Rares sont les pays où les conditions de vie des femmes sont aussi difficiles qu’en Afghanistan depuis le retour des talibans. Ramita Navai, journaliste britannico-iranienne, a enquêté sur l’oppression qu’elles subissent. Un tournage complexe lors duquel être une femme étrangère, d’origine iranienne de surcroît, a eu une incidence certaine.

Témoignages glaçants de femmes emprisonnées sans procès; interviews surréalistes de responsables talibans ; entretien avec des femmes résistant au régime Talibans… Le documentaire Afghanistan, no country for Women de Ramita Navai est accablant pour les fondamentalistes islamistes revenus au pouvoir en août 2021. Si la première session de tournage, peu après la chute de Kaboul, a été assez simple tant les nouvelles autorités souhaitaient « montrer au monde qu’ils avaient changé et étaient réformistes », la seconde période, en Mars, a été bien plus difficile. Le climat s’est dégradé, le régime s’est montré de moins en moins enclin à laisser les journalistes travailler. La « question des femmes étant très sensible », le travail de la reporter a été particulièrement délicat dans ce contexte d’autant qu’« ils savent qu’ils sont observés par le monde entier sur ce point. »
Être une femme a été à double tranchant pendant les tournages. En entretien, les responsables talibans semblent gênés, n’osent pas la regarder dans les yeux, ne s’adressent quasiment pas à elle directement mais à son cameraman, Karim Shah. Pour ces officiels du régime, elle est non seulement une femme mais aussi une étrangère, qui n’a pas « le même système de valeurs » qu’eux. Elle devient alors « presque une prostituée » pour ces hommes dont la totalité de « la société est basée sur l’honneur qui lui-même se fonde sur la virginité des femmes et donc sur leurs corps et leur contrôle ».
Ne pas affronter le regard de Ramita Navai est, selon eux, l’expression de leur respect des femmes. Un argument que la journaliste juge fallacieux, mais utile dans certains contextes. Lors du reportage en prison, les gardiens n’étant pas sensés interagir avec elle, ils se sont intéressés essentiellement à Karim Shah. La reporter était alors presque invisible à leurs yeux et donc bien plus libre de ses mouvements. Ce sont ces circonstances qui ont permis à Ramita Navai de « mettre en route discrètement sa caméra cachée » et de voler quelques minutes de conversation à des prisonnières.
Maîtriser le Dari
Pour évoluer en Afghanistan, Ramita Navai possède un autre atout de taille : sa maîtrise du Dari. Un dialecte essentiellement afghan mais très proche de celui pratiqué en Iran où elle a travaillé durant 19 ans. Cette aisance avec la langue a amplement simplifié le travail d’enquête sur place et le recueil de témoignages en libérant la journaliste de la nécessité de recourir à un interprète. Ainsi, elle a pu parcourir le territoire au rythme des check points pour enquêter dans les villes d’Herat, Faizabad, et Kaboul. Autant de régions où les femmes afghanes tentent de résister à l’oppression du régime. Une lutte d’autant plus ardue que « l’espoir a disparu ». Là où avant les femmes des petits villages regardaient les grandes villes comme une opportunité vers une vie meilleure, aujourd’hui « il n’y a plus rien », désespère la journaliste.
Ce constat contraste avec la situation en Iran, actuellement secoué par des manifestations populaires contre l’obligation du port du voile. Là où les femmes iraniennes sont soutenues dans la rue par des hommes, les afghanes, responsables contre leur gré de « l’honneur de la famille », subissent une pression supplémentaire de la part de leur entourage. Mise au ban de la société pour certaines, menaces de mort pour d’autres, la fuite à l’étranger devient parfois nécessaire. Harifa, l’une des femmes présente dans Afghanistan, no country for Women s’est aujourd’hui exilée en Scandinavie d’où elle soutient, via Twitter, le combat des iraniennes.