Si certains médias ont opté pour une sensibilisation du public au respect de l’environnement et aux dégâts causés par l’humain sur la planète, aucun d’entre eux ne peut se targuer d’être exemplaire en la matière. Du journaliste envoyé en reportage à l’impression du quotidien, les pratiques des rédactions, encore trop polluantes, sont difficiles à abandonner.
Non, aucun média n’est propre. Et au vu de la conjecture actuelle, cela ne semble pas près de changer. Le papier est un gros générateur d’émissions : le groupe Bayard presse a évalué qu’un quotidien de presse régional émettait, au numéro, environ 200 grammes d’équivalent CO2 ; pour un magazine tel que le National Geographic, la chercheuse Terrie K. Boguski avait évalué en 2010 son impact à 820 grammes d’équivalent CO2 par exemplaire. La revue WeDemain a disséqué toutes les étapes que traverse un média papier, de son écriture jusqu’à la livraison du produit fini dans la boîte aux lettres, par ordre d’émission de gaz à effet de serre : la fabrication arrive en première place (71%), suivie de la distribution (17%), de la conception (10%) et la diffusion (2%).
Alors, oui, la presse a un coût environnemental lourd. Si l’on additionne la fabrication du papier, l’encre à y apposer, les énormes rotatives qui tournent toute la nuit, puis l’envoi postal par camions — et parfois par avion —, le tout représente pas moins de 88% de l’empreinte carbone du média.
Le numérique, une pollution plus tapie
Que les médias en ligne ne se réjouissent pas trop vite. Si leur signature carbone est difficilement calculable, elle est, dans une autre mesure, au moins aussi conséquente que celle de la presse papier. C’est ce qu’affirme Julien Marcaut, chargé de communication sur le digital pour le fournisseur d’électricité Engie, dans un entretien donné au HuffingtonPost le 12 novembre 2020. Pour lui, le numérique « représente environ 10% de la consommation électrique dans le monde. Sur la question des gaz à effet de serre, on est proche de 3% des émissions, ce qui équivaut à peu près au secteur aérien ».
Oui, car toutes ces pages internet, qu’on consulte en toute innocence, pensant préserver les forêts en évitant de couper des arbres pour fabriquer des journaux, elles sont bien stockées quelque part. Et généralement, les serveurs qui centralisent les données sont à des milliers, voire des dizaines de milliers de kilomètres de chez nous. Résultats : des échanges permanents d’informations vers et depuis l’autre bout du monde, et des moyens énormes mis dans le refroidissement de ces centrales à données.
Et cela va plus loin encore. L’impact environnemental d’un contenu digital varie en fonction de la quantité de public qui la consulte, des partages qu’elle génère sur les réseaux sociaux, de son design graphique, du temps de lecture et même — il est important de le préciser — du matériel qu’utilise le lecteur pour le consulter (rappelons à toutes fins utiles que les matières premières, métaux rares et autres plastiques utilisés à la fabrication d’appareils électroniques représentent pas moins de 80% de l’empreinte carbone numérique, selon l’Agence de la transition écologique).
En bref, le calcul de l’empreinte carbone des médias en ligne se révèle être un véritable casse-tête, assorti de pas mal de désillusions. Mais pour Julien Marcaut, l’avenir reste dans le numérique : « On ne veut pas pointer du doigt le digital, en criant au scandale. Envoyer un email a toujours moins d’impact qu’une tournée d’un facteur en voiture, organiser une visioconférence est moins gourmand que les transports, qui permettent de réunir tout le monde en présentiel… Notre objectif est de rationaliser les usages, d’expliquer que les actions digitales ne sont pas anodines ou neutres en consommation énergétique. »
Des démarches balbutiantes pour compenser son empreinte
« Aujourd’hui, on ne peut pas, en tant que médias, se contenter de diffuser une parole vertueuse sans se l’appliquer à soi-même. On se doit d’agir. » Julien David est responsable marketing et chargé du développement RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) au groupe Prisma Media, filiale de Vivendi qui détient force titres de magazines célèbres tels que National Geographic, Femme Actuelle ou encore Gala. Il y a un an, Prisma Media s’est donné un objectif audacieux mais nécessaire : la neutralité carbone sur l’ensemble de son catalogue.
En mars 2021, avec l’aide de l’entreprise EcoAct, le groupe a mis en place sa « calculette carbone des médias », dans le but de quantifier les émissions carbone de chacun de ses titres. « Nous avons crée un outil très précis, explique-t-il. Il prend en compte le grammage du papier, le poids du magazine, son impression, sa distribution, mais aussi des indicateurs encore plus abstraits tels que la position géographique des serveurs qui stockent nos données, le matériel utilisé par le lecteur ou encore le fait qu’il consulte un article via ses données cellulaires (c’est le cas dans environ 60% des cas) ou sa connexion wifi (40%). Évidemment, on ne peut pas atteindre un résultat absolument fiable, mais on s’en rapproche au maximum. »
Puisque le média, quel qu’il soit, « ne pourra jamais être totalement nul en émissions carbone », selon Julien David, le tout reste de savoir comment il peut les compenser, notamment en finançant des associations ou entreprises respectueuses de l’environnement, en mettant en place lui-même des initiatives en faveur de l’écologie ou en menant une campagne de sensibilisation auprès des publicitaires.
De plus en plus d’initiatives de ce type sont observées dans le paysage médiatique français. Chez le HuffingtonPost ou le service vidéo du Monde, même remise en question de leur empreinte carbone et réflexion autour des méthodes pour y pallier au maximum. Alors, la révolution écologique des médias serait-elle en marche ?
Thomas ANDRÉ