Présidentielle 2022

Karma Duquesne : «Aucun candidat ne se rapproche de la lutte féministe »

Karma Duquesne, 32 ans, est journaliste rédactrice en chef adjointe chez LCI et militante féministe. A cinq mois de l’élection présidentielle elle regrette le fait qu’« aucun » candidat ne fasse de la lutte contre les violences faites aux femmes une réelle priorité.

La droite et l’extrême droite saturent l’espace médiatique à coup de propositions sur l’immigration et la sécurité. Le combat des féministes est peu traité dans le débat public, qu’en pensez-vous ?

C’est scandaleux ! Personne n’en parle alors qu’on représente quand même plus de la majorité de l’électorat. Voilà pourquoi les femmes font partie des minorités : nous sommes majoritaires dans la population mais minoritaires en termes de pouvoir et de prérogatives. Depuis que Sandrine Rousseau a été battue par Yannick Jadot à la primaire écolo, le féminisme est repassé à la trappe. C’était la seule candidate qui essayait de mettre ces sujets sur la table.  

Covid oblige, les militantes n’ont pas pu manifester l’an dernier. Samedi, elles se sont retrouvées place de la République à Paris. Peut-on parler d’une manifestation réussie ?

Non car tous les ans, les femmes font une marche et personne ne réagit. Une réussite, c’est lorsque ces manifestations sont suivies d’effets. Là, il n’y a pas de faits.

Les manifestions pourront-elles avoir un impact sur les discours des candidats ?

Peut-être… Pour que la presse fasse un sujet, par exemple, il faut créer une actualité : la manifestation peut être un moyen. Tout acte militant sert mais c’est malheureusement insuffisant.

À 5 mois du premier tour de la présidentielle, quel candidat se rapproche le plus de votre engagement ?

Aucun ! Les sujets féministes sont plus portés par la gauche, un peu la gauche traditionnelle au travers de la candidature d’Anne Hidalgo mais également via Europe Écologie-les Verts (EE-LV). Sauf que Yannick Jadot ne porte pas les valeurs féministes de son parti.

Quelles stratégies mettre en place pour que le combat féministe soit plus présent dans le débat politique ?

Selon moi, les grands combats de demain sont dans les tribunaux. L’accès au droit, les différents procès et les jurisprudences permettront ensuite de pousser pour changer les lois.

Vous êtes journaliste, n’est-ce pas trop compliqué d’être engagée tout en respectant la déontologie de votre métier ?

Je ne peux pas à la fois fabriquer l’actualité et la relater sinon j’aurais un problème de conscience. Je peux m’engager à titre personnel mais pas, par exemple, faire la publicité d’une organisation. Je dois toujours mesurer mes propos pour respecter la déontologie. C’est difficile de jongler au quotidien entre mon métier et mon engagement militant mais c’est faisable.

Avant sa prise de fonction à l’Elysée, Emmanuel Macron voulait faire de la lutte des féministes une grande cause du quinquennat, c’est réussi ?

On ne peut pas dire qu’il n’y a rien eu. Des lois contre les violences sexuelles ont apporté de nécessaires précisions. Mais c’est la seule chose qu’on peut reconnaître à ce gouvernement et au président Macron. Le chef de l’Etat est très loin d’être féministe. Regardez le choix de son Ministre de l’Intérieur…* C’est pas possible ! Par ailleurs, des députés sont accusés de violences envers les femmes. L’immunité parlementaire, ça va bien cinq minutes quand il s’agit de violences faites aux femmes… Pour ces cas-là, il faut accepter de la lever. De plus, les mesures contre les violences intrafamiliales sont aussi insuffisantes. Aucun moyen supplémentaire n’a été attribué à la justice concernant les violences sur mineur. Il n’y a pas de tribunaux d’exceptions alors qu’ils devraient en avoir concernant les violences intrafamiliales : il faut une justice rapide dans ces cas-là. Les violences faites aux femmes, économiques, nécessiteraient un budget beaucoup plus important. Enfin, la réforme des retraites prévue par Macron était très désavantageuse pour les femmes. Elle risque de revenir en boomerang.

De plus en plus de jeunes rejoignent les collectifs et diffusent les messages. Peuvent-ils être les porte-voix du mouvement et donner un second souffle ?

Cette jeunesse me donne un vrai espoir. Ils sont beaucoup plus déconstruits que ma génération. Par exemple, ils sont très mobilisés sur les questions liées à l’écologie. Il faut les écouter. Récemment, le pronom iel a été introduit dans le Petit Robert. C’est devenu un sujet important du débat politique. Mais les jeunes s’en fichent. La politique d’aujourd’hui est complétement éloignée de leurs attentes.   

*Une enquête visant Gérald Darmanin pour un « viol » présumé datant de 2009 a été ouverte en 2017. Un non-lieu a été prononcé en 2018. La procédure a été relancée en 2020 et le ministre de l’Intérieur a depuis été placé sous statut de témoin assisté.

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