Présidentielle 2022

Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait

Les jeunes se sont progressivement détournés des formes conventionnelles d’engagement politique. Déçus par les résultats mitigés, selon eux, de la politique « à l’ancienne », ils cherchent d’autres formes d’action collective.

Milan, 28 septembre 2021. Les yeux écarquillés, Greta Thunberg harangue une foule béate. « Il n’y a pas de planète B, il n’y a pas de planète bla-bla, bla-bla-bla, économie verte bla-bla, neutralité carbone en 2050 bla-bla », s’époumone-t-elle, sous les applaudissements nourris de 400 jeunes du monde entier réunis à ce sommet sur le changement climatique organisé par les Nations unies. La militante suédoise admoneste nos « soi-disant » dirigeants, coupables d’avoir, selon elle, noyé « nos espoirs et nos rêves dans leurs mots et leurs promesses creuses ».

Greta Thunberg donne ainsi à voir une jeunesse désenchantée, en proie au doute, mobilisée par la question environnementale. Surtout, elle exprime une tendance de fond à l’œuvre depuis quelques décennies au sein des sociétés occidentales : les jeunes considèrent que les partis politiques ne sont plus en mesure de répondre à leurs aspirations. Par conséquent, ils ont développé une appétence pour des formes d’engagement plus individuelles et autonomes, moins encadrées par la politique « traditionnelle ».

« Naguère, les jeunes militants étaient très attachés à la figure du parti. Aujourd’hui, ils s’engagent dans des associations, participent à des manifestations ou militent sur les réseaux sociaux », souligne Pascal Perrineau, politologue au Cevipof. Ce phénomène d’individualisation de l’engagement est indissociablement lié au fait que nous sommes passés d’une République des citoyens à la société des individus. Simplement, non seulement les jeunes n’y échappent pas, mais ils semblent davantage touchés par le phénomène. Si bien qu’ils font désormais « bande à part » dans la sociologie électorale.

Militantisme « post-it »

Les taux records d’abstention aux élections régionales et départementales – 84% parmi les 18-24 ans – l’ont notoirement illustré. D’aucuns ont affirmé que la jeunesse était dépolitisée. En réalité, elle emploie de nouveaux canaux de communication. Le vote n’est devenu, pour beaucoup de jeunes, qu’une modalité de participation à la vie politique parmi d’autres. Il a progressivement été remplacé par le militantisme « post-it » décrit par le sociologue Jacques Ion dans son ouvrage S’engager dans une société des individus (Armand Colin). Les jeunes s’engagent de façon sporadique, sur des thèmes précis et à des moments précis, s’affranchissant ainsi de toute affiliation durable à un groupe d’appartenance. « Les jeunes ont une conception plus pragmatique de l’engagement politique : il faut une cause ou un enjeu concret pour déclencher leur mobilisation, et surtout la perspective d’une efficacité à court terme », résument Olivier Galland et Anne Muxel dans La tentation radicale, enquête auprès des lycéens (PUF).

Cette recherche de nouvelles formes d’engagement constitue la conséquence directe d’un rejet de la classe politique. « Ce rejet est nourri par le sentiment que la classe politique est incapable de répondre aux grands défis du XXIe siècle. Au ‘tous pourris’ semble avoir succédé le ‘tous impuissants’ », explique Frédéric Dabi, directeur général de l’Institut français d’opinion publique (Ifop) et co-auteur de La Fracture, comment la jeunesse d’aujourd’hui fait sécession : ses valeurs, ses choix, ses révoltes, ses espoirs… (Les Arènes) Rejet ne signifie toutefois pas indifférence.

Rejet de la classe politique

Il est frappant d’observer que la jeunesse, très mobilisée sur la question environnementale, s’en remet, là aussi, à l’action individuelle. Selon l’édition 2021 de l’enquête Nouvelle Vague sur laquelle se basent Frédéric Dabi et Stewart Chau, seuls 10% des Jeunes français de moins de 35 ans déclarent faire confiance aux partis politiques pour agir efficacement pour l’écologie. Par ailleurs, alors même qu’Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) représente le principal parti écologiste en France, un jeune sur deux considère que les solutions et les propositions défendues par ce parti sont irréalistes et 45% qu’il est sectaire, selon l’enquête Nouvelle Vague. « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles », écrivait Paul Valéry en 1919 dans La Crise de l’Esprit. Paraphrasant le célèbre écrivain, une partie de la jeunesse semble affirmer qu’il serait « mortel » de s’en remettre aux décisions de leurs responsables politiques.

« Il est extrêmement dur de fidéliser les jeunes militants », abonde Jérôme Sainte-Marie, président de l’institut de sondages Pollingvox. Cette jeunesse insaisissable désoriente les cadres des principaux partis. La direction des Républicains a, par exemple, été contrainte de laisser une assez grande autonomie aux Jeunes LR. « Je voulais m’engager en rupture avec les vieux barons de la politique qui n’inspirent plus confiance », confie leur président, Guilhem Carayon. Les responsables politiques ne lâchent néanmoins pas l’affaire. En surinvestissant dans cette classe d’âge, ils espèrent la ramener aux urnes.

Caisse de résonance

S’ils n’ont jamais véritablement exercé une influence décisive sur l’issue du scrutin, les jeunes ont toujours constitué une formidable caisse de résonance. « Les candidats se disent : je n’ai qu’à m’adresser aux jeunes, qui transmettront le message à leurs aînés », résume Pascal Perrineau. Les jeunes ne seraient ainsi plus acteurs à part entière du jeu politique mais réduits au simple rang d’observateurs. Les conseils intéressés d’Emmanuel Macron – lequel déclarait à la veille des élections européennes : « Je dis en particulier aux jeunes : si vous n’aimez pas le système dans lequel on vit, changez-le ! Mais si vous décidez de ne pas aller voter, vous décidez de ne pas le changer » – n’y font rien. « Après l’épisode des régionales, je peine à imaginer comment il serait possible de faire revenir le dentifrice dans le tube », pointe Pascal Perrineau.

Selon Frédéric Dabi, en rejetant les partis et en boudant les urnes, la jeunesse remet en cause le modèle démocratique et ses principes : « Sans une institutionnalisation du conflit, du débat du dialogue, la jeunesse pourrait se tourner vers davantage de radicalité et de violence », prévient-il. Et le sondeur de noter que le leader politique idéal pour diriger la France selon les jeunes doit « dire clairement les choses même si cela ne plaît pas à tout le monde » et « rester fidèle au programme sur lequel il a été élu. » En 2017, les franc-parler de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen avaient payé : au premier tour de l’élection présidentielle de 2017, ils avaient recueilli ensemble 51% des votes des 18-24 ans. En 2022, le discours d’Eric Zemmour, qui n’a aucune pudeur de gazelle à évoquer les questions d’immigration, d’identité et d’insécurité peut-il les séduire ?

« Il tient un discours réactionnaire consistant en somme à dire que c’était mieux avant. Or, les jeunes ont de manière générale plutôt envie de se projeter dans l’avenir », analyseJérôme Sainte-Marie. De fait, Eric Zemmour ne perce pas, pour l’instant, auprès des jeunes. Dans les sondages, il stagne à 5% chez les 18-24 ans et les 25-34 ans. Il séduit bien davantage les plus de 65 ans. « À partir de l’élection de 2002 s’enracine un phénomène de banalisation des choix électoraux de la jeune génération, visible lors des scrutins passés », explique Frédéric Dabi. Comprendre : si les jeunes votaient jusqu’en 2002 pour de « petits candidats », leurs votes se sont depuis calqués sur ceux du reste du corps électoral français. Selon les données publiées par l’INSEE, parmi les 18-29 ans, moins de deux inscrits sur dix ont voté aux deux tours de l’élection présidentielle de 2017. Mais chaque présidentielle est différente et le jeu reste ouvert. Cette jeunesse, si ambivalente, n’a peut-être pas dit son dernier mot.

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Étudiant en troisième année, je suis particulièrement intéressé par les sujets : politique, géopolitique et économie.

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