À la 28ème édition du Prix Bayeux, une table ronde sur le rôle des femmes dans les contextes de guerre mettait en lumière les actes de plusieurs femmes qui se battent pour la dignité et pour transcender leur propre condition.

Sur la scène de l’auditorium ce samedi, la sociologue Marie-Cécile Naves met un point d’honneur à déboulonner plusieurs clichés sur la place des femmes dans la résolution de conflits. L’une de ses cibles concerne la « passivité des femmes », alors que la plupart des reportages en zones de guerre, depuis plus d’un siècle, démontrent qu’ils sont essentiellement dus à l’engagement masculin. Le souvenir des guerres mondiales en Occident a imprimé dans l’inconscient collectif cette idée de femme en retrait, qui s’occupe de sa famille. Mais ailleurs dans le Monde, là où l’on est confronté à la menace de la guerre en permanence, les femmes réagissent à l’urgence des drames avec pugnacité. La sociologue évoque par exemple les Mères de la place de Mai à Buenos Aires. Cette association de mères argentines se battait pour retrouver les enfants emportés par la dictature militaire de Jorge Rafael Videla, entre 1976 et 1983.
Éduquer pour survivre
À ce jour, cent mille ONG à travers le monde ont été fondées par des femmes. Au-delà de ces organismes officiels, des micro-initiatives humanitaires bourgeonnent parmi la poussière, les décombres et les parpaings. Kamal Redouani, grand reporter au Moyen-Orient, raconte l’histoire de cette enseignante qui donne des cours aux enfants dans un théâtre en ruines. « Quand on les observe, on a l’impression que tout va bien. Elle transmet la vie, le bonheur », se rappelle-t-il, ému. Mais le journaliste se souvient surtout de Mouna, jeune femme de Raqqa qui a décidé de ne plus craindre la menace djihadiste. « La première fois que je l’ai vu, c’était sur YouTube. On la voit face à une troupe de miliciens de Daesh, et elle gueule. Elle leur crie dessus, les insulte, les traite d’ignares, leur dit qu’ils ne sont pas musulmans ». Intervenante du nouveau documentaire Syrie : des femmes dans la guerre de Kamal Redouani, Mouna a payé le prix de son courage. « Son frère a été emprisonné et torturé, ses sœurs ont été torturées et violées en prison », dit-il.
Aujourd’hui, la jeune syrienne vit à la frontière de son pays pour se tenir le plus en sécurité possible, et enseigne « la rage et la liberté » aux femmes de Raqqa. Libérées de leur chappe de plomb, certaines ont trouvé la force de faire face au poids des traditions et à l’influence de leur époux. « Le mari d’une des femmes qui suit Mouna l’a menacé de la mettre dehors, et elle lui a tenu tête grâce aux encouragements de Mouna. Dans un pays qui a explosé, on écarte les femmes, on ne les voit pas ». Adam Dicko, activiste malienne, croit elle aussi que c’est en éduquant qu’une inversion de paradigme pourra s’opérer. Elle est absente de cette table ronde, prise par le sommet Afrique-France de Montpellier en compagnie du président Emmanuel Macron, mais a tenu à intervenir virtuellement. « Il y a une expression qui dit que la jeunesse, c’est l’avenir. Elle est fausse. La jeunesse, c’est maintenant, le futur c’est aujourd’hui », déclare l’activiste, le visage projeté sur l’écran géant de la salle de conférence.