Table ronde MSF jeudi 6 octobre au Prix Bayeux
Bayeux 2022 Portraits

De la place de la diplomatie dans les opérations de Médecin sans frontières

Au festival du Prix Bayeux, Isabelle Mouniaman-Nara intervient lors d’une table ronde pour évoquer le quotidien d’un Médecin sans frontières en Haïti, elle qui est directrice des opérations. Contrairement aux idées reçues, la journée d’un membre de MSF ne se limite pas au bloc opératoire. Pour être opérationnel sur le terrain et prodiguer des soins adaptés, la partie organisationnelle prend une place souvent bien plus importante. Après son témoignage éloquent, arrive l’heure des échanges.

Isabelle Mouniaman-Nara, directrice des opérations MSF

Ce qui frappe au premier abord chez Isabelle Mouniaman-Nara, c’est sa voix. Un timbre clair, mais grave, un ton sérieux, restant néanmoins convivial. Elle est vêtue simplement, un pantalon et un t-shirt à manche longue de couleurs sombres. Sa coupe garçonne met en valeur ses yeux noisette. Son regard est tendre, mais comporte une grande vigueur. Après la longue et difficile table ronde MSF ‘‘Comment témoigner et secourir dans le chaos Haïtien’’, elle se lève et se couvre d’un anorak orange, révélant une part de gaieté au travers de sa tenue. De la joie, il en faut dans le monde des Médecins sans frontières.

« Être directrice des opérations de MSF, c’est arriver au bureau à 9h, ouvrir ses mails et se dire ‘‘ah bah oui, y’a encore eu une urgence de rougeole au Soudan, la malnutrition qui augmente au Nigéria… Qu’est-ce qu’on envoie ? Cellules de crise, qui y va ? Comment on déploie les choses ?’’ [Elle rigole] C’est bizarre, mais ça parait évident pour moi ! »

L’air joyeux, la directrice des opérations évoque sa routine, bien loin du cliché métro, boulot, dodo. D’abord infirmière « du front », puis cheffe de mission et coordinatrice médicale, Isabelle Mouniaman-Nara part en Haïti en 2006 et y restera presque trois ans. A son retour en 2009, elle devient responsable de programme à Paris et intègre Haïti à son portefeuille de compétences à partir de 2013. En 2016, elle accède au poste de directrice des opérations et l’occupe encore aujourd’hui. Un poste plus sédentaire, qui nécessite cependant une grande expérience et connaissance du terrain afin de bien conseiller, avec le recul nécessaire, les équipes sur place.

Depuis ses missions d’infirmières, son quotidien a évidemment changé. Pourtant, elle continue à se rendre sur place, sur des périodes plus courtes. « Je pars entre 15 jours et 3 semaines, je fais des visites en support pour voir comment se passent les projets. Là, par exemple, je retourne à Haïti à la fin du mois. » Mais Isabelle Mouniaman-Nara ne s’occupe pas seulement d’Haïti. Lorsque l’on travaille au siège, on couvre plusieurs pays. « Haïti est le seul pays dans lequel on intervient en Amérique centrale. On a également une mission au Pérou. Mais en ce qui me concerne, ça va de la Palestine à la Syrie en passant par le Congo, l’Afghanistan, l’Irak, la Jordanie… »

A MSF, lorsque l’on part en mission, le minimum c’est six mois pour des projets un peu stables et réguliers. Sur des projets d’urgence, comme Haïti par exemple, les premières équipes sont envoyées sur un mois, deux mois. Le chef de mission reste lui en moyenne entre un et trois ans. Trois ans étant un peu le maximum pour qu’il y ait du turnover et ne pas épuiser les équipes.

Sur les équipes de Médecin sans frontières, il y a vraiment ceux qui ont les mains dans le cambouis : les infirmières, les médecins, les chirurgiens, les logisticiens – ceux qui s’occupent de l’infrastructure de l’hôpital par exemple -, les spécialistes de l’eau…

Parmi ces différents métiers, il y a le chef de mission qui incarne le chef d’orchestre du terrain. Il est responsable du bon déroulement des missions. De cette façon, il est en contact avec les autorités, négocie les protocoles d’accès… Pour le cas d’Haïti, c’est lui qui téléphone aux gangs et négocie les accès. Isabelle Mouniaman-Nara confirme la grande part organisationnelle des projets. « C’est aussi de l’administration, énormément d’analyse du contexte. Savoir réorienter ou pas les actions, envoyer du renfort, dire « non mais là on fait du stand-by parce que c’est assez calme donc ça roule », ou alors, appel à Paris « là ça ne va vraiment pas, il faut m’envoyer du monde, il faut qu’on aille ouvrir tel ou tel projet, il y eu un cyclone, un tremblement de terre, une épidémie… » Là, il nous faut commander plus de matériel et il y a des gens à Paris qui prennent le relais. »

Bombardements, tremblements de terre, négociations, épuisement des ressources… Dans ce contexte de l’extrême, les équipes doivent, elles aussi, savoir se protéger. Une équipe de psychologues est là pour les épauler, débriefer à chaud et mettre en place des actions pour les équipes mais aussi pour la population.

S’entretenir avec la directrice des opérations de MSF, c’est aussi noter son incroyable recul face aux atrocités qu’elle traite chaque jour. Alors qu’elle devait être le sujet de cette interview, elle ne pouvait pas s’empêcher de parler de la souffrance des populations, laissant la sienne aux vestiaires.

Quand la question de la gestion de ses émotions est abordée, elle répond promptement. « Comme partout, on est triste, on pleure. Après voilà, on vit à Paris, en France, en Europe, on a aussi notre famille, c’est l’équilibre. » Très professionnelle, elle l’ajoute, « si je dois gérer des équipes qui sont en détresse, en souffrance sous les bombes, je ne peux pas me permettre d’être complètement paniquée. D’où l’intérêt d’avoir un siège où les gens qui y travaillent sont hyper expérimentés et peuvent prendre un peu de distance pour calmer le jeu et mettre les choses en perspective. »

Dans trois semaines, Isabelle Mouniaman-Nara retournera en Haïti. A l’heure où le chef de l’ONU, Antonio Guterres, réclame une force armée internationale pour aider l’île à sortir de sa profonde crise, Médecins sans frontières est plus que jamais essentiel. Le renfort de la directrice des opérations de MSF pour coordonner les projets sera donc capital. Mais pour réussir une telle mission, motiver et rassurer les équipes sera la priorité. Car ici et comme toujours, la mission sera claire : faire respecter les droits humains.

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