Au Prix Bayeux, les journalistes traitent les conflits armés, mais rares sont ceux qui mettent en lumière l’après-guerre. Parmi eux, le journaliste Ammar Abd Rabbo : traumatisé par sa jeunesse, il décide de l’aborder à sa propre manière.

« À cause de mon passé, je suis bien plus intéressé par la reconstruction que la destruction ». Ammar Abd Rabbo ne se voit pas comme un reporter de guerre. Son histoire le pousse à éviter les zones de conflits. Il les couvre uniquement dans des pays qu’il connait bien, comme le Liban ou la Syrie. Son objectif est de prendre en photo l’après-guerre. C’est dans le cadre de son travail qu’il organise l’exposition Karama (Dignité) en partenariat avec l’AFD (Agence Française de Développement). Elle met en lumière plusieurs projets de reconstruction dans certains pays du Moyen-Orient, comme l’Irak ou la Jordanie.
En 1970 son père quitte la Syrie par peur de voir son fils endoctriné par le parti Ba’as. Ils passent les six années suivantes entre Tripoli et Beyrouth : « on arrive au Liban, à peine un an avant la guerre civile. Comme c’était une guerre un peu en pointillé on passait notre temps à changer de pays ». Après être arrivé en France, il finit ses études à Science Po et devient journaliste de presse écrite. Une enfance douloureuse, 1mais très vite elle devient sa plus grande richesse.
Au fil des rencontres professionnelles, il apprend à faire de la photographie. Il en tombe amoureux à une époque où le numérique n’existait pas encore. Pour lui, elle possède une force évocatrice que la presse écrite n’a pas : « La photo à un langage international, c’est ce qui me fascine le plus ».
Par passion pour son média et avec un esprit anti-guerre, il travaille sur des séries de photographies en tout genre. Il prend l’une des plus célèbres photos de Stephen Hawking, ou encore de Mickael Jackson. A travers des photos de nues, il traite de Daech. Il expose son œuvre inspirée par Andy Warhol un peu partout dans le monde, y compris à Alep ou encore Dubaï.
Sa position : la liberté d’expression
En plus de son travail, il se fait connaitre pour ses coups de gueule. En 1999 il critique le festival du photojournalisme de Perpignan, qu’il craint devenir un « ghetto des images d’un monde souffrant ». En 2004 il « fait caca dans le salon » de Reporters Sans Frontières et dénonce les dons d’un proche de Kadhafi à l’association de journalisme. Un autre de ses faits d’armes remonte à sept ans. Il a critiqué le prix du public des correspondants de guerre de Bayeux sur les réseaux sociaux. Un tweet qui lui coûte sa place de juré au festival normand. Il explique : « La chose qui définit l’ensemble de mes choix est la liberté, et particulièrement la liberté d’expression, mais ce n’est pas bien vu ».
Passionné par le Moyen-Orient, il fonde une agence spécialisée sur l’actualité du monde arabe ‘Balkis Press’ : « Je me suis rendu compte qu’il n’y a pas ou peu de médias libres dans ces pays. Souvent, ils sont aux ordres d’un régime ou d’un pouvoir qui s’en sert pour de la propagande ».
Sa liberté de parole couplée à son travail sont récompensés par l’une des plus hautes distinctions françaises : il est nommé au grade de Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres. Ces insignes lui sont remis par Michel Blanquer en juin 2018. Une consécration personnelle pour son travail qu’il souhaite partager : « C’était génial de voir mon travail récompensé, mais je trouve qu’il n’y a pas assez de reconnaissance pour le métier de journaliste. Plus qu’une simple récompense personnelle, il s’agit d’une récompense pour l’ensemble de ma profession ».