
Co-organisateur depuis 1997 du Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre, le Département du Calvados s’est aussi engagé à faire vivre cet événement auprès de collégiens dans quatre établissements du secteur. Un programme sur-mesure leur est dédié : l’Inter’Act Tour. Ateliers, témoignages, dégustations, tout est fait pour les sensibiliser au traitement de l’information, aux conflits et à la cause des réfugiés.
La première semaine d’octobre est particulièrement animée dans le Calvados. À Bayeux, notamment, parce que de nombreuses classes sillonnent les rues en quête d’activités festivalières, mais pas que. Au Molay-Littry, à 15 km de Bayeux, se trouve le collège de la Mine. De l’extérieur, il est tout blanc et semble grand, assez pour accueillir 400 élèves. L’archétype du collège français construit à la fin des années 90. Depuis lundi, quatre collèges du Calvados se sont succédés pour accueillir le projet Inter’Act Tour, Le Virus de l’Info a suivi, vendredi, les élèves du collège de La Mine.


Rencontre avec Thomas, réfugié africain
Au premier étage, la classe s’est transformée en salle de conférence. Une quarantaine d’élèves écoutent attentivement Thomas*. Originaire d’un pays d’Afrique centrale, il a été contraint de fuir son pays en raison de son orientation sexuelle. Il y a très peu de bruit dans la salle. Le public, captivé, a les yeux rivés sur l’intervenant. Avec pédagogie et bienveillance, le jeune homme explique avoir dû quitter l’Afrique subsaharienne après avoir monté une association pour défendre les LGBT.

Les mains se lèvent, les questions fusent. Les jeunes spectateurs se montrent curieux. Ils souhaitent comprendre. « Vous vivez bien, depuis que vous êtes en France ? », demande une jeune fille au dernier rang. « Oui super bien », rétorque Thomas, avant d’ajouter, « mais j’ai eu la chance de tomber sur les bonnes personnes ». Au quatrième rang, un jeune garçon rebondit sur la question de sa camarade : « Est-ce qu’en France, vous vous faites souvent agresser dans la rue ? », ce à quoi l’intervenant répond avec calme et bienveillance : « Oui. Une fois, à Paris. Mais, comme on est dans un pays de droit, j’ai porté plainte. »
Lorsque les élèves l’interrogent sur son « intégration » et son « assimilation française », Thomas réplique avec ironie et humour « on dit que les Français râlent beaucoup. Je commence à râler aussi aujourd’hui donc je pense que je suis sur une bonne lancée. » Les rires résonnent dans la salle. Après un court moment de flottement, une autre main se lève « votre famille, vous ne la voyez plus du tout ? ». Thomas marque un temps d’arrêt puis répond par la négative. « On a échangé au téléphone, mais tant que je suis réfugié, je ne pourrai pas retourner chez moi. » Les questions sont très hétéroclites, parfois un peu maladroites, mais Thomas répond constamment avec un grand sourire, beaucoup de franchise et d’humilité.


Soudain, le jeu de questions/réponses s’inverse et l’interlocuteur interroge son audience. « Si un élève ayant fuit son pays arrive dans votre classe, quelles actions mèneriez-vous ? ». Silence de plomb. La question a de quoi impressionner. Puis, les langues se délient, « j’irai lui parler », affirme un adolescent. Thomas acquiesce et ajoute, « il faudra peut-être essayer de le rassurer aussi ». Il est 12h15 passé, les bavardages se font plus présents, les ventres commencent à gargouiller et les questions à s’essouffler. Il est temps de passer à la cantine pour un déjeuner inédit.
Un repas afghan, signé par le chef Ali
Sourire aux lèvres, les élèves défilent avec leur plateau. Les uns après les autres, ils récupèrent des assiettes généreuses et appétissantes préparées par le chef Ali. Réfugié politique, Ali* a quitté l’Afghanistan il y a 10 ans. Dans un français hésitant et timide, il explique son périple après avoir fui son pays : « Iran, Turquie durant quatre ou cinq ans, Grèce, après Italie et Paris ». Aujourd’hui, il a cuisiné aux collégiens un repas typique afghan. Au menu : du »Kabuli Palaw » (riz de Kaboul), un plat traditionnel à base de mouton, mais réalisé pour les scolaires avec du poulet. Une bonne odeur d’épices embaume toute la pièce. Pour le dessert, Ali a préparé sa spécialité : le »rôte », un petit gâteau qui s’apparente à un sablé.

Les assiettes se vident et le déjeuner semble plaire. Pendant le repas, Manon, Liloo et Corentin, élèves en 4e, reparlent du témoignage de Thomas. « C’était touchant », « ça m’a rendu un peu triste » ou plus directement « c’est chaud ». Les réactions sont nombreuses. À propos de l’homosexualité de Thomas, une élève avoue timidement, « je ne savais pas que ça n’était pas accepté dans d’autres pays ». Elle poursuit ensuite, « je suis contente d’avoir pu comprendre ce que les migrants et réfugiés ont pu vivre ». Entre deux bouchées, Corentin précise, « mais, on avait déjà travaillé sur cette journée avant, en cours d’histoire et de français ». Pour tous les niveaux, un réel travail d’accompagnement pédagogique a précédé la venue d’Inter’Act Tour. Le ventre plein, les émotions partagées, les élèves vont à présent pouvoir se dépenser et découvrir une autre pratique culturelle.



Voyage en mouvement avec Amari
La salle est la plus grande du collège. Les tables et les chaises sont poussées contre des murs roses fuchsias. Un tableau blanc préside la salle, mais dans cet atelier, ce n’est pas lui que les élèves vont regarder. D’ailleurs, ils ne vont plus tant regarder. Ils sont amenés ici à utiliser d’autres sens : l’ouïe et le toucher. Écouter et bouger. C’est avec la danse que ces élèves termineront leur journée d’immersion avec Inter’Act Tour. Une jeune femme d’une trentaine d’années est là, elle les attend déjà, un sourire presque agrafé. Amari*, son nom de scène, rayonne. Poliment, elle les invite à rentrer, à s’asseoir et elle entame sa présentation. « Je suis artiste, chanteuse, danseuse. J’évolue dans différents domaines. » Amari est née en en Colombie, mais a grandi au Venezuela : « j’ai la double nationalité, mais on dira que ma façon d’agir est totalement vénézuélienne. » À l’époque où le Venezuela était le Dubaï latino-américain, et la Colombie sous l’emprise des narco-politiques, Amari émigre. Elle a 8 ans. Elle étudie à l’école de danse contemporaine et à l’Institut universitaire de musique et de danse. « Dans nos racines, c’est nos grands-mères qui nous apprennent à danser », précise-t-elle avant de l’ajouter : « mon but ce n’est pas de donner un cours de danse universitaire, mais plutôt de profiter avec la danse. »


Fin 2017, Amari arrive en France, à Tours. Elle ne s’épanche pas sur les raisons de son départ et continue en s’adressant aux élèves, « aujourd’hui, vous allez profiter et voyager avec moi dans une petite partie de mon pays. La musique que vous allez entendre, c’est la première chanson de mon album ». Dans un premier temps, tout se déroule au sol. Les jambes en tailleur, les jeunes ados écoutent attentivement Amari. Ils l’écoutent soigneusement parce qu’ils y sont obligés. L’accent de la jeune colombienne est si fort que si l’on ne tend pas suffisamment l’oreille, on ne la comprend pas bien. Son regard est si doux que personne ne parle. Son accent envoûte, toujours très agréable pour des oreilles endurcies aux sonorités nasales et gutturales. Délicatement, elle demande aux élèves de se relever et entame son cours par des échauffements. Ils suivent timidement ses gestes. Petit à petit, ils se détendent. Certains mêmes rient à gorge déployée, par gêne, par enthousiasme, ou peut-être les deux.
Maintenant que les nerfs sont détendus, place à la danse ! La cumbia. Amari explique l’histoire particulière de cette musique colombienne. « À la base, c’est une percussion afro avec une sonorité de flûte autochtone. On la danse de façon très simple, bouger le bassin, devant, derrière, avec les pieds… ». Les corps des enfants s’activent, se pressent, apprennent. Tous les visages affichent un sourire béat. Ils suivent le rythme avec leurs épaules, leurs hanches ou leurs talons. À la fin de la séance, Amari prend un moment pour expliquer sa démarche rythmée par sa bonhommie. « J’ai beaucoup d’espoir en l’avenir. Les gens n’ont pas d’espoir, la crise mondiale, tout ce qui nous arrive aujourd’hui impacte le moral. Moi, quand je suis en face de ces enfants, je sens de l’espoir, donc ça va aller. »
À l’origine, cette journée a été conçue dans le but de sensibiliser les plus petits. Sensibles, les êtres humains le sont tous, et les jeunes pousses encore plus. Avec une telle disponibilité et curiosité, le monde multiculturel de demain a trouvé le terreau idéal pour planter sa graine. Et qui sait ? Un jour peut-être récoltera-t-il ce qu’il a semé.
Adèle Laloux et Lucy Bigard
*Pour des raisons de sécurité et de confidentialité, les réfugiés n’ont souhaité communiquer que leurs prénoms ou noms de scène.