Gilles Vanderpooten, auteur d’Imaginer le monde de demain, le rôle positif des médias (Actes Sud, 176 pages) est directeur général de Reporters d’Espoirs, un média dit « de solutions » qui opte pour un traitement plus optimiste de l’actualité. Le combat qu’il mène, à travers ses articles ou ses interventions dans les écoles de journalisme, c’est celui d’une méthode journalistique moins anxiogène, qui émerge depuis une vingtaine d’années, et qui suscite parfois le scepticisme ou le rejet d’une partie de la profession.
Il y a beaucoup d’a priori sur le journalisme de solutions, qu’on confond parfois avec un journalisme « feel good ». Qu’en est-il vraiment ?
Le journalisme de solutions n’a rien de « feel good », et pourtant c’est ce que pensent beaucoup de journalistes — et de citoyens en règle générale. Nous menons parfois des enquêtes poussées qui dénoncent et qui s’intéressent à tous types de problèmes, qu’ils soient sociaux, environnementaux, sanitaires ou économiques, par exemple.
Maix contrairement au commun du journalisme, on ne s’arrête pas au constat ni a l’analyse de ces problèmes ; on pousse le raisonnement jusqu’à leurs potentielles solutions. En deux mots, c’est un journalisme à spectre large.
Comment se fait le choix de vos angles ? Est-ce qu’ils partent de l’idée d’une solution pour ensuite expliciter le problème, ou est-ce l’inverse ?
L’idée, ce n’est ni de décrire un problème seul, ni de décrire une solution seule. Il faut mettre en exergue ces deux éléments, qu’ils soient complémentaires dans la réflexion, pour parvenir à un raisonnement complet pour le lecteur.
Dans la construction de l’accroche, il y a des cas où le problème est le sujet principal de l’article, et la solution vient en complément ; et parfois c’est l’inverse : on s’intéresse à une initiative, puis on la contextualise. Pour vous donner un exemple, quand le Monde Diplomatique fait une enquête sur « Peut-il exister un téléphone équitable ? », ils s’intéressent à toute la chaîne de production de la téléphonie mobile, depuis les mines d’extraction de composants en Afrique jusqu’aux chaînes de fabrication et d’assemblage en Chine, et enfin en France et au Danemark pour la distribution et la vente des produits finis. Ils ont un regard très critique sur ce parcours du téléphone à travers le monde, et en même temps ils essayent toujours de mettre en valeur, tout au long de l’article, des solutions alternatives et respectueuses de l’environnement et des conditions de travail.
Donc on voit bien, pour revenir à votre question, qu’il y a plusieurs angles d’attaque d’un papier de journalisme de solution. Il n’y a pas de dogme.
Comment gérez-vous les sujets sans solution apparente ?
Il y a certains médias de solutions qui vous diront qu’ils ne le traitent pas, parce qu’il n’y a pas d’éléments de réponse, voire que ce serait indécent d’évoquer des réponses possibles. C’est le cas d’un attentat ou d’une catastrophe naturelle, par exemple. Nous, à Reporter d’Espoirs, nous arrivons parfois à les traiter, parce qu’on trouve parfois des élans de solidarité qui, s’ils ne sont pas en soi des solutions à la catastrophe, apportent une vision moins désastreuse de la situation.
Détailler ces instants d’humanité, sans bien sûr oublier de parler de la gravité de l’événement, c’est un travail que la plupart des journalistes ne font pas, parce que beaucoup agissent dans l’action sans prendre de recul. Mais j’ai aussi vu, au contraire, des journalistes qui, pendant des catastrophes naturelles, détaillaient l’organisation humaine qui était mise en place pour y pallier.
En fait, le terme de « journalisme de solutions » est plus une aspiration à toujours apporter les solutions ; sauf qu’il n’existe pas toujours de solutions à des problèmes. Mais pour éviter l’anxiété générale, on cherche toujours le positivisme d’une situation, même s’il semble que tout soit chaotique à certains moments. En fait, je me considère plus comme un journaliste constructif.
Vous arrive-t-il de remettre en question les solutions que vous proposez ?
Oui, bien sûr, c’est l’idée. La théorie du « journalisme de solutions » a pensé à tout. On donne le problème, la solution, mais aussi les problèmes que comporte cette solution. On ne fait pas croire à notre lecteur qu’une solution est absolue, qu’elle sera viable à vie et qu’elle est transposable partout. Ce serait lui mentir.
Nous sommes des journalistes avant tout. Si une solution a des limites, on se doit de les donner, évidemment. D’ailleurs, toute chose comporte des problèmes plus ou moins importants. Replanter des forêts comporte des problèmes, car il faut acheminer les arbres ; les voitures électriques comportent des problèmes, car les batteries ne sont pas recyclables en totalité… Ce qui compte, c’est la solution qui sera la plus avantageuse pour compenser un problème social, environnemental ou sanitaire à un instant donné.
Thomas ANDRÉ