Les associations tirent la sonnette d’alarme : face au dérèglement climatique, la seule issue est de revoir complètement les activités humaines. Mais à l’heure où le mot d’ordre n’est plus à la pédagogie mais à l’urgence, certains restent encore sceptiques. La question de leur donner la parole reste sujette à débat dans les médias.
Oubliez la figure du climatosceptique derrière l’écran de son ordinateur, ingurgitant par centaines des informations douteuses, sur des sites non moins douteux, et les relayant fiévreusement sur les réseaux sociaux à sa communauté de pensée. Le climatoscepticisme, ce n’est pas que cela. Le climatoscepticisme, c’est aussi des scientifiques, des chercheurs qui, à des degré variables (c’est le cas d’employer le terme), nient la responsabilité de l’humain dans la dégradation de l’environnement ou, pire, nient carrément cette dégradation.
Les rapports, articles, revues et — plus éloquentes encore — les catastrophes naturelles en série ne manquent pourtant pas. Dans le premier volet de son sixième rapport sur les dégâts climatiques liés aux émissions de gaz à effet de serre, publié le 9 août 2021, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) étudie trois scénarios différents pour la planète à l’horizon 2030 : dans le meilleur des cas, si tous les moyens étaient mis en oeuvre par les Etats pour la sauvegarde des écosystèmes, elle subirait une augmentation de température de 1,5°C ; dans le pire (et le plus probable) cette dernière avoisinerait les 4°C.
Plus récent encore, un rapport de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) dresse le bilan de 50 années de catastrophes naturelles depuis 1970. Le résultat est sans appel : en cinq décennies seulement, le risque a été multiplié par cinq. Bien que les dégâts humains aient été réduits depuis, il n’y a plus de quoi relativiser sur la situation actuelle.
Négateurs et relativistes
« Le confort pour un scientifique, c’est d’être dans la nuance », s’exaspère Pierre-Henri Gouyon. À l’occasion d’un débat donné aux assises du journalisme 2021, mercredi 29 septembre, sur le dialogue entre journalistes et chercheurs, le membre du conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot a réaffirmé sa détestation pour la nuance, à l’heure où le temps est compté pour la planète. « Ça commence à bien faire. Actuellement, il y a des industries qui détruisent notre planète. Ces industries, on les connaît. Bien sûr, il y a d’autres facteurs, mais la première des choses, c’est de faire en sorte qu’elles arrêtent. Après, on pourra discuter des autres détails. »
Pour étayer son propos, Pierre-Henri Gouyon prend l’exemple du 15 décembre 1953, date qu’il prononce en égrenant chaque syllabe. Le 15 décembre 1953, l’industrie du tabac, comprenant qu’elle ne gagnera rien à nier la causalité entre tabagisme et cancer du poumon, décide de se rapprocher du milieu scientifique. Plutôt que de démentir le fait qui les incombe, les fabricants de cigarettes cherchent tout un tas d’autres explications au cancer du poumon. « Ils ont fait dans la nuance, ils ont cherché une multitude de facteurs pour noyer le poisson. »
La pratique est devenue monnaie courante, aujourd’hui. Un documentaire d’Arte du 23 février 2021, intitulé « La fabrique de l’ignorance », a retracé les cas notables où l’industrie a fait appel à la science pour légitimer sa position.
Faut-il faire parler les climatosceptiques ?
C’est une question qui continue de faire débat dans le milieu du journalisme. Taire le climatoscepticisme, n’est-ce pas passer à côté de l’avis d’une frange de la population ? N’est-ce pas, non plus, inciter les climatosceptiques à aller s’informer sur des plateformes douteuses qui, elles, leur donneront la parole ?
Elle aussi présente à la conférence, Jennifer Gallé, journaliste à The Conversation, a décidé d’arrêter de donner la parole aux négateurs du changement climatique. « Pendant longtemps, on a laissé la parole aux climatosceptiques, regrette-t-elle. C’est une question de responsabilité journalistique que de laisser trop de temps de parole à ceux pour qui le consensus scientifique n’est pas un fait acquis. On verse dans la responsabilité d’alimenter le complotisme. »
Hervé Poirier, rédacteur en chef pour le nouveau média Epsiloon, spécialisé dans la vulgarisation scientifique, a quant à lui un avis différent sur la question. « Nous sommes un média qui traite de la recherche scientifique, pas des idées qui font consensus dans le milieu scientifique. Nous partons du principe que le dérèglement climatique n’est pas une hypothèse mais un fait vérifiable. En revanche, si un scientifique a un avis différent des autres sur les causes de ce dérèglement, il trouvera la parole dans notre média. Le scepticisme est une qualité. »
Thomas ANDRÉ