Depuis 1994, Bayeux vit au rythme des reporters de guerre en leur rendant hommage lors d’un festival. La 29e édition du Festival de Bayeux se tient cette année du 3 au 9 octobre. L’occasion pour certains réalisateurs de présenter leurs documentaires à un public. Ce 6 octobre, à 14h30, c’était au tour de Shooting War de Patrick Dell.
La salle est pleine à la Halle ô Grains, lieu de la projection du film en question. Étonnamment, beaucoup de jeunes sont présents dans cette salle d’environ 250 places. La salle obscure est quasiment remplie. Les deux tiers du public doivent avoir en dessous de 20 ans. Des jeunes venus en nombre grâce aux actions des lycées amenant les élèves s’éduquer au journalisme. Une salle jeune, et très bruyante, mais qui s’arrêtera totalement de parler pendant la séance.
Patrick Dell invite neuf reporters de guerre pour Shooting War
À gauche de l’écran, quatre sièges sont placés pour la venue post-projection du réalisateur Patrick Dell et de sa traductrice. Patrick Dell s’excuse d’ailleurs de ne pas parler français dès le début de son intervention. Journaliste au Globe and Mail à Toronto, ce journaliste dit « avoir touché un peu à tous les métiers journalistiques qui touchent à l’image ». Dans ce documentaire, d’une durée d’1h07, il a donc, à sa manière, rendu hommage aux reporters qui dépassent chaque jour leurs limites pour nous faire parvenir des images.

Pour lui, « le journalisme, c’est d’abord des connexions et des relations ». Avec sa caméraman, ils ont donc pu faire passer en interview neuf grands reporters de guerre en deux heures. Dans le documentaire, les journalistes se livrent beaucoup, notamment sur certains traumatismes personnels. Un échange qui se faisait « en douceur » selon ses dires. « Il est bien de connaître ses questions, mais écouter c’est plus important ». Et écouter les histoires des neufs invités, c’est ce que faisait d’une façon très « friendly » Patrick Dell et sa caméraman pour Shooting War.
Haviv, Carol Guzy, Goran Tomasevic, Corinne Dufka, David Guttenfelder, Santiago Lyon, Joao Silva, Laurence Geai et Tim Page ont été invités pour parler de leur carrière. Patrick Dell a d’ailleurs voulu rendre hommage à Tim Page, mort le 24 août dernier.
Shooting War : Classique, efficace et impactant
En un peu plus d’une heure, le film tente de brasser tout ce qui touche à ce métier. Même s’il n’est pas présenté comme cela, le documentaire suit 4 grands thèmes : Excitation, Action, Utilité et Cicatrices (mentales et physiques). Le documentaire commence par s’intéresser à la question assez classique, mais que tout le monde se pose : Pourquoi faire ça ? Qu’est-ce qui les anime ? Chacun, de façon classique, explique comment ils sont entrés dans le monde de la photo. Quand ils doivent se justifier sur leur motivation à partir au front, leurs réponses sont abstraites. Comme si ces derniers étaient motivés par une attraction inexplicable.
Au niveau de sa forme, Shooting War est assez classique. Notamment avec ce système d’interview sur fond noir. Pendant plus d’une heure, les experts s’enchaînent et parlent de choses très précises. Cela peut laisser de côté une bonne partie du public amateur qui ne s’intéresse que de loin au sujet. Au bout de quelques minutes, certains avaient déjà abandonné et succombé aux bras de Morphée.
Là où Patrick Dell réalise un tour de force, c’est sur l’utilisation des photos. Accompagnées parfois d’une vidéo, les photos semblent avoir la force de résumer une vidéo en un seul cliché. Le réalisateur réussit facilement à montrer le talent de ses invités. Ces derniers ont vu des horreurs. Et le réalisateur n’hésite pas à nous partager les pires atrocités qu’ils ont pu prendre en photo. Un cliché que l’on avait l’habitude de voir en petit format, et qui maintenant se retrouve sur grand écran. Antoine, 67 ans et ancien pilote d’hélicoptères, souligne la puissance d’une simple photo projetée sur grand écran. Sur ce point, le film réussit le même tour de force que Un pays qui se tient sage. Dans ce documentaire, de simples vidéos filmées à l’Iphone prennent une autre ampleur lorsqu’elles sont projetées en grand.
Des intervenants marquants et marqués
Les intervenants pour le documentaire Shooting War très différents les uns des autres. Certains sont loquaces et assez enthousiastes à l’image de la française Laurence Geai. D’autres racontent leurs histoires avec beaucoup plus de froideur comme Goran Tomasevic. Le panel des intervenants, Margaux, 18 ans et étudiante en journalisme l’a apprécié. Avec trois femmes pour neuf intervenants, la jeune étudiante a aimé la place laissée aux femmes reporters. Seul bémol du film à ses yeux : l’absence de photographes de guerre orientaux ou habitant les pays en guerre.
Pour eux, prendre la photo est un « geste vital ». Par ce geste, ils désirent « améliorer le monde ». Voilà l’une de leur motivation à partir sur le front à la recherche des clichés les plus marquants. Une recherche du front et de l’adrénaline qui les rattrape quand ils sont à la maison. Les reporters racontent qu’ils ne sortent jamais vraiment de la guerre. On en vient alors au sujet du syndrome de stress post-traumatique. Plus tôt dans le documentaire, Laurence Geai racontait « le pire, ce sont les frappes aériennes ». Des bombardements qui peuvent choquer et continuer de suivre le reporter lorsqu’il rentre au bercail.
Le stress post-traumatique, tous semblent l’avoir déjà vécu à un degré plus ou moins fort. Surprotection des enfants, alcoolisme, suicide, les reporters de guerre font face à de nombreux problèmes à leur retour. Tim Page, face caméra, avoue avoir abusé du LSD durant de nombreuses années. La consommation de cette drogue lui permettait de se déconnecter. Comme si c’était une obligation de passer par le syndrome de stress post-traumatique, Laurence Geai dit ne pas en avoir. Pourtant, elle dit savoir qu’elle en aura un. Patrick Dell se dit heureux de voir que la nouvelle génération se soucie plus du stress post-traumatique que l’ancienne : « Plus on parle de ces sujets, mieux c’est pour les reporters de guerre ».
Tim Page
Britannique, le reporter de guerre est décédé à l’âge de 78 ans. Ses photos prises lors de la guerre du Viêt Nam lui ont valu d’être lauréat de la Robert Capa Gold Medal en 1997. Armé de son boîtier Pentax, il découvre le Laos en 1963. C’est là qu’il réalisera ses premières photos à l’âge de 19 ans. Là-bas, il assiste à la tentative de coup d’état de février 1965. Trois ans plus tard, il prend des clichés de l’offensive du Têt au Viêt Nam. Entre 1965 et 1969, il est blessé quatre fois. Une fois il est déclaré « dead on action » mais survit à ses blessures. Le personnage de Dennis Hopper dans le Apocalypse Now de Francis Ford Coppola est inspiré de Tim Page.

Victor Adan Vergara