Les photojournalistes occupent une place centrale dans la diffusion d’information. Support trop souvent considéré comme de l’illustration, la photo renseigne, témoigne et raconte. Focus sur ceux qui sont souvent les premiers sur le terrain, appareil photo en main.

11 septembre 2001, 10 heures 03 minutes heure locale. Un homme saute de la tour Nord du World Trade Center pour échapper aux flammes et aux fumées toxiques provoquées par le crash d’un Boeing 767. Il mourra 93 étages plus bas. Comme lui, des dizaines de personnes emprisonnées dans les tours ont sauté des Tours Jumelles, donnant lieu à des centaines de clichés qui ont immédiatement fait le tour du monde. « Les photos ont été, comme vous pouvez l’imaginer, produites en une quantité invraisemblable » témoigne Olivier Morin, à l’époque photojournaliste à l’AFP. Moins graphiques que des vidéos, les photos de suicide ou de débris de tours effondrées ont permis aux médias du monde entier de retranscrire la sinistre réalité de ce jour funeste. « Les images des débris des tours ont été quasi aussi fortes que celles des avions qui percutent parce que l’on avait vraiment l’impression d’assister à la fin du monde » se souvient Olivier Morin. « Cet évènement a accéléré notre transition de l’argentique au numérique, ce qui a permis une rapidité accrue dans la transmission des photos » ajoute Jérôme Huffer, chef du service photo de Paris Match.

Se pose alors la question de diffuser les images graphiques, choc. Olivier Morin, aujourd’hui rédacteur en chef de la photo à l’AFP France analyse : « En vingt ans, les mentalités ont énormément changé. Là-dessus, la France est très schizophrène. Quand il s’agit d’images qui ne sont pas issues du sol français, les médias français ont peu de pudeur ou peu de recul, sauf si c’est vraiment extrêmement graphique ». « Lors que l’attaque terroriste du 14 juillet à Nice a eu lieu, il y avait des photos violentes aussi, mais pas une n’a été diffusée et pas une n’a été publiée. »
Global Warning
Une autre réalité s’est brusquement imposée aux yeux du monde : le réchauffement climatique. La fonte des glaces provoque la montée progressive des eaux qui deviennent alors plus chaudes, le tout condamnant la faune marine. Privés de leur nourriture, les ours polaires cherchent en vain de quoi se nourrir. Cette photo de Kerstin Langenberger en Arctique a également fait le tour du monde, percutant les esprits qui n’avaient pas ou peu conscience de l’urgence climatique jusqu’ici. « L’Arctique n’est pas seulement beau, il est aussi très impacté par l’homme » alerte-t-elle. « J’effectuais un reportage photo sur les pingouins lorsque j’ai vu ce pauvre ours en quête du peu de nourriture qu’il y avait dans la mer. » détaille-t-elle.

« Il y avait aussi cette image où il y avait une quinzaine d’ours polaires affamés sur les décharges publiques de Churchill. C’est plus fort comme message publié en termes d’image pure et pour expliquer qu’il y a un vrai problème » témoigne Olivier Morin. « Ça, c’est une histoire qui se raconte en images, et très honnêtement on doit à travers ces images-là éduquer le monde entier. »

Deux types de photojournalisme
Pour percuter l’esprit de son spectateur, une photographe fait face à deux choix. Il peut utiliser une image volontairement agressive, avec du sang, des corps faméliques ou parfois même des morts. Le spectateur est alors directement choqué, au même titre qu’un « screamer » dans un film d’horreur qui fait sursauter le visionneur sans qu’il le veuille. Le photographe peut aussi créer une épouvante plus fine, indirecte. C’est alors l’imaginaire du spectateur qui créée la peur, la tristesse ou la mélancolie. « Il y a un côté sensationnel à la photo que ne permet pas forcément un article ou une vidéo » analyse Etienne Henocq, directeur artistique freelance. « Ce qui est intéressant avec la photo, c’est qu’elle peut être visionnée et comprise indépendamment de la langue parlée par le spectateur ». Le choix de placer d’image en pleine page en Une de magazine n’est d’ailleurs pas étranger à ce concept : la photo doit renseigner le lecteur au premier regard sur toutes les informations importantes. Des tabloids anglais comme The Sun (journal le plus vendu du pays) ou le Daily Mirror n’hésitent pas à avoir recours à des images agressives en Une, qui entrainent bien souvent sur des ventes massives. La tendance française est malgré tout à la modération sur les photos choc : « On nous a trop souvent exposé à des images choquantes pendant des années que le choquant ne l’est même plus maintenant » avance Louis Witter, photojournaliste indépendant. « Aujourd’hui, on pense plutôt à la dignité du sujet de la photographie qu’au spectateur qui verra l’image ». L’Agence France-Presse a, elle, fait le choix de proposer toutes les images en sa possession, qu’elles soient graphiques ou non. « On n’a pas de censure iconographique [à l’AFP]. Toutefois, si la photo n’apporte rien et si l’image voisine de gauche ou de droite a la même signification avec légèrement un peu plus de dignité pour un, 2 ou 20 corps, on autorisera le fait de prendre celle-ci. » avance Olivier Morin.
Les réseaux sociaux amènent toutefois des changements : le modèle de diffusion autrefois employé qui laissait les journalistes seuls maîtres de l’actualité qu’ils choisissent de diffuser est partiellement révolu. L’information est désormais relayée sur les réseaux sociaux et donc accessible à chacun. Dans le flux continu d’images ajoutées chaque seconde, on retrouve de nombreux clichés choquants qui échappent à la modération des GAFAM. Autant de zones d’ombre qui contribuent à la banalisation des images de violence en ligne.
Améliorer la couverture médiatique de l’urgence climatique
Si les Assises du Journalisme ont réuni des centaines de journalistes de tous bords autour de la thématique climatique, ce n’est pas parce que parler d’environnement est à la mode. L’AFP, référence journalistique de premier ordre, se penche sérieusement sur le sujet : « Nous ouvrons un service qui s’appelle le pôle Planète dont je ferai partie et qui va avoir la charge de documenter le changement climatique et ses impacts au quotidien » ajoute Olivier Morin.L’urgence climatique est réelle, et le rôle des journalistes est central. Les photojournalistes sont eux aussi concernés : « La photo a une place centrale dans la diffusion d’idées, quelles qu’elles soient. Un politique soigne tout particulièrement ses affiches de campagnes et un publicitaire exploite des affiches dans le métro, c’est normal » détailleEtienne Henocq. « On sait tous qu’une photo est parfois beaucoup plus impactante dans l’opinion publique et les consciences collectives qu’un texte de mille mots » détaille Olivier Morin. Plus que la capture d’un instant d’histoire ou d’une scène de vie ordinaire, le photojournaliste éditorialise forcément ses clichés. « Le cadrage est une forme d’éditorialisation, on choisit forcément de photographier quelque chose plutôt qu’une autre » avance Louis Witter. L’objectif du photographe ne couvrant qu’au maximum un angle de 180 degrés, appuyer sur le déclencheur revient à obturer une partie de la réalité, tout en faisant un focus sur un élément précis

Actuellement en reportage au nord de la Norvège, Olivier Morin recherche des ours polaires qui se font de plus en plus rare à cause de la fonte des glaces. « La légende veut qu’il y ait plus d’ours que d’habitants. Or, quand on se promène une semaine sur la partie sud de l’île, le Svalbard (qui fait la taille de la moitié de la France), on ne voit jamais d’ours. » Avec son appareil photo, Olivier cherche à témoigner de la situation critique de la faune polaire : « Il y a 3 semaines, à quelques dizaines de kilomètres de là où j’étais, il y a un ours qui a mangé les petits de la femelle avec qui il a fait ses petits. Ils en arrivent carrément à faire de l’anthropophagie. » « On sentait dans l’attitude qu’il avait une démarche lourde, lente, d’économie d’énergie, d’économie de calories. »
« Sur les thématiques climatiques, nous avons un devoir d’information de manière générale » résumeJérôme Huffer, chef du service photo de Paris Match. Olivier Morin conclut : « Il est beaucoup plus difficile de faire comprendre au grand public les conséquences du réchauffement climatique avec des textes, des écrits plutôt qu’avec des images assez parlantes ou des vidéos. »