Hier, lors du 4ème jour du 28e Prix Bayeux Calvados-Normandie, la même phrase a été dite à deux endroits distincts du festival. La phrase « Il cherchait la photo qui allait arrêter la guerre » a tout d’abord été entendue dans le documentaire Shooting War lors de la projection de 14h. Quelques heures plus tard, la même phrase était utilisée par un ami de Maks Levin, venu honorer sa mémoire au mémorial des reporters.
Maks Levin, photographe ukrainien âgé de 40 ans, est mort le 13 mars dernier, froidement exécuté par des soldats russes. Il était accompagné d’Oleksiy Chernyshov, accompagnateur abattu aussi ce jour-là. Le 24 février, l’invasion russe commence en Ukraine. Journaliste indépendant et collaborateur de LB.ua et de Reuters, Maks Levin prend aussitôt contact avec un groupe de soldats qu’il avait rencontrés dans le Dombass en 2014. Le photographe souhaite couvrir la guerre au plus près de ceux qui la font, mais surtout ceux qui la subissent.
Alors, est-ce qu’une photo peut mettre fin à la guerre ? Les photo reporters interrogés sont clairs sur la question. Leur réponse est « non ». Pour Johnson Sabin, photo reporter haïtien, c’est un « fantasme », « une photo qui n’existe pas ». Patrick Chauvel a travaillé pendant quelques jours dans le Dombass fin février avec Maks Levin. Lui, qui le connaissait affirme : « Les Russes ont tué Maks Levin parce qu’il voulait arrêter la guerre avec une photo ». Pour le photographe de guerre français aux 50 ans de carrière, la photo est importante. Elle est « symbolique » et « les politiciens redoutent la photo ». C’est une arme de vérité. Le photographe de 73 ans affirme ne pas faire de la photo pour la presse, mais « pour la mémoire ».

La photo, une mémoire visuelle
Une mémoire qui met en relation des événements passées avec ce qu’on vit actuellement. Patrick Chauvel utilise l’exemple de l’ex-Yougoslavie où les Croates ont voulu montrer à quel point ils traitaient bien leurs prisonniers. Ils ont donc fait appel à la presse, mais les photographes font face à des barbelés. Les prisonniers, torses nus, squelettiques, posent leurs mains sur les barbelés qui les séparent des photographes en les fixant avec de grands yeux. Cette photo a tout de suite été associée à celles d’Auschwitz. Elle fait scandale. Les deux photos se sont répondues dans leur symbole. Pour lui, « Les guerres se répètent, celle en Russie rappelle la Seconde Guerre Mondiale. » La mémoire est donc importante pour ne pas répéter les erreurs du passé.
La petite fille au napalm
Patrick Chauvel et le directeur général de Reporters sans frontières, Christophe Deloire, ont tous deux évoqué la même photo : La petite fille au napalm. Ce cliché pris le 8 juin 1972 par Nick Ut semble être l’exemple parfait « d'une photo qui a arrêté la guerre ». Le jeune photographe d'Associated Press capture ce jour-là un moment qui a fait trembler le gouvernement américain. Le 8 juin de cette même année, une bombe au napalm tombe sur un village du Sud Viêt Nam. Kim, une fillette d’à peine 9 ans, s’échappe de la catastrophe. Ses vêtements sont réduits en cendres, le feu lui a brûlé la nuque, le dos et le bras gauche. En s’enfuyant de son village, elle court toute nue sur la route. C’est ce moment précis que le photographe américain capture sur sa pellicule. Après quelques hésitations liées à la nudité de l’enfant, le New York Times décide de la publier. Les Américains prennent conscience de la cruauté de la guerre au Viêt Nam. Cette photo ébranlera la politique du président des États-Unis, Richard Nixon.

Le fantasme de la photo parfaite
Pour Christophe Deloire, « dans la recherche de la vérité par les journalistes, il y a la recherche d’une sorte de vérité ultime qui fait que d’un coup tout le monde prendra conscience. L’ensemble des problématiques ne tiennent pas dans une photo. » Il souligne que la recherche de la vérité ultime n’est pas l’apanage du journalisme. Les auteurs peuvent aussi être dans cette optique et tentent d’écrire le « livre qui amènera l’avènement définitif de la démocratie. »
Le fantasme de la photo qui amènera la fin d’un conflit est aussi une nécessité pour les photographes. Selon le directeur général de RSF, ces professionnels ont « besoin d’être mû par un espoir fort ». Cette motivation est essentielle pour aller chercher la photo importante. Pour faire face à de telles atrocités, les reporters envoyés dans des pays comme l’Irak, l’Ukraine ou l’Afghanistan doivent croire au cliché idéal.

Le boitier, une arme crainte
La force d’information d’une photo, c’est « qu’elle est à hauteur d’Homme » pour Patrick Chauvel. Une bonne photo marque l’esprit tout en expliquant le contexte, faisant de cet outil l’un des plus redoutés des politiciens. Le reporter de guerre français souligne notamment que le gouvernement américain craignait qu’une photo problématique ne soit publiée lors de leur campagne en Afghanistan. La photo aurait risqué de changer l’opinion. « L’image est politique », illustre Johnson Sabin, « si elle est forte, elle peut faire plein de choses. » Le photographe fait son travail d’influence et rapporte les images. L’impact de ces dernières lui échappe.
Victor Adan Vergara