Alors que la guerre est de retour sur le continent européen, certains s’intéressent déjà à l’après et au besoin de justice. Amnesty International mène, sur toutes les zones de conflit, des enquêtes sur les potentiels crimes de guerre. L’ONG contribue à soutenir le travail de la justice en rapportant les faits et en activant les mécanismes judiciaires compétents. Focus sur l’enquête d’Amnesty International consacrée à l’attaque du théâtre de Marioupol du 16 mars.
Si Amnesty International publie un rapport annuel sur tous les pays du monde, sa présence en Ukraine a logiquement été renforcée au vu de l’actualité. « On est très mobilisés sur ce conflit depuis les premières heures et même avant. Quelques jours avant le 24 février, Amnesty International remettait des rapports pour alerter sur les risques pour la population civile en cas d’ouverture d’un conflit en Ukraine », affirme Tchérina Jerolon, responsable du programme »Conflit, migration et justice » à Amnesty International.
L’association a tout de même renforcé son dispositif d’enquête dans les premières heures du conflit afin d’assurer un travail de documentation et d’information sur la réalité de cette guerre. À ses débuts, ce travail d’enquête s’effectuait seulement à distance : analyse d’images satellites, OSINT, géolocalisation… Malgré l’absence d’enquêteurs sur place, Tchérina Jerolon se félicite de « ce dispositif d’enquête qui, dès le 25 février nous a permis de pouvoir affirmer que la frappe sur Kharkiv était constitutive de crime de guerre. »
Après le travail d’enquête…
C’est ce même dispositif qui permet à Amnesty International d’enquêter sur le bombardement du théâtre d’art dramatique de Marioupol. Une vingtaine de jours après le lancement de ce que les Russes appellent une « opération spéciale », les civils ukrainiens commençaient à fuir leur domicile. Ici, le théâtre servait de refuge aux habitants de cette ville assiégée et lourdement bombardée. Le bâtiment fût même transformé en centre de distribution de biens de premières nécessités. Malgré cela, le théâtre est bombardé par les forces armées russes le 16 mars.
Amnesty International lance aussitôt une enquête afin d’établir les faits et afin de les qualifier juridiquement. Après plus de trois mois d’enquête, de recherches, d’analyses d’images satellites et d’entretiens, l’ONG peut le conclure : cette frappe constituait bien un crime de guerre.
L’organisation s’est d’abord attachée à déterminer la responsabilité de l’attaque. Notamment en faitant appel à un physicien qui a « analysé le poids des bombes pour nous assurer qu’elles provenaint bien des avions des forces armées russes ». Ce travail est également corroboré par « une enquête réalisée au moyen de ressources en accès libre par le Crisis Evidence Lab d’Amnesty International qui a examiné et authentifié 46 photos et vidéos de la frappe rendues publiques sur les réseaux sociaux, ainsi que 143 photos et vidéos partagées de manière privée avec les personnes ayant effectué les recherches. »
Le rapport d’Amnesty International, grâce à l’analyse d’images satellites, révèle que « des habitants avaient écrit en grandes lettres cyrilliques le mot « Дети » (« enfants », NDLR) sur le parvis de chaque côté du bâtiment. Un message clairement visible sur les images satellites et donc également visible pour les pilotes russes. Tchérina Jerollon, poursuit. « Les forces armées russes ont donc attaqué le théâtre en sachant que des civils étaient réfugiés à l’intérieur. »

Enfin, l’ONG et ses enquêteurs ont entendu 52 rescapés de l’attaque afin de recouper les témoignages. Aussi, le fait qu’aucune des personnes interrogées n’ait « fourni d’informations indiquant que l’armée ukrainienne utilisait le théâtre pour des opérations militaires » suggère que les bombardiers russes visaient délibérément des civils.
… le temps de la justice
Si Amnesty International qualifie l’attaque de « crime de guerre », l’ONG ne bénéficie d’aucune légitimité pour émettre un jugement juridique. Le travail d’enquête permet d’alerter le grand public tandis que l’association sollicite les décideurs politiques. Surtout, Amnesty International pousse les organisations judiciaires compétentes à s’emparer de l’affaire.
« L’idée, c’est vraiment de pouvoir relayer tout le travail fait par les enquêteurs pour nous assurer que ce qu’on a réussi à documenter puisse aussi faire l’objet de procédure judiciaire », rappelle Tchérina Jerolon, responsable du programme »Conflit, migration et justice ». « Quand le conflit en Ukraine a démarré et que nous avons commencé à qualifier les frappes, l’utilisation de bombes à sous munitions et les bombardements à l’aveugle de crimes de guerre, Amnesty International a appelé la Cour Pénale Internationale à ouvrir une enquête sur ces crimes. »
Quant au bombardement du théâtre de Marioupol, il se trouve que la CPI avait déjà ouvert une enquête au moment de la publication du rapport d’Amnesty International. Ce dernier, étant publique et libre d’accès, peut être utilisé dans le cadre de l’enquête judiciaire. Plus encore la CPI, lorsqu’elle s’appuie sur les rapports d’Amnesty International, peut demander à rencontrer un témoin, un enquêteur, une source etc. En ce sens, Aymeric Elluin, responsable de plaidoyer pour l’ONG le précise : « Amnesty International fait le lien entre la justice et les éléments de source. »