Les émissions policières (« cop shows ») sont diffusées et rediffusées sur la TNT. Elles tentent de montrer la vie des secours — le plus souvent de Métropole, mais également des DROM — en les suivant pendant plusieurs semaines. Au plus proche de l’action, mais peut-être moins de la réalité…
En moyenne un jour sur deux, parfois sur plusieurs chaînes simultanément, et chaque semaine sans exception. Les « cop shows » — émissions suivant de près les secours, policiers en tête — sont devenus des programmes incontournables de la télévision. Ce jeudi 30 septembre, ce sont les gendarmes de la Grande Motte qui passent un « été sous haute pression » dans Au Cœur de l’Enquête (CSTAR). En deuxième partie de soirée, TMC et ses 90′ Enquêtes emmènent les téléspectateurs au cœur des unités chargées de lutter contre les vols de vélos.
Si les épisodes de première partie de soirée sont généralement inédits, les rediffusions se font sans limite et à toute heure de la journée. Ils sont parfois publiés en intégralité sur des plateformes telles que YouTube, alors que les meilleurs moments sont partagés des milliers de fois sur les réseaux sociaux. Les « memes » de Twitter (détournement d’images dans un but humoristique) font souvent référence aux « cop shows », alors que les voix off qui y sont utilisées sont devenues incontournables.
Ahmed était un grand consommateur de ces émissions. « Cela permet de suivre des histoires vraies et de vivre l’action comme si on y était » analyse l’informaticien de 24 ans, qui appréciait « la proximité avec les flics (sic) ». Mais Ahmed a fini par changer de chaîne, se justifiant par la « lassitude de voir toujours la même chose » et où « tout se passe toujours bien ». Là est toute la particularité de ces reportages, dans lesquels chaque policier est un professionnel modèle. Aucun mot de travers, et une utilisation de la force seulement en cas d’absolue nécessité. Si Ahmed n’hésite pas à parler de « propagande policière », le journaliste Adrien Franque parle lui « d’outils de communication » et d’un « relais en faveur de l’image des forces de l’ordre ».
Avec son collègue Ismaël Halissat, Adrien Franque a écrit un article en août dernier sur ce qu’ils appellent les « flics stories ». Pour Libération, et avec des témoignages de personnes impliquées dans ces tournages, ils tentent de démontrer que « les journalistes [de ces tournages] sont tenus de pointer la caméra là où la police le souhaite ». Ces programmes réunissent chaque soir entre 500 000 et 800 000 téléspectateurs.
Chacun y trouve son compte, sauf les journalistes
Une part d’audience intéressante pour des chaînes telles que W9, TMC ou encore CSTAR, qui peuvent ensuite faire des rediffusions quand bon leur semble. « C’est spectaculaire et cela propose un programme plein de testostérone, c’est ce qui plaît à la télévision » remarque Adrien Franque. Les chaînes sont donc autant gagnantes que les autorités, chacun y ayant « trouvé son compte ». Quand la police valorise son image avec une « version rêvée de ses effectifs », les programmateurs augmentent leurs statistiques et donc le prix des publicités.
Après une conférence agitée dédiée au rapport Delarue, le directeur de la communication extérieure de la gendarmerie nationale a accepté de rapidement aborder le sujet. Pour le colonel Nicolas Benevant — qui ne parle donc pas au nom de la police nationale –, ces émissions n’ont pas pour but de donner une image positive des gendarmes mais de « faire découvrir leur fonctionnement à la population, en leur dévoilant des actions menées quotidiennement ». Des opérations allant des plus réputées — lutte contre le banditisme — à celles que le grand public connaît moins, comme la protection de l’environnement, le thème des Assises du Journalisme 2021.
Le directeur de communication souhaite parler de « redevabilité » envers les citoyens, qui doivent pouvoir suivre le travail des forces de l’ordre si elles le souhaitent. Les émissions policières participent donc à cet objectif en se vantant de ne rien censurer des actions des gendarmes. Aucun pré-visionnage ne serait effectué par la gendarmerie. Tout comme aucun « cop show » n’aurait été réalisé à l’initiative même de la gendarmerie. Des affirmations que dénoncent les journalistes de Libération qui ont enquêté sur le sujet.
Plusieurs boîtes de production se sont spécialisées dans ces reportages et bénéficient d’autorisations de tournage, qui selon le colonel Nicolas Benevant ne sont soumises à aucune contrainte ou censure. Ceux qui filment ne sont d’ailleurs pas forcément journalistes. Il s’agit souvent de cameramen travaillant en étroite collaboration avec des réalisateurs. La seule limite qui leur est fixée est celle de « la jurisprudence de la Cour de cassation » explique le militaire, citant par exemple les enquêtes en cours, qui ne peuvent pas être filmées.
Aussi distrayant soient-ils, les « cop shows » contribuent ainsi à la méfiance envers les journalistes. Les téléspectateurs peuvent penser — à juste titre — que ces programmes sont réalisés par des journalistes, qui participeraient donc à une valorisation peut-être trompeuse de l’image de la police. Alors que les professionnels sur place ne sont quasiment jamais des journalistes reporters d’images (JRI). Sur les réseaux sociaux, il arrive également que la gendarmerie fasse la promotion de ces programmes avant leur première diffusion.
« J’ai déjà discuté avec quelqu’un qui voulait devenir journaliste pour ‘faire comme dans 90′ Enquêtes’ » se souvient Adrien Franque. Une anecdote peu réjouissante pour le métier mais qui profite davantage aux ordres de l’ordre. La police attire ainsi de nouvelles recrues, rassurées par le bon déroulement des missions filmées. Il convient d’ailleurs de noter qu’aucune « flic story » n’a été réalisée pendant des manifestations. Peut-être qu’il aurait été plus compliqué de ne montrer que de belles interventions. Les « cop shows » ne peuvent donc pas être considérés comme des documentaires. Sans pour autant les qualifier de pure fiction, ils montrent une facette embellie d’un métier dans le quotidien est bien moins agréable.
Etudiant à l'Institut Supérieur des Médias de Paris (ISCPA).