
Dans le cadre de la conférence « Journalistes et Humanitaires : regards croisés en zones de conflit », Margaux Benn a exposé son travail de correspondante en Afghanistan. Depuis mai 2018, la journaliste de 33 ans a travaillé pour de nombreux médias, tels que France 24, Le Figaro, Europe 1 et Arte.
Qu’est-ce qui vous a amené à vous consacrer à l’Afghanistan ?
Quand je suis arrivée en mai 2018 à Kaboul, il n’y avait pas encore de grosses actualités, ce qui m’a permis de faire du reportage sur le temps long et d’aller aux quatres coins du pays. Il y avait plusieurs échéances à venir, avec une élection présidentielle, des élections législatives et les talibans qui commençaient déjà à gagner du terrain et multiplier les victoires.
Comment se sont passés vos premiers jours dans le pays ?
Le premier jour où je suis arrivée, il y a eu deux attaques terroristes coordonnées à Kaboul et deux tremblements de terre. J’ai fais mon premier article depuis le complexe des Nations Unies où je suis allée interviewer mon seul contact à ce moment-là. Alors que je faisais son interview, tout a été fermé. On n’avait plus le droit de rentrer ni de sortir, donc on était bloqués dans son bureau. J’ai dû écrire mon article sur un vieil ordinateur des Nations Unies (rires). C’était un peu le baptême du feu.
Est-ce que vous saviez combien de temps vous alliez rester en Afghanistan ?
Je ne savais pas pour combien de temps je venais, c’était vraiment le saut dans l’inconnu. J’étais allée voir des rédaccteurs en chef à Paris avant de partir, mais je ne les connaissais pas. Au Figaro, ils m’avaient dit qu’ils prendraient potentiellement des papiers mais ils attendaient de voir si j’allais réellement aller sur le terrain. Je leur ai vendu des reportages assez rapidemment. J’ai également commencé à travailler pour la télévision à la Radio Télévision Suisse et à la radio canadienne CBC. Au bout d’un certain temps, mes clients principaux était Le Figaro, Europe 1, France 24 et Arte.
Vous êtes franco-canadienne et bilingue français-anglais. Pourquoi avoir choisi de travailler pour des médias francophones ?
Il y avait déjà pas mal de médias anglophones sur place et donc ça avait plus de sens de travailler pour les Français puisque les anglophones n’avaient pas vraiment besoin de moi. Mais pour France 24, je travaillais en tant que francophone et anglophone.
Combien de temps passez-vous en Afghanistan ?
J’ai vécu plus ou moins à temps plein dans le pays pendant 2 ans et demi, puis j’ai déménagé à Paris. Désormais, je passe entre un tier et la moitié de mon temps en Afghanistan.
Comment travaille-t-on à distance ?
Lorsque je suis à Paris, je fais surtout des articles d’analyse puisque cela fait maintenant 3 ans et demi que je travaille sur le pays. Mais grâce à mes contacts, j’arrive tout de même à faire des articles sur les choses du quotidien. C’est presque comme si j’étais sur place, même si je ne peux pas capter les détails comme pour un vrai reportage. J’arrive à avoir des informations et des témoignages pour faire du reportage à distance.
Est-ce que vous utilisez les réseaux sociaux, surtout lorsque vous travaillez à distance ?
La population afghane est très présente sur les réseaux sociaux mais depuis que les talibans ont pris le pouvoir en août 2021, beaucoup moins de gens osent parler sans anonymat. C’est donc plus compliqué, même si il y a toujours des personnes qui continuent de parler sur Facebook ou Twitter. Cela me permet de recueillir des témoignagnes, de faire des demandes d’interview et d’avoir des informations ou des pistes de sujets.
Alors que les talibans sont revenus à la tête du pays, comment votre travail a-t-il évolué ?
Lors des premières années où j’étais en Afganistan, il y avait quand même une vie sportive et culturelle avec notamment des soirées poésie. Il y avait une certaine liberté dont profitait une partie de la population. Aujourd’hui, tout cela est en train de disparaître. En tant que journaliste, c’est également devenu compliqué de travailler. Mais si ça devient dangereux pour les journalistes étrangers, ça l’est surtout pour les journalistes afghans et les Afghans qu’on interroge. Il y a des gens qui refusent des interviews ou qui acceptent seulement de se rendre dans des lieux cachés. Certains ne veulent pas être filmés ou que leur nom soit diffusé. On doit donc être extêmement vigilant pour ne pas mettre ces personnes en danger.
Le fait d’être une femme a-t-il eu un impact sur votre travail sur le terrain ?
Depuis que les talibans ont pris le pouvoir, il m’est arrivé que ces derniers me refusent des interviews parce que je suis une femme. En général, ça se résoud en étant accompagné d’un traducteur, nécessairement un homme. D’un autre côté, le fait d’être une femme m’a beaucoup aidé. L’Afghanistan est un pays très patrarcal, même avant les talibans, et les femmes sont souvent cachées et restreintes à la sphère domestique. Les hommes étrangers y ont donc rarement accès. Il y a aussi le fait que lorsque je suis sur la route et qu’il y a des points de contrôle, être sous une burka m’anonymise. Ce qui m’a tiré d’affaire, voire sauvé la vie plusieurs fois.
Vous devez avoir de nombreuses anecdotes à raconter.
Il y avait un fameux checkpoint où je suis passée avec une consoeur et où on s’est fait arrêter par deux talibans armés. Heureusement, on était sous une burka et notre caméra était cachée en dessous de celle-ci. Je ne sais pas trop ce qu’il se serait passé s’ils nous avaient vu puisqu’on était aux confins du Pakistan où on lieu beaucoup de kidnapings. Finalement, grâce au fait qu’on était invisibles sous notre burka, ils n’ont pas fouillé la voiture. C’était un grand moment de stress, d’autant plus qu’on avait le trépied de la caméra dans le coffre.