Morts, corruption, violence : alors qu’il est hors des zones de guerre, cette année encore, le Mexique comptabilise le plus grand nombre de journalistes tués sur son sol. Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, nous fait part des dangers qui empoisonnent le pays.
« Notre unique défense, c’est notre plume », avait souligné Armando Linares, journaliste mexicain, peu avant son assassinat en mars dernier.
Ces dernières années, le pays fait face à une véritable crise d’insécurité, rythmée par les violences liées aux activités des cartels de drogue. Considérées comme de véritables cibles mouvantes, par les narcotrafiquants et certains politiques corrompus, les journalistes risquent leur vie chaque jour.
Au Mexique, cette vague de violence envers les journalistes a pris plus d’ampleur depuis le début de l’année 2022. En moyenne, un journaliste est tué chaque semaine. Plus précisément, depuis ces trois dernières années, sous le mandat de Manuel Lopez Obrador, 47 journalistes sont morts.
L’année dernière au prix des reporters de guerre de Bayeux, Ed Vulliamy, journaliste anglais, nous racontait : « beaucoup de mes amis figurent sur ses stèles, surtout des amis mexicains tués par les cartels. »
Une réalité plus complexe pour les journalistes
Bien que le crime organisé et les narcotrafiquants s’avèrent être les suspects les plus vraisemblables. La réalité est bien différente. Selon des enquêtes d’organisations de défense de la presse, la majorité des assassinats de journalistes sont orchestrés par des autorités régionales ou municipales. En effet, là où le pouvoir est au plus bas, la corruption se répand comme une traînée de poudre.
Ceci explique également, la quasi-impunité à laquelle ces crimes font face. En effet, personne n’enquête. Le Bureau du procureur spécial pour les crimes contre la liberté a mené 105 enquêtes sur des meurtres de journalistes sur le sol mexicain. Toutefois, seulement six ont abouti à des condamnations.
Outre le fait que le Mexique soit considéré comme un pays en paix, les chiffres de l’organisation de Reporters Sans Frontières (RSF) sont clairs. C’est le pays le plus dangereux du monde pour la presse.
Face à l’insécurité mexicaine grandissante, le Parlement européen a décidé d’adopter une résolution appelant les autorités du pays à « assurer la protection et la création d’un environnement sûr pour les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme ».
Dans le cadre du prix des correspondants de guerre de Bayeux, Christophe Deloire, secrétaire général des Reporters sans frontières, a eu à cœur de nous parler de ce pays.

Cette année, le Mexique comptabilise le plus grand nombre de morts de journalistes sur son sol alors que ce n’est pas un pays en guerre à proprement parler. Avez-vous une explication à cela ?
– Christophe Deloire : Chaque année, environ dix journalistes sont tués au Mexique dans l’exercice de leur fonction. Ils travaillent essentiellement dans les Etats fédérés du Mexique, pas à Mexico ou à de très rares exceptions. Ils sont confrontés à des politiciens véreux, à du narcotrafic. Dès qu’ils évoquent la corruption ou les trafics, ils peuvent être tout simplement tués dans la rue. C’était le cas d’un ancien correspondant de l’AFP, Javier Valdes.
Parfois, dans un studio de radio, avec une émission en direct, un tueur rentre dans le studio pour mettre fin, non seulement à l’émission, mais également à la vie du journaliste.
C’est un pays où, moi, j’ai été très impressionné, pour y être allé plusieurs fois, à la fois d’avoir trouvé une espèce de bureaucratie de protection des journalistes qui ne sert à rien, des procureurs qui ne sont même pas au courant des dossiers et qui, lorsqu’un seul dossier a été traité, ne se souviennent même plus du nom de la victime.
Et par ailleurs des journalistes qui ont le courage d’écrire des livres, à faire des enquêtes, à faire des dépêches, des articles, et de les publier même si les tueurs sont au coin de la rue. Ça franchement chapeau, parce que le reportage de guerre quand on vient de l’extérieur ça consiste à aller quelques jours, quelques semaines ou encore quelques mois sur place.
Quand on est journaliste mexicain face au narcotrafic, on vit dedans. Et le tueur peut être là. Et il y a tout de même des gens qui continuent. Ça mérite un petit hommage et beaucoup de respect.
Face à cette insécurité grandissante, qu’est-ce que Reporters Sans Frontières met en place concrètement ?
– Christophe Deloire : Au Mexique, on est beaucoup allé voir les autorités mexicaines, procureurs généraux, procureurs spéciaux. On a proposé le renforcement du système de protection des journalistes, fait des propositions concrètes, obtenu des rendez-vous avec le Président mexicain qui a simplement serré la main et est parti, déposé plainte devant la Cour Pénale Internationale pour les assassinats de journalistes et l’absence des mesures réelles des autorités au cours des deux mandats de ces prédécesseurs. Et on continue ! Et on va continuer encore la semaine prochaine à lancer des procédures à l’ONU, à Genève et avec une organisation partenaire mexicaine.
Toutes ces procédures, ont-elles apporté de réels résultats ?
– C.D. : Non, pour l’instant, le Mexique est un pays dans lequel il y a plus de trente mille homicides tous les ans, les journalistes sont particulièrement ciblés. C’est un pays où on voit bien que les évolutions sont extrêmement faibles quel que soit le président, tellement le niveau de corruption et de trafic est élevé.
Pensez-vous que cette volonté d’éliminer les journalistes est dans le but de trafiquer
la vérité à leur façon ?
– C.D. : Il y a des pouvoirs respectueux d’autrui mais lorsqu’un pouvoir est malveillant, que ce soient des terroristes, des narcotrafiquants ; ça peut être parfois, dans certains pays, des partis politiques ou des ministres véreux. Ils peuvent être tentés de se dire « je vais éliminer les témoins gênants ». Les journalistes sont des témoins gênants.
Surtout, à une époque où la communication est tellement ouverte, que chacun peut faire sa propre propagande sur soi via son site internet ou sur les réseaux sociaux. Et où un tiers qui vient mettre son nez dans les affaires et regarder et vérifier, c’est très gênant.