
Avec des prix qui ne cessent d’augmenter, le pouvoir d’achat des Français ne fait que décroitre. Mais pour préserver leur pouvoir d’achat, certains politiques de gauche demandent une indexation des salaires sur l’inflation. Mais est-ce vraiment possible ?
La hausse des prix. C’est une somme que l’on pourrait nommer d’invisible. Chaque mois, la fiche de paie ne change pas. Pourtant, l’argent que l’on dépense semble s’épuiser plus vite qu’avant. En cause, le prix de l’alimentation, qui a augmenté de 10% en un an. Tandis que l’énergie a grimpé de presque 20%.
Un “choc d’offres” se met en place, et vient freiner la demande. Ce dernier, qui apparaît dans un contexte de guerre et de post-covid, oblige les entreprises à augmenter leurs prix, et donc faire baisser le pouvoir d’achat. Et même si le Smic s’est vu être revalorisé à environ 1300€ net par mois, ce dernier ne permet pas de contrer la forte hausse des prix.
Le projet de loi de finances 2023 n’a pas présenté de plan assez concret pour contrer cette inflation galopante, se plaignent de nombreux partisans de gauche. Une idée, vieille de 70 ans, a alors été proposée : indexer les salaires pour tous.
Ce mécanisme a pour objectif d’augmenter les salaires à hauteur de l’inflation. Par exemple, si l’inflation atteint les 6%, comme aujourd’hui, les salaires devraient aussi augmenter de 6%. Sa première utilisation se fait en 1952, sous le gouvernement d’Antoine Pinay. Une indexation des salaires est alors mise en place, pour lutter contre une inflation des prix de près de 20%. Le Président et son gouvernement font en même temps voter un blocage des prix, et créent le salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig), l’ancêtre du Smic. Mais à la suite de deux chocs pétroliers – en 1973 et 1979 – et avec une inflation qui atteint les 13%, les entreprises décident de réhausser les salaires. Se met en place une spirale inflationniste, aussi appelée “spirale prix-salaire”, dans laquelle la revalorisation salariale encourage l’augmentation des tarifs. En 1983, sous le premier mandat de François Mitterrand, ce mécanisme est supprimé par Jacques Delors, membre du Parti Socialiste et ministre des Finances dans le deuxième gouvernement du Premier ministre Pierre Mauroy, lui aussi membre du PS. Une décision socialiste, qui s’avérera payante, puisque le taux d’inflation ne dépassera plus les 4%. Mais pour ne pas dépasser ce pourcentage, l’accès aux crédits est devenu plus difficile, et les taux d’intérêt ont baissé.
Une indexation, mais pour qui ?
Malgré ces contreparties, les députés de gauche poussent pour la réintronisation de ce système. A l’Assemblée nationale, Pierre Dharréville, député PCF, ne veut pas “qu’on laisse la main à l’employeur, et éventuellement la main à des négociations difficiles” en ce qui concerne les hausses de salaire. Chaque chef d’entreprise est libre de fixer les salaires qu’il souhaite, en les réhaussant ou en les diminuant. Ainsi, en période de crise, une demande d’augmentation de salaire est très compliquée, et l’idée d’une indexation pour tous ne semble pas mauvaise.
Mais pour l’heure, il n’existe qu’une partie de la population qui profite d’une indexation : ceux qui touchent le Smic. “En période de crise, le Smic est le seul salaire qui augmente de façon quasi automatique, en réponse à l’inflation”, explique Aude Loubert, professeure de Sciences Économiques et Sociales au lycée Montalembert de Courbevoie. “Il (le Smic) n’a pas de seuil. S’il augmente, c’est pour protéger le pouvoir d’achat des plus pauvres, en créant une sorte d’indice minimum du pouvoir d’achat”, ajoute-elle. Et s’il est légitime de se demander pourquoi cette idée n’est pas appliquée à tous les travailleurs, la réponse est très simple : le coût qu’engendrerait une telle décision. “Avec une indexation pour tous, les salaires ne feraient qu’augmenter, et par extension, le coût de la main d’oeuvre (…) nous arriverions indéniablement vers une délocalisation totale de cette main d’oeuvre” conclut-elle. Cependant, il arrive que certaines entreprises indexent les salaires des employés quand l’inflation augmente. Cela reste très rare, et surtout très coûteux.
Un pari tenté en Europe
Si la France ne semble pas favorable à cette indexation pour tous, certains de nos voisins européens en ont fait une loi.
Historiquement, le premier pays à l’avoir mis en en place en Europe est l’Italie. En 1947, elle est appliquée au seul secteur de l’industrie. Dix ans plus tard, elle est étendue au domaine de l’agriculture, avant d’être réduite en 1984 puis de totalement disparaître en juillet 1992. De nos jours, seuls cinq pays de l’Union Européenne appliquent l’indexation salariale pour tous. Chypre, Malte, le Luxembourg, le Portugal ainsi que la Belgique. La France, la Slovénie et les Pays-Bas ne l’appliquent que pour le salaire minimum légal. Notre voisin Belge semble voir les premières limites de ce système. En 2022, le Bureau fédéral du plan – qui recense les prévisions d’inflation et calcul l’indexation des salaires – souligne que les loyers et les allocations sociales ont augmenté de 9%, contre 0,99 en 2020. Une envolée qui effraye les spécialistes, et laisse entrevoir un possible début de spirale inflationniste. D’autant qu’au 1er janvier 2023, l’augmentation automatique des salaires atteindra les 10% dans de nombreux secteurs, englobant près d’un demi-million de salariés.
En France, l’indexation pour tous ne reste qu’une idée. Mais elle pourrait continuer d’être débattue dans les prochaines semaines, alors que le plan de loi de finances doit rendre son verdict le 15 novembre.
Bucaille Artur