Pour sa 29e édition, le prix Bayeux récompensera les meilleurs reporters de guerre de cette année. Pendant une semaine, plus de 350 journalistes se relaieront pour raconter les conflits autrement. Un évènement auquel France Inter consacre chaque année une édition spéciale.
Le Téléphone sonne aussi à Bayeux. L’émission phare du 18/20 présenté par Fabienne Sintes revient cette année au festival des reporters de guerre. En direct et en public, ce dispositif spécial sera cette année largement consacré à l’Ukraine. Jamais un conflit n’avait été aussi suivi médiatiquement et aussi facile d’accès. La couverture médiatique de cette guerre a rebattu les cartes du métier et interpelle toujours autant les auditeurs.
Un concept novateur
« Vous avez la parole » : c’est le message qui retentit chaque soir sur France Inter du lundi au jeudi. L’émission emblématique du Téléphone sonne permet à ses auditeurs de poser leurs questions sur l’actualité en direct aux journalistes et aux invités. Une initiative novatrice pour l’époque qui réunit quasi quotidiennement presque 2 000 000 de fidèles. Même concept, même numéro de standard : le programme se délocalise cette semaine à Bayeux pour une édition spéciale.
C’est tout un symbole pour l’émission qui, depuis sa création, met un point d’honneur à la couverture des conflits internationaux. ‘’C’est même la seule’’ revendique Fabienne Sintes. L’émission, intégrée à la tranche d’Un jour dans le monde, tente depuis ses débuts de faire parler l’actualité internationale dans la tranche horaire du soir.
En Ukraine ou en Iran, le 18/20 est sur tous les coups en proposant chroniques et interviews, entrecoupées de reportages dans des zones de conflit du monde entier. Depuis février, ce sont des dizaines de reportages qui ont été consacrés au conflit en Ukraine, pour tenter, tant de voir l’avancée des troupes russes, que de comprendre les effets multiples de la guerre sur la population.
Une édition consacrée à l’Ukraine
Pendant deux heures, reporters et correspondants de guerre se sont ainsi relayés pour parler de l’Ukraine. Contrôle de l’information, couverture médiatique inédite, violence des combats : cette guerre a rebattu les cartes du métier et de l’information en temps de guerre. L’on se souvient de ce 25 février, au lendemain de l’invasion, de ces journalistes, sans carte de presse, ni connaissances du pays, qui ont passé la frontière pour tenter de couvrir le conflit tant bien que mal.

Accompagnés d’un traducteur, Evgeniy Maloletka, photographe, et Mstyslav Chernov, caméraman à AP, sont venus raconter leur couverture de Marioupol. Ensemble, ce sont les derniers journalistes présents dans la ville martyre, du début de la guerre au 15 mars 2022. (Crédit photo : Emeline Sauvage)
Mais ce qui frappe le plus dans cette édition spéciale, ce n’est pas tant la tristesse des deux journalistes ukrainiens qu’on devine à la voix, que leur courage. C’est surtout l’interrogation que provoque encore et toujours la guerre en Ukraine auprès des auditeurs et spectateurs d’aujourd’hui. À la question posée par téléphone « est-il vrai que Poutine s’est réfugié dans son bunker », les journalistes de la table s’amusent presque à devoir donner une réponse qui leur semble évidente. Mais c’est aussi à ça que sert le Téléphone sonne dans ce prix de Bayeux. Donner la possibilité, parfois trop rare, aux auditeurs de vérifier ce qu’ils ont vu, entendu, dans un conflit où la désinformation est tant présente.
De l’utilité publique du prix Bayeux
Raconter la guerre autrement, échanger avec les confrères mais surtout rappeler l’utilité du reportage de terrain en zone de conflit. Pendant une semaine, 350 reporters de guerre vont présenter la guerre par le prisme de leur propre expérience à plus de 40.000 visiteurs. Ces derniers auront la chance de découvrir les expositions, projections, livres ou tables rondes autour du thème de la guerre et de son traitement médiatique.
Chaque année, le festival de Bayeux rend honneur aux journalistes de guerre. Mais l’actualité en Ukraine a démontré une nouvelle fois la nécessité du reportage de terrain et des reporters, qui chaque jour, risquent leur vie pour rapporter une information fiable. Autour de discussions et de débats, les reporters présents s’efforcent d’apporter aussi la vérité sur leur métier. De briser cette image idéalisée d’un journalisme de guerre héritée d’Albert Londres, qui voudrait que l’information soit la plus qualitative là où les balles sifflent.
« Celui qui détient l’information détient le pouvoir » ne fait rarement autant écho qu’ici, au Festival de Bayeux, là où reporters relèvent le défi quotidien de restituer la vérité dans des conflits où l’information est une arme.
Derrière le combiné…
On ne présente plus Fabienne Sintes. La voix inséparable de Radio France (ou l’inverse) a réveillé les français pendant 4 ans sur France Info avant de se voir confier le 18/20 sur France Inter. Depuis 2017, c’est chez elle que le téléphone sonne du lundi à jeudi. Aujourd’hui, c’est à Bayeux. Rebondir avec humour et justesse semble être un exercice bien simple lorsque Fabienne Sintes prend les appels, parfois hésitants, des auditeurs. La journaliste aux cheveux argentés, d’une aisance qu’on ne peut qu’admirer, s’autorise même à jouer avec le public alors qu’elle rend l’antenne à Paris au début de l’émission ‘’bon ben c’est fini au revoir !’’.
Avec des envoyés spéciaux déployés sur les grands terrains de conflits, Un jour dans le monde, l’émission qu’elle anime, met chaque jour un point d’honneur au journalisme de terrain. Alors pour elle, être à Bayeux résonne comme une évidence.
Pourquoi est-ce important pour France Inter de revenir chaque année au Festival de Bayeux ?
On est partenaire. Il y a une essence dans Un jour dans le monde, celle de parler de l’étranger. On a totalement notre place ici. Je voudrais même dire : ça n’aurait pas de sens de ne pas y être. Donc, on est content de le refaire chaque année, surtout de revenir parce que ces deux dernières années ça a été plus compliqué pour tout le monde. On est aussi content de le refaire en public. Parfois Bayeux c’est difficile à couvrir pour nous comme une émission parce que les gens sont là le lundi et puis nous on est là le jeudi. Là on a une guerre qui écrase les autres donc à la fois, c’est idéal pour en parler en grande longueur, mais aussi et c’est ce qu’on va essayer de faire, de ne pas oublier qu’il y en a d’autres des conflits à bas bruit en ce moment avec des journalistes qui risquent tout autant leur vie. Par exemple, on va faire un reportage au Soudan, c’est sûr que la guerre au Soudan ça nous pousse pas à fermer les radiateurs et arrêter d’aller à la piscine. Donc tout le monde s’en fout. Donc c’est bien qu’on y soit aussi et qu’on continue à parler de ça. Moi j’ai l’impression que mon boulot, c’est de rendre intéressante des choses compliquées. Et c’est ce qu’on essaye de faire, et ici particulièrement.
Est-ce que cette année sera un peu plus spéciale étant donné le contexte en Ukraine ?
Cela sera très mono-sujet forcément, c’est compliqué d’aller dans un autre sens. Comme je disais, il faut essayer de ne pas oublier les autres conflits, et en même temps on peut pas faire comme si cette guerre n’était pas à notre porte, comme si elle n’était pas, très bizarrement ; accessible. Il y a quelque chose d’assez bizarre et paradoxal de se dire que c’est facile d’aller jusqu’en Ukraine aujourd’hui qui est un pays en guerre. Mais c’est bien, parce qu’il y a aussi des tas de questions que se posent les gens justement sur la manière dont les choses se profilent, les avancées de qui et de quoi et on va le faire en deuxième heure, notamment grâce aux journalistes russes. On a l’impression qu’on prend un peu nos désirs pour des réalités sur le fait qu’à la fin Poutine va perdre et tout le monde sera content dans la démocratie. Je pense qu’il faut aussi poser justement que tout ça est bien plus compliqué. Donc voilà, c’est ce qu’on va s’attacher à faire et c’est tant mieux. Mais cette guerre nous donne l’occasion d’en parler longuement. Non pas qu’on l’ai pas déjà fait beaucoup ces derniers temps, mais là particulièrement oui.
Les auditeurs du 18/20 seront au rendez-vous ?
Ce qui est plus difficile c’est de trouver un sujet Téléphone sonne. L’étranger, au Téléphone sonne, honnêtement ça ne marche pas. Que les choses soient bien claires. Ça ne marche pas. Les gens ne téléphonent pas.
Pourquoi ?
Je ne crois pas que ça soit parce que ça ne les intéresse pas, je pense que c’est aussi parce que, soit ils ont peur de poser une question parce qu’ils ne se sentent pas légitime de la poser, ou parce qu’ils estiment que ça ne sera pas une bonne question. Mais le fait est que, c’est plus difficile d’intéresser les gens aux sujets étrangers, donc on pousse un peu la porte quand on vient ici dans l’émission, mais tant mieux en fait. Si on était à Paris, aujourd’hui, la deuxième heure on l’aurait fait sur Annie Ernaux. Donc on verra comment les gens vont réagir. Je suis sûre que l’étranger intéresse des gens. Je pense qu’ils ont pleinement conscience que rien de ce qui se passe autour de nous n’est gratuit ni n’aura d’incidence à un moment ou un autre. Maintenant, les faire réagir et poser des questions c’est aussi un défi. On verra bien.
À Bayeux, plus particulièrement, il faut aller chercher les gens ?
Ils sont là. Physiquement ils sont là. Il y a rarement eu un sujet sur ces dernières années, un sujet qui écrase autant les autres et à la fois qui nous concerne tous de manière aussi importante. Donc, avec un peu de chance, ça fait venir des interrogations qui sont plus compliquées que d’habitude. Mais on verra. Le principe de cette émission, c’est que quel que soit le sujet, on sait comment ça commence mais on sait jamais où ça nous emmène. Et c’est ça qui est marrant.
Vous serez là l’année prochaine ?
J’espère bien oui ! Hélas il y aura d’autres conflits dont il faudra parler. J’espère surtout qu’on pourra à nouveau le faire en public etc. C’est quand même beaucoup plus sympa.
Vous y tenez personnellement ?
Oui, bien sûr qu’on y tient. On l’a fait deux fois sans venir, et au fond ce n’est pas pareil, c’est même assez chiant. Ça marche vraiment mieux quand on le fait ici donc j’espère bien qu’on reviendra. On verra bien ce qui aura secoué le monde à ce moment-là. Est-ce qu’on pouvait imaginer que le 22 ou 23 février dernier, on se disait ‘’non mais Poutine attaquera jamais, il n’a aucun intérêt à le faire’’. Tous les grands éditorialistes avec beaucoup d’aplomb nous expliquaient que c’était impossible.
Oui, ce conflit nous a montré que les choses pouvaient bouger très rapidement
Il n’y a pas que ce conflit qui nous a montré ça. Ce n’est pas que les choses sont imprévisibles, c’est que parfois la rationalité… Dire qu’il n’y aurait pas la guerre c’était un raisonnement rationnel. Est-ce qu’on peut avoir un raisonnement rationnel avec les dirigeants du monde ? La preuve que non. Donc c’est surtout ça ce qu’il s’est passé. Je me souviens du démarrage de la guerre, on était évidemment en super spéciale et puis – je me souviens parce que j’étais en vacances le lendemain du déclenchement et je suis revenue – on a fait l’émission spéciale le jeudi et le samedi ils ont décidé de poursuivre donc je suis revenue de vacances puis on a continué jusqu’à dimanche. On a fait 4 ou 5 jours comme ça. On a beau ne pas être une radio toute info, à un moment, quand un évènement écrase l’autre, il écrase aussi les programmes. C’est ça aussi le métier.
Ce n’est pas nous qui le disons, c’est Frédéric Fromet lui-même : https://www.youtube.com/watch?v=LjCtYdp1egc