Depuis 2014, le Yemen est traversé par un conflit opposant les rebelles chiites houtis aux fidèles du gouvernement d’Adrabbo Mansour Hadi. Ancienne terre d’Al QaÏda, le pays ferme sa porte aux humanitaires et journalistes, pourtant si nécessaires.
Une terre complexe, partagée entre une infinitude de tribus et ballottée entre gouvernements instables : voilà ce que vivent les millions de yéménites depuis une décennie dans ce pays voisin de l’Arabie Saoudite. Mais depuis plusieurs années, l’instabilité du régime et les différents acteurs belligérants font de l’accès au Yemen un véritable parcours du combattant. Le pays est déchiré par la guerre civile qui opposent différentes coalitions qui se disputent le pouvoir central. Pourtant, dans ce pays où le PIB est dix fois inférieur à la France et où le secteur de la santé est sous développé, l’urgence humanitaire est incontestable. Le contexte géopolitique avec l’intervention de belligérants extérieurs et les rivalités entre tribus restent également trop peu présentes dans la couverture médiatique. Le manque d’intérêt de l’occident couplé d’une difficulté d’accès font de ce pays une terre opaque au reste du monde, où il est nécessaire de remuer ciel et terre pour espérer y rentrer.
Une multitude de belligérants
« Je suis tombé fou amoureux de ce pays, de sa complexité, de sa structure sociale, tribale, son histoire, c’est tellement riche », confie Quentin Müller avec un grand sourire. Ce journaliste indépendant rêve encore des paysages montagneux de ce pays où il vient de passer plusieurs mois. Si le Yémen est délaissé par les journalistes français, faute de la complexité d’accès, Quentin Müller y trouve un intérêt fort. L’accès requiert des demandes administratives conséquentes, une confiance à gagner auprès des différents acteurs comme l’ambassadeur yéménite en France, la coalition, les Émirats ou l’Arabie Saoudite. Le journalisme gène, et sa nationalité soulève inexorablement des questions de méfiance et de stratégie. On ne veut pas laisser entrer sur le territoire un journaliste qui serait susceptible d’écrire sur les bombardements de la coalition et les exactions commises au Yémen. On ne peut pas non plus risquer l’enlèvement d’un français.
Il en va de même pour les organisations humanitaires. À eux de convaincre les acteurs locaux de la pertinence de leurs actions. « C’est un maillage de contacts et d’informations du terrain », affirme Isabelle Mouniaman-Mara, responsable des opérations de Médecins sans frontières (MSF), « on doit prendre en compte les forces en présence et les dynamiques politiques. Cette année, deux humanitaires de MSF ont été enlevés au Yémen. Le pays a pourtant besoin de l’aide internationale pour faire face à une grave crise humanitaire, aggravée par la sécheresse. L’ONU estime que sur 30 millions de Yéménites, 24 millions auraient besoin d’une aide humanitaire.

La présence des forces étrangères est une des particularités. « On a régulièrement des contacts avec eux puisqu’ils maîtrisent l’espace aérien du nord du pays où on a besoin d’avions pour pouvoir acheminer l’aide », raconte la responsable. Passer de la région nord à celle du sud au Yémen, c’est aussi devoir changer d’interlocuteurs et d’acteurs contrôlant la zone. Depuis une vingtaine d’années, l’organisation construit des dizaines d’hôpitaux dans le nord et le sud du pays pour garantir un accès au soin gratuit pour les populations. « Les houthis au nord contrôlent toute une partie du territoire avec une administration bien en place. Ne serait-ce que pour aller du sud au nord du pays c’est compliqué, il faut demander un visa, s’assurer du contexte de sécurité pour ne pas mettre en danger nos équipes », ajoute l’infirmière qui a fait toute sa carrière chez MSF.
De l’importance médiatique du Yémen
Mais le problème ne tient pas que de la difficulté d’accès. Couvrir le Yémen, c’est aussi un combat de tous les jours sur place, pour se déplacer ou parler à une population hermétique à la liberté de la presse. « Quand on est journaliste là-bas on est rien, parce que le droit à la liberté d’expression, le droit à l’information n’existent pas. Dans un pays en guerre où il n’y a plus d’État, on est infime. Nous (journalistes), représentons encore moins qu’un soldat ou qu’un civil, parce qu’on peut représenter un danger. » précise Quentin Müller. En fonction des décisions prises, la porte du Yémen peut se refermer, ou au contraire s’ouvrir. Au journaliste de trouver des stratagèmes pour dépasser les barrières diplomatiques, se déplacer librement et aborder les tribus reculées dans les montagnes.

Peu de journalistes font un travail sur place au Yémen. Sa faible couverture médiatique trouve souvent un public restreint. Un constat qui résulte aussi de la place laissée à la liberté de la presse dans un pays où le Ministre de l’information est à la solde de l’Arabie Saoudite. « On ne sais jamais à quel point ils (la population yéménite) sont convaincus de la liberté de la presse, que cela va être publié en France et que ça va avoir un impact sur leur vie », explique Quentin Müller.
Au Yémen, les choses bougent rapidement et l’organisation du pays a tout d’un casse tête chinois. « C’est difficile de dire qu’on couvre le Yémen. Moi, il y a encore plein de choses que je ne comprends pas. Plein de secrets auxquels je ne pourrai jamais accéder. J’essaye de comprendre d’un point de vue extérieur, de bien m’entourer, mais c’est difficile de tout comprendre. Parfois il n’y a pas de logique idéologique, ce n’est pas comme en France avec une gauche et une droite. C’est un pays où tout le monde est sous drogue donc c’est »fucked up ». C’est très mouvant, extrêmement brouillon et sans rationalité. »
Emeline Sauvage