
Les sources d’informations des journalistes sont multiples. Spécialistes, institutions, associations, témoins… Depuis plusieurs années, une nouvelle source d’informations est mise à leur disposition : les analyses des services de renseignement. Des renseignements longtemps tenus secrets dans un monde où les informations coûtent cher.
Samedi 8 octobre, au Prix Bayeux des reporters de guerre, Adrien Jaulmes, correspondant du Figaro à Washington, et Lucas Menget, directeur adjoint de France Info, présentent le livre « Les nouvelles menaces sur notre monde vues par la CIA » dont ils ont rédigé la préface. Publié en avril 2022, il compile plusieurs documents de l’agence centrale de renseignement américaine : la traduction du rapport Annual Threat Assessment of the US Intelligence Community, de l’audition des responsables de la CIA devant la Chambre des Représentants au sujet de l’invasion de l’Ukraine par la Russie ainsi que des faits et des chiffres tirés de The World Factbook. Ces documents ont été rendus publics par la CIA dans une optique d’information du grand public. Ces nouvelles données sont également une nouvelle source d’informations pour les journalistes.
Les analyses de la CIA : une nouvelle source d’informations pour les journalistes ?
La CIA a opté pour une nouvelle stratégie en été 2021. Alors que l’agence gardait secrets ses précieux renseignements, elle a désormais décidé de prendre le contre-pied de cette pratique en diffusant ses informations. Elles sont donc désormais accessibles au grand public. Une décision qui peut surprendre quand on sait que le monde dans lequel évolue la CIA est un monde secret où le renseignement est très précieux.
La CIA a longtemps choisi de ne pas diffuser ses renseignements. En effet, elle a connu des années noires durant lesquelles sa crédibilité a été remise en cause. Elle n’avait notamment pas réussi à empêcher les attentats du 11 septembre 2001. Mais sa prévision de l’invasion de l’Ukraine par la Russie a permis à l’agence de retrouver sa grandeur passée. En effet, elle est le seul service de renseignement au monde à avoir prédit les actions de Vladimir Poutine.
Pour cette raison, les dernières informations diffusées par la CIA sont désormais prises au sérieux. Notamment par les journalistes. Ces derniers sont d’abord restés sceptiques face aux révélations des analyses de la CIA. Les réactions ont, en effet, été mitigées. Adrien Jaulmes explique : « La méfiance n’est pas entièrement injustifiée. La CIA s’est fréquemment trompée. Assez régulièrement, elle s’est également livrée à des opérations de désinformation ».
Mais ces documents sont une analyse factuelle des risques, des menaces et des forces en présence dans les zones de conflit notamment. Les journalistes peuvent donc utiliser ces analyses comme une autre source d’information. Mais elles ne doivent évidemment pas être utilisées seules selon les préfaciers. Aucun journaliste sérieux ne se basera uniquement sur cette source. Selon Adrien Jaulmes, elles permettent en effet de « regarder de façon lucide les choses que l’on a devant nous […] afin de se prémunir contre elles ».
Un changement de stratégie opéré par la CIA
Le but premier de cette nouvelle stratégie est de lutter contre la désinformation, une pratique qui ne cesse de se développer à l’heure des réseaux sociaux. Ces derniers permettent en effet une désinformation à grande échelle. La Russie, par exemple, est un des États qui utilise le plus fréquemment cette pratique. Retrouvant son ennemi historique, l’agence de renseignements américaine a choisi de lutter contre ce fléau grâce à une diffusion rapide de renseignements et d’analyses normalement tenus secrets selon les préfaciers du livre. Lucas Menget explique : « Dans un univers où il y a de plus en plus de tentatives de déstabilisation par la désinformation, la CIA a opté pour une stratégie de divulgation d’un maximum d’informations comme arme face à la désinformation. De donner des faits ». Il ajoute : « C’est comme si pour gêner Poutine, il disait à l’avance quel coup il va essayer de faire. Donc il n’y a rien qui horrifie plus une dictature enfermée dans le mensonge que de voir des informations divulguées ».
La CIA a donc choisi d’informer avec des renseignements de qualité et d’une grande ampleur pour combattre la désinformation. Selon les préfaciers, la CIA « a renoué avec sa mission première : le renseignement ».
Adrien Jaulmes et Lucas Menget expliquent que ce changement s’est notamment fait grâce à deux personnes : William Burns, le nouveau directeur de la CIA, et Avril Haines, la directrice nationale du renseignement. William Burns est un diplomate de carrière. Il a notamment été ambassadeur des Etats-Unis à Moscou. Ayant déjà côtoyé Vladimir Poutine, il est capable de comprendre ses faits et gestes. Il est l’une des rares personnes à le connaître hors de la Russie. Selon Lucas Menget : « Ce qui incite à faire confiance [à la CIA], c’est aussi la personnalité de William Burns ».
Adrien Jaulmes conclut : « J’image que les sceptiques prendront ça peut-être un peu plus au sérieux la prochaine fois que la CIA dira quelque chose ».