Les débats autour de l’abaissement du droit de vote à 16 ans refont surface avant chaque élection. À l’instar des autres candidats de gauche, Anne Hidalgo en a fait une promesse de campagne. Mais le débat semble plus symbolique qu’autre chose.
« Qu’est-ce qui justifie d’exclure de la vie démocratique ceux qui sont le plus concernés par des décisions prises aujourd’hui ? » s’exclame Anne Hidalgo (PS), le 23 octobre, lors d’un rassemblement à Lille. Pour la maire de Paris, empêcher les jeunes de 16 ans d’accéder aux urnes est une aberration sur laquelle elle compte revenir. Anne Hidalgo a mis en avant le sujet dès le premier meeting de sa campagne présidentielle mais chaque année, ce sont des dizaines de politiques qui prennent position en faveur de cet abaissement.
En septembre 2013, la Ministre de la Famille Dominique Bertinotti faisait déjà la promotion de l’accès aux urnes pour les mineurs de 16 et 17 ans. L’adolescence doit être « une sorte d’apprentissage de la citoyenneté », ce qui passe par l’accès aux urnes. La question du droit de vote à 16 ans anime les débats politiques depuis désormais huit ans, sans qu’aucune avancée n’ait réellement été faite. Femmes et hommes politiques en débattent davantage sur les plateaux télévisés qu’à l’Assemblée nationale. Jean Castex y avait pourtant été interrogé en octobre 2020, avant de balayer le sujet d’un revers sec. Selon le Premier ministre, les « jeunes de 18 ans n’utilisent déjà pas suffisamment le droit de vote. »
Un an plus tard, la majorité n’hésite pourtant pas à remettre le sujet sur les bancs de l’Assemblée. Le député François Jolivet (LREM) estime que pour créer l’intérêt des 18-25 ans, « il faut les intéresser à la politique plus tôt. » Mais la proposition de loi de l’ancien maire de Saint-Maur (Indre) ne veut pas seulement permettre aux adolescents de voter. Il est également question de rabaisser la majorité pénale à 16 ans et de les autoriser à posséder le permis de conduire deux ans plus tôt (contre 18 ans aujourd’hui).
Les débats actuels ne manquent pas de rappeler ceux de 1974. Six ans après Mai 68, les jeunes n’ont plus besoin de prouver leur implication dans la vie politique. Mais la majorité civile est fixée à 21 ans depuis 1848 et aucun homme politique ne semble prêt à leur permettre de voter avant. Jusqu’à Valéry Giscard d’Estaing (VGE), qui adresse ainsi un message fort à une jeunesse dont le vote est réputé à gauche. De centre-droit, VGE abaisse la majorité à 18 ans dès le début de son septennat. Les jeunes adultes peuvent désormais voter, mais aussi ouvrir un compte en banque ou se marier sans l’aval de leurs parents. À l’époque, les Français de 18 ans étaient déjà pénalement responsables et pouvaient conduire leur propre voiture.
16 ans, l’âge de l’autonomie
La responsabilité pénale, des moins de 21 ans, avait été utilisée en 1974 pour justifier de l’abaissement du droit de vote, mais de nouveaux arguments sont aujourd’hui mis en avant : « Il est possible de travailler à 16 ans, cela montre qu’on peut être considéré comme des adultes » argumente Colin Champion, du syndicat La Voix Lycéenne (issu d’UNL, syndicat lycéen, ndlr). Pour autant, et contrairement aux jeunes de 18 ans, une personne de 16 ans ne peut être incarcérée uniquement dans une prison pour mineurs, et ne peut pas conduire sans être accompagnée par un tuteur, généralement un parent. Cela pose de facto la question de l’influence du vote d’un adolescent de 16 ans, qui pourrait reproduire les choix parentaux devant l’urne. Le lycéen syndicaliste ne manque pas de rajouter le sérieux avec lequel ses camarades abordent les élections des délégués, la « première approche de la démocratie » pour les mineurs.
Avoir 16 ans est généralement le moment où l’adolescent devient autonome. Ses déplacements sont moins contrôlés par les parents et il peut ainsi découvrir de nouvelles faces de la vie quotidienne. Cela se fait généralement au sein de sa commune, ce qui pousse certains politiques à défendre l’abaissement du droit de vote à 16 ans lors des seules élections municipales. « Ils connaissent parfaitement leur environnement, parfois mieux que les adultes. Ils pratiquent la ville par ses infrastructures, ses activités, ses transports, et savent mieux que quiconque parler de leurs attentes » juge David Corceiro (MoDem), dans une tribune publiée dans le Journal du Dimanche en mars dernier. Un avis également partagé par Jean Viard, directeur de recherche au CNRS, qui suggère « un premier entraînement » pour les jeunes de 16 et 17 ans lors des élections municipales.
La France Insoumise va plus loin. L’abaissement du droit de vote à 16 ans, lors de chaque élection, est défendu dans le programme de Jean-Luc Mélenchon depuis 2017. « A 16 ans, on peut faire plein de choses sauf voter » remarque Patrick Proisy (LFI), maire de Faches-Thumesnil (Nord). Sans pour autant l’appuyer, Emmanuel Macron ne s’est pas opposé à cette idée en 2019. Mais pour le Président, la priorité est de réduire l’abstention chez les 18-24, avant d’ouvrir les urnes aux plus jeunes. Un avis partagé par Frédéric Dabi, directeur général opinion de l’Ifop : « Le premier parti chez les jeunes, c’est surtout l’abstention. »
« En politique, les jeunes font peur »
Le syndicat La Voix Lycéenne préfère pointer l’absence d’éducation dans les lycées. « Il y a un vrai tabou de la politique, les professeurs ont peur d’évoquer le sujet » regrette Colin Champion, qui souhaiterait un « vrai plan » pour l’éducation politique dans les établissements. Une analyse partagée par Guilhem Carayon, président des Jeunes Républicains (LR). À 22 ans, il estime qu’il faudrait augmenter le nombre d’heures d’éducation morale et civique dans les collèges et lycées. « Les jeunes doivent comprendre la politique, quels sont les pouvoirs de la commune ou du département » explique ce Tarnais d’origine, qui regrette que l’éducation n’apporte pas suffisamment d’informations politiques « qui servent dans la vie de tous les jours. »
Le syndicat lycéen UNL a réalisé une enquête avant l’élection de 2017, attestant que 62 % des 57 000 lycéens interrogés se déclarent en faveur du droit de vote à 16 ans. « En politique, les jeunes font peur » assène finalement le représentant de La Voix Lycéenne. De Yannick Jadot (EELV) à Anne Hidalgo (PS), en passant par Jean-Luc Mélenchon (LFI), les candidats de gauche défendent ardemment l’abaissement du droit de vote à 16 ans. Une stratégie « électoraliste » et « démagogique » selon Guilhem Carayon. À droite, le sujet « n’est pas la priorité » et on ne doute pas que les 18-24 iront voter en avril prochain. « On s’inquiète surtout de l’abstention aux élections intermédiaires » appuie le président des Jeunes LR, qui rappelle sa volonté de renforcer l’éducation politique.
Sans cesse et depuis huit ans, l’abaissement du droit de vote à 16 ans revient dans l’actualité. La majorité à l’Assemblée ne se préoccupe pas du sujet et rien ne semble vraiment aller dans ce sens. Interrogé par l’AFP, le député Eric Ciotti (LR) a estimé que voter à 18 ans est « le bon compromis ». Entre 21 et 16 ans, sans doute, mais entre 18 et 16 ans, c’est moins certain. Seule la Grèce semble avoir trouvé le juste milieu. Dans ce pays des Balkans, on peut voter dès 17 ans. Peut-être que le bon compromis est là, finalement.
Etudiant à l'Institut Supérieur des Médias de Paris (ISCPA).