’amenuise. Cependant quand les services de la protection de l’enfance sont en grève, ce ne sont pas les directeurs des départements qui le subissent mais les enfants.
M6 a récemment sorti une émission sur les services de l’ASE. « Zone Interdite : Famille d’accueil, Hôtels sociaux : le nouveau scandale des enfants placés ». À l’aide d’une caméra, le spectateur se retrouve embarqué au cœur d’un département du Nord. Les actes filmés du personnel de l’ASE sont répréhensibles pénalement. Certains se plaignent alors que les médias dépeignent essentiellement une mauvaise image du métier. Même si ce qui y est décrit est immonde, il dépeint une réalité du terrain. Les assistantes familiales ne sont plus assez formées par manque de budget et de temps. Le personnel formé est alors maltraitant et se développe une nouvelle forme de méfiance vis-à-vis de l’ASE. Où va-t-on si l’on sort des enfants de leurs foyers toxiques pour les reléguer dans un autre ?