Ce dimanche 9 octobre, le Prix de Bayeux diffusera en avant-première le documentaire “Fixers” réalisé par le journaliste Charles Villa. L’occasion de mettre en lumière ce métier de l’ombre pourtant indispensable aux journalistes.
Le 19 juin 2017, Bakhtiyar, un jeune journaliste et fixeur est tué lors de la bataille de Mossoul, en Irak. Il a été touché par l’explosion d’une mine artisanale. Quatre ans plus tard, Benoît Christal, grand reporter à TF1 et LCI, décide de lui rendre hommage à travers son ouvrage “L’homme qui riait sous les bombes”. Une manière pour lui de remercier cet homme qui a servi de référence à de nombreux journalistes. Il l’a rencontré en 2014 lors d’une attaque de Daesh au nord de l’Irak où il a suivi les djihadistes. Bakhtiyar assurait sa sécurité au quotidien. « C’est lui qui s’occupait de ma survie dans un terrain de guerre. J’avais ma vie entre ses mains », explique t-il. Au fur à mesure, le fixeur est devenu un véritable ami et confident avec qui il a partagé ses journées. « On a fait les 400 coups ensemble », raconte t-il avec émotion.
En 2019, ce sont quatre journalistes qui ont lancé une cagnotte pour récolter 15 000 euros et venir ainsi en aide à Mohammed en lui évitant l’expulsion. Il avait été leur fixeur en Irak en 2003 lors de la chute de Saad Hussein. Deux manières différentes qui montrent l’attachement des journalistes à leurs fixeurs. En terrain de guerre, ces “accompagnateurs” se présentent souvent comme des guides. Ils possèdent un réseau d’anglophones et de chauffeurs. Ils sont extrêmement connus au sein de l’armée en raison de l’aide qu’ils apportent aux blessés de guerre.
« Un lien entre deux mondes »
Le fixeur n’est pas une profession reconnue, il peut donc s’agir d’un chauffeur ou d’un guide. En outre, ils n’ont pas de contrat de travail. Le journaliste lui verse chaque jour une somme en liquide négociée avec lui. C’est une personne qui doit posséder de grandes connaissances du terrain et des qualités de communication. Il doit également être pédagogue. « Il est le lien entre deux mondes. Il incarne son pays et en même temps, il représente les journalistes auprès des personnes rencontrées sur place », précise Benoît Christal. Le meilleur moyen pour trouver un fixeur est ni plus, ni moins que le bouche-à-oreille. « C’est un collègue qui m’a donné le contact de Bakhtiyar », explique le grand reporter. Des pages sur les réseaux sociaux leur sont également dédiées. Les journalistes se recommandent des fixeurs avec lesquels ils ont collaboré. Rania Massoud est journaliste. De 2006 à 2014, elle a travaillé pour l’Orient-Le Jour, un quotidien francophone libanais. Elle a également été fixeuse en parallèle, au Liban. « J’ai fait cela lors de mes débuts dans le métier. Cela m’a permis de voir comment travaillaient les journalistes et de préparer des sujets que je ne connaissais pas. Cette expérience enrichissante a été un vrai plaisir. » Rania Massoud a servi de traductrice en accompagnant les journalistes dans la préparation des interviews. Elle les a aussi aidés à se fournir un permis pour se rendre dans le sud du Liban.
Emmanuelle Sodji est journaliste et réalisatrice pour France 24. Elle a été également fixeuse pour de nombreux projets au cours de sa carrière. Pour le magazine “Drôles de villes pour une rencontre” diffusé sur France 5, une journaliste de Capa Production était en immersion totale dans une ville en Afrique. Emmanuelle Sodji avait pour mission d’aller à la rencontre des habitants pour s’intégrer et les mettre en confiance avant le tournage de l’émission. Pour l’enquête sur le trafic de Tramadol en Afrique de l’Ouest pour Arte, la journaliste de France 24 a effectué un travail d’investigation et d’enquête pour mettre en place le tournage. Elle devait notamment chercher les personnages et les décors.
Faire reconnaître la fonction
Selon Emmanuelle Sodji, les médias ont commencé à parler des fixeurs lors de la guerre en Irak. « Des journalistes et des fixeurs sont morts sur le terrain. Les médias en ont parlé et les gens ont découvert cette fonction essentielle qu’occupent les fixeurs. » Pour Benoît Christal, mettre le nom du fixeur sous un reportage serait une reconnaissance de leur rôle essentiel : « À TF1, dans certains reportages, les correspondants présentent leur fixeur sous le statut de guide ou de traducteur. Sinon, on met leur nom dans le générique de fin. » De son côté, Rania Massoud ne souhaite pas forcément être mentionnée dans les reportages auxquels elle a participé. « Je suis là pour les guider, mais ce ne sont pas mes mots. Je ne cherche pas à avoir une reconnaissance sauf si ce ne sont juste des remerciements de la part des journalistes avec qui j’ai travaillé », explique t-elle. La journaliste aimerait qu’une formation de fixeur soit intégrée dans les écoles de journalistes pour leur apprendre les codes de ce rôle si important pour eux.