ADJ 2021

Elections Présidentielles : les médias sous pression

Terrain de jeu des grands patrons, tyrannie des communicants, folie des chaînes d’info… A un peu plus de six mois de l’élection présidentielle, dans un univers en plein bouleversement économique, la proximité entre responsables politiques et industriels n’a jamais été aussi présente. 

BFMTV, CNEWS, TF1-LCI, EUROPE 1, RMC, autant de chaînes d’infos et de radios qui appartiennent à des groupes industriels. Est-ce que l’appartenance d’un média à un groupe de presse peut influencer sa façon de traiter l’information ? Inévitablement la « Bollorisation » des médias avec le groupe Vivendi qui détient entre autre toutes les chaines Canal en est l’exemple parfait. « On a rarement vu un patron de presse prendre autant de place. Vincent Bolloré a une influence très forte en imprimant une ligne éditoriale très marquée. » souligne Alexis Levrier, historien de la presse, auteur de « Jupiter et Mercure » (Éditions Les petits matins).   

CNEWS et Eric Zemmour à l’origine du fiasco 

Aujourd’hui CNEWS anciennement appelée Itele, est une chaîne d’opinion. Rappelons tout de même que CNEWS a dépassé son éternel concurrent, sur certaines tranches, qui n’est qu’autre que BFMTV en terme d’audience.  Un indice inquiétant.

Antoine Genton rédacteur en chef adjoint de TV5 Monde a vécu la transition et le virage politique de cette ancienne chaîne d’infos : « A l’époque Itele perdait 20 millions d’euros par an. L’objectif était de réduire les pertes. Le discours que l’on entend aujourd’hui sur CNEWS n’était même pas inimaginable. Quand Zemmour était à l’antenne ça suscitait déjà beaucoup de débats au sein de la rédaction. La direction misait tellement sur lui qui n’ y avait pratiquement plus de reportages sur CNEWS c’est très inquiétant ». Un constat que partage totalement Alexis Levrier, longtemps invité sur la chaîne après la sortie de ses livres : « En 4 ans, j’ai vu l’évolution de CNEWS. Les journalistes sont humiliés par les éditorialistes. Pendant les pubs, Jean Messiah demandait qu’on lui donne davantage la parole. Les journalistes se font dominer. Ça me fait de la peine sur le plan humain. Les journalistes ont abandonné leurs règles déontologique ». Un témoignage glaçant mais qui malheureusement est devenu banal pour ces journalistes qui renoncent à leur éthique. 

Vincent Bolloré impose son empire médiatique. Disons-le, aujourd’hui le mal est fait. Pendant 2 ans Éric Zemmour a fait des déclarations (régime de Vichy par exemple) sans s’appuyer sur des faits. Il était en face d’une journaliste sans très grande opposition, Christine Kelly pour ne pas la citer. Heureusement que le cahier des charges du CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel)* et le temps de parole des responsables politiques est à respecter ! Une loi qui n’empêche pas cependant CNEWS d’invité Charlotte d’Ornellas (journaliste à Valeurs Actuelles) cinq fois en dix jours. L’élection se profile et le récit médiatique va se construire autour de Zemmour pour cette campagne. Tous les matins, en écoutant plusieurs matinales différentes même celle du service public (ex: France Inter) une question minimum est posé en rapport avec Éric Zemmour.  Les médias courent après l’audience quitte à perdre de vu la déontologie de leur métier. Après cette campagne, les rédactions se reprendront-elles  en main comme celle du New York Times après  l’élection de Donald Trump ?  Moins de commentaires et plus d’enquêtes et de reportages redoreront l’image des médias. 

L’actuel Président de la République, Emmanuel Macron a reçu la rédaction de Valeurs Actuelles en mai 2019. Il a donné une interview exclusive au magazine alors qu’il en accorde très rarement au Monde par exemple. Le vrai modèle de communication du président  Macron c’est François Mitterrand avec la stratégie jupiterienne. Rappelons que Bruno Roger Petit (ancien journaliste maintenant porte parole de l’Elysée) est très proche de Brigitte Macon et qu’il cultive des liens de proximité avec CNEWS, Pascal Praud et Valeurs Actuelles. Le chef de l’État utilise de plus en plus les réseaux et même des humoristes (Mcfly et Carlito) une manière d’éviter les médias traditionnelles tout en s’orientant vers les jeunes. 

Des médias qui tentent de ne pas plonger 

Raphael Garrigos et Isabelle Roberts, (cofondateurs de Les Jours) ont longtemps enquêté sur l’empire Bolloré. « Le risque c’est que l’exemple de CNEWS se répète dans d’autres médias.  Europe 1 est en déclin mais c’est tout de même plus d’un millions d’auditeurs tous les matins. Et là encore c’est toute la clique de CNEWS qu’on retrouve. » explique Rapahel Garrigos ancien journaliste à Libération. Un problème supplémentaire se pose pour Les Jours à savoir l’aspect financier pour ces indépendants du métier. « ll y a un problème d’égalités entres les médias. Les Jours on a les Aides à la Presse mais on demande qu’elles soient plus égalitairement réparties. » Idem pour le quotidien Libération qui a crée un fond de dotation depuis l’an dernier . Lilian Alemagna, rédacteur en chef du service politique, assure :  « on subit aucune pression de notre propriétaire. (Patrick Drahi possède le groupe Altice). On a notre ligne éditoriale que tout le monde connait. Pour cette élection on la conservera. On a signé une charte d’indépendance qui nous garantit notre liberté ». Par ailleurs, Vincent Bolloré a racheté le groupe Prisma qui détient entre autre le magazine Voici. Un nouveau support sur lequel il pourra mettre en scène toutes ses convictions. L’élection présidentielle pointe le bout de son nez, les français auront un choix à faire. Les médias un rôle essentiel pour les informer. Reste à ce que la déontologie du métier soit respectée dans toute son entièreté. 

Comme la majorité des marchés, la presse se concentre entre les mains de quelques uns, dans un mouvement qui s’est accéléré à partir de 2010. En France, 10 milliardaires possèdent quasiment toute la presse: Bouygues, Xavier Niel, Dassault, Bernard Arnault, Bolloré, Pierre Bergé, Patrick Drahi, François Pinault, Matthieu Pigasse et Lagardère. 

*(Le président du CSA est nommé par le Président de la République, le président du Sénat et de l’Assemblée) 

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