Nicolas Hulot était invité mercredi 29 septembre aux Assises du journalisme de Tours en qualité de président d’honneur de son association éponyme. Mais suite à l’intervention de militantes féministes, brandissant l’accusation de viol qui vise l’ancien ministre de l’Écologie pour des faits datant de 1997, la soirée a tournée court.
« On n’a rien contre l’écologie. On est écologistes, on est féministes, et on est pour la parole des victimes. Et on est fatiguées, aujourd’hui ! », a tonné Raphaëlle, membre active de « Nous Toustes » Indre-et-Loire (37). À l’occasion d’une conférence, le 29 septembre, sur l’urgence climatique et sanitaire aux Assises du journalisme de Tours, elles étaient une quinzaine, membres de diverses associations (« Les Grenades », « Stop au harcèlement de rue », « Solidaires Étudiant-e-s » et « Nous Toustes »), à escalader la scène, pancartes en main, pour dénoncer la participation au débat de Nicolas Hulot, entendu en 2008 dans une affaire de viol sur Pascale Mitterrand, petite-fille de François Mitterrand, et qui avait bénéficié d’un non-lieu pour prescription.
« Vous avez des personnes ici qui viennent porter… je ne sais pas si c’est des insinuations ou des accusations », a réagi l’ancien présentateur d’Ushuaïa, déclarant ensuite : « Je vais faire ce que vous auriez dû faire si le sentiment de honte ne vous était pas épargné : simplement vous lire ce que le procureur de l’époque a bien voulu dire. » Puis, sortant son téléphone : « “ Les faits dénoncés, en tout état de cause, n’apparaissent en aucun cas établis”. »
Sorties par les agents de sécurité sous les huées d’une partie de la salle et les applaudissements de l’autre autre, les militantes ont continué la manifestation devant l’entrée. Une demi-heure avant la fin de la conférence, Nicolas Hulot a fini par quitter lui aussi l’auditorium, accueilli à la sortie par les clameurs des militantes. Les animateurs et une partie de l’assistance, eux, ont repris tranquillement le chemin du débat qui devait initialement rythmer la soirée.
Un « fiasco journalistique »
Dans la matinée, déjà, l’atmosphère s’annonçait électrique. Certains, au lieu de manifester leur colère, ont cherché à briller par leur absence. C’est le cas de Marie Barbier, cofondatrice de la revue féministe La Déferlante, invitée mercredi à une table ronde autour des nouveaux médias de l’année, qui a annoncé annuler sa participation aux Assises. Dans une série de billets sur Twitter, la rédaction de la revue a pointé du doigt un « fiasco journalistique » autour de cette affaire. Elle a notamment critiqué le fait que « Nicolas Hulot a bénéficié d’un non lieu en raison de la prescription des faits qui lui sont reprochés » et a invité a « considérer la parole des victimes ».
Dans un autre tweet, La Déferlante a affirmé que «présupposer malgré tout son innocence revient à mettre en doute la parole de son accusatrice. » Un propos qui a carrément fait fi de la présomption d’innocence, pièce maîtresse du droit français. L’innocence n’avait pas seulement été présupposée (comme le garantit heureusement la loi) mais entérinée par la prescription, qui était à l’époque de dix ans, avant la loi de 2018 qui l’a portée à 30 ans. Piétiner ainsi le principe de présomption d’innocence, qui stipule que la charge de la preuve doit être apportée par l’accusation, donc par le ministère public, revient à abandonner l’un des fondements de l’Etat de droit.
Au lendemain de cette subite annulation, c’était au tour de Leïla Miñano, secrétaire générale du média en ligneDisclose, invitée à parler de l’importance d’enquêter sur l’environnement, d’annoncer son retrait des Assises. Une publication sobre et froide sur Twitter, pour annoncer que la présence de Nicolas Hulot était « problématique », d’autant qu’elle n’avait pas obtenu la garantie « que lors de cette conférence sur “ la responsabilité journalistique”, Nicolas Hulot pourrait être librement questionné ».
Des témoignages accablants
C’est une affaire ancienne, méconnue du grand public et récemment remise sur la table, qui ébranle les Assises du journalisme de Tours. Celui qui a ravivé la flamme n’est autre que Jean-Michel Aphatie, éditorialiste sur LCI, dont le livre Les Amateurs (Flammarion, 280 pages) est paru le 8 septembre dernier. Il y raconte les coulisses du quinquennat d’Emmanuel Macron et revient notamment, dans un chapitre, avec force détails et témoignages, sur les accusations de viol qui ont visé son ancien ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot.
L’histoire commence en juin 1997. Pascale Mitterrand se destine au photojournalisme et effectue son stage à l’agence de presse Sipa. Elle a 19 ans, Nicolas Hulot en a 42. Ce dernier, figure incontournable du documentaire nature, présentateur de la célèbre émission Ushuaïa, sur TF1, vient d’acquérir une maison en Corse et propose à l’agence Sipa l’exclusivité des clichés de la demeure. Pascale Mitterrand y est envoyée seule pendant une semaine. De ce séjour, elle serait revenue changée, et abandonne immédiatement les études de photojournalisme. Onze ans plus tard, le 11 juillet 2008, elle se rend à la gendarmerie des Landes (40) pour porter plainte contre Nicolas Hulot, pour des faits de viol qui se seraient déroulés pendant cette semaine en Corse.
L’affaire fait peu de bruit. Bérangère Bonte, journaliste à Europe 1, qui publie en 2010 l’autobiographie de l’écologiste, passe totalement à côté de l’affaire, n’y consacrant qu’une dizaine de lignes tout au plus, et encore sur un ton presque sceptique. Plusieurs années après, son avis change. Un extrait d’interview avec Gökşin Sipahioğlu, fondateur de Sipa Press, a retenu son attention. « Nicolas Hulot, un jour, voit dans un journal que la petite-fille de Mitterrand est photographe à Sipa Press. Il a vu la photo, il m’a appelé tout de suite : “Est-ce que tu peux m’envoyer cette fille pour faire un reportage ?”[…] Elle est partie une semaine chez lui, en Corse, il ne l’a pas laissée faire des photos à l’intérieur. […] Lui a sans doute passé un bon moment mais il n’a pas donné l’exclusivité de la maison. »
Raphaëlle, de « Nous Toustes », n’a connu que très récemment cette affaire Hulot, comme beaucoup de gens, grâce à un article de Reporterre paru le 22 septembre 2021, qui s’appuie sur des passages du livre de Jean-Michel Apathie. En plus de vingt ans, peu d’articles se sont emparés du sujet. « On a obtenu ce qu’on voulait : qu’il y ait enfin un questionnement des médias sur cette affaire, et plus généralement sur toutes les affaires qui concernent les violences sexuelles ou les viols. On veut maintenant que la société se questionne sur les délais de prescription pour ce genre de délits abominables. »
Thomas ANDRÉ