Qu’ils soient photographes, réalisateurs ou journalistes, les reporters qui couvrent les zones de conflit doivent arriver plus que préparés. Pour affronter chaque aléa auquel ils risquent d’être confrontés, ils suivent une sorte de guide que la rédaction vous révèle aujourd’hui.
« C’est terrifiant. Il y a actuellement des avions remplis d’enfants qui s’improvisent reporters de guerre, (…) nous allons vers un désastre ». Tels étaient les propos tenus par Laura-Maï Gaveriaux, reporter pour Les Échos, il y a quelques mois sur Twitter. La proximité avec le conflit Ukrainien a rendu la couverture de l’événement attractif, provoquant un flux inédit de journalistes.
« Je n’avais jamais vu autant de journalistes au même endroit. Le nombre de cartes de presse ukrainiennes délivrées était énorme, et forcément parmi eux il y avait des journalistes qui n’étaient pas préparés et qui souhaitaient absolument aller sur le front », témoigne Chloé Sharrock, photographe ayant couvert l’Ukraine, l’Irak et la Syrie. La préparation est donc l’élément clé d’une bonne enquête, moins glamour et médiatisée, mais pourtant d’une importance souvent mésestimée par le grand public.
Préparer son bagage culturel…
Tout commence par une étude de terrain. Avant d’attraper son stylo, son sac et sa caméra, le reporter prépare son capital culturel concernant la zone qu’il ou elle s’apprête à couvrir. Origine du conflit, historique et dates clés doivent être maîtrisés, afin de pouvoir échanger de manière pertinente avec leur fixeur ou leurs guides.
Le reporter de guerre arrive in medias res, tout est déjà enclenché sur place et il se doit d’être opérationnel au plus vite. « Un journaliste indien est venu me voir quand j’étais en Ukraine pour me demander où se situait la ville qui avait été bombardée. Un peu surprise, j’ai dû lui expliquer que beaucoup de villes avaient été bombardées, qu’il n’y en n’avait pas qu’une seule. Il n’était pas du tout acclimaté à la zone », ajoute Chloé Sharrock.
Être dans de bonnes conditions, c’est également avoir des connaissances globales concernant les armes utilisées sur place. Connaître la portée d’un mortier que l’on peut retrouver dans le Darfour ou encore quel type de tank est utilisé par l’armée ukrainienne est plus que nécessaire selon Edouard Elias, photo-reporter.
…Adapter son comportement
À Collioure, à l’est des Pyrénées-Orientales, se trouve le CNEC (Centre national d’entraînement commando). C’est là-bas que passe un grand nombre de militaires, pompiers et journalistes. S’il doit y avoir un départ en zone de guerre, un passage par le CNEC le précède. Bien sûr, tous les reporters de guerre n’ont pas forcément suivi cette formation.
« J’avoue qu’à chaque fois que je suis censé me former, je me retrouve envoyée sur le terrain. Je devais la passer en mars dernier mais j’ai dû partir en Ukraine. Je suis un peu une mauvaise élève » , nous explique Chloé Sharrock qui travaille fréquemment avec Le Monde.
La CNEC accueille les journalistes deux fois par an pour une formation, ce qui offre une fenêtre assez mince à ces amoureux du terrain pour se former. Néanmoins, si ce stage est plus que préconisé, il ne faut pas l’attendre pour s’intéresser aux premiers soins et au comportement à adopter sur place.
« Même si les rédactions ne proposent pas de formations, on se doit d’avoir de la curiosité sur le secourisme et l’attitude à avoir dans ces zones pour protéger ceux qui nous entourent ainsi que nous-même », explique Édouard Elias.
Malgré l’adrénaline et l’envie de raconter, le cerveau des journalistes et reporters n’est pas hermétique à la souffrance et à la violence de ces conflits. Leur réalité et leur quotidien sont fréquemment éprouvés, et à chaque retour en Hexagone, ils doivent soigner leurs plaies mentales.
Laura-Maï Gaveriaux vit désormais au Liban. Son appartement n’est pas forcément décoré, car elle n’y reste pas très longtemps. Pour elle, le plus important avant chaque départ, c’est de se dire qu’un jour on reviendra. Étrangement, il serait très important de préparer son retour avant son départ. « Je suis suivie par une psychanalyste, et avec le temps j’essaye d’accepter que je vis une vie de contraste. Passer d’une semaine à l’autre des bombes aux terrasses de café, il est vrai que j’ai de plus en plus de mal », ajoute-t-elle.
Même chose pour Chloé Sharrock, qui au début déclinait gentiment les rendez-vous chez le psychologue réservés par Le Monde. Désormais, elle prend en compte sa santé mentale, et si elle ne se sent pas de partir, elle n’y va pas. « Le plus important c’est de pouvoir évacuer les ressentiments afin d’être dans les meilleures conditions quand on va repartir. On a la chance de faire partie d’une génération très réceptive sur ces sujets-là, il faut donc en profiter. »
Marcus Bellonne