
Plongée dans une crise économique et sociale aggravée par l’épidémie, l’Argentine encoure pour la neuvième fois de son histoire un nouveau défaut de paiement.
L’Argentine est de nouveau en défaut de paiement. « La crise macroéconomique de l’Argentine est particulièrement délicate, dans un scénario international qui est lui-même délicat », affirme Mariana Heredia, docteure en sociologie et chercheure au Conseil national de la recherche scientifique et technique du gouvernement argentin. Le ministre des Finances argentin, Martin Guzman, s’est montré ferme : « L’Argentine ne peut plus rien payer. » Le constat du Fonds monétaire international (FMI) est sans appel : la dette argentine n’est « pas soutenable. »
Pour le président péroniste de centre gauche, Alberto Fernandez, l’imprévu de la situation met le début de son mandat à rude épreuve. Fraîchement élu en décembre 2019, il doit composer avec la crise économique et la crise sanitaire. Après un discours très social lors de son élection, le président argentin a promis, en plus d’une augmentation du matériel médical pour encaisser les conséquences de l’épidémie, des aides sociales, de la nourriture pour les plus pauvres et des crédits pour la survie des petites entreprises. Au-delà des problèmes macroéconomiques, Alberto Fernandez doit assumer le prêt contracté par son prédécesseur, Mauricio Macri, auprès du FMI, élevé à 44 milliards de dollars. « Aujourd’hui, tous les indicateurs sociaux vont montrer du recul, mais ce n’est pas la faute de sa politique », souligne Mariana Heredia. Cependant, les aides promises par Alberto Fernandez se retrouvent entravées par la paralysie des ressources dédiées.
Dès le début, le gouvernement a priorisé la santé de la population argentine en consultant rigoureusement les épidémiologues dans la gestion de la crise sanitaire, contrairement au Brésil ou aux Etats-Unis « qui ont nié le problème, préférant privilégier le soutien des activités économiques de la vie normale. » Le gouvernement a eu le temps d’appréhender la crise en développant toute une structure de soutien économique et sanitaire, malgré une qualité de vie bien plus rude.
Le pays reste confiné jusqu’à la date encore incertaine du 8 juin. Pour le moment, seuls 500 décès sont recensés. « Nous avons eu de la chance. Sur le continent, la pandémie est arrivée plus tard et nous a donné plus de temps pour nous préparer », a déclaré le président Alberto Fernandez, lors de l’annonce du confinement obligatoire et de la fermeture des frontières argentines le 19 mars.
Une économie en récession
De l’industrie aux ressources naturelles, des banques aux finances en passant par les commerces, l’économie d’Argentine est variée. Mais les deux tiers de l’emploi sont représentés par les métiers des services, personnels ou professionnels. Quant à sa place dans le marché international, elle est, comme la plupart des pays d’Amérique Latine, « un pays exportateur des produits primaires. » Par conséquent, ces exportations rendent l’Argentine dépendante des prix extérieurs qui échappent à son contrôle. En d’autres termes, le pays n’a aucune solidité budgétaire.
Dante Fernandez Rozze, un étudiant argentin en administration d’entreprises, témoigne de « la situation économique très mauvaise » du pays : « Tout est très difficile, ici. Il y a trop d’insécurités, trop de vols, de dépenses publiques et de corruption. Il y a des taxes sur absolument tout. » Angoissé par l’avenir de son pays, il évoque d’emblée la dévaluation de la monnaie locale : en 2012, un dollar équivalait à 4 pesos argentins alors qu’aujourd’hui, un dollar correspond à 120 pesos. « Ce qui m’effraie le plus, ce sont les retenues à la source et les nombreuses taxes qui pèsent sur le secteur agricole, parce que ma famille a des champs », déplore-t-il.
« En 1989, nous avions eu une hyperinflation qui a provoqué l’augmentation des prix de l’ordre de 2 000% par an, poursuit Mariana Heredia. Et, en 2001, après l’adoption d’un régime monétaire très strict pour sortir de cette hyperinflation, c’est devenu intenable. » A la mi-2018, après une légère amélioration, l’Argentine entre de nouveau en récession. Embrigadés dans un cercle vicieux, les taux de chômage et de pauvreté ont explosé et ne diminuent pas. Aujourd’hui, tout s’effondre de nouveau, le taux de pauvreté atteint les 40 % et l’inflation dépasse les 53 %.
Mariana Heredia cite la combinaison d’une « décadence assez graduelle », qui s’illustre par la difficulté du pays à se développer, même si l’économie est en pleine croissance, et des « crises macroéconomiques plus violentes et ponctuelles. » De plus, la dépendance de l’Argentine se hisse jusqu’aux nombreux prêts contractés et qui présentent des taux très élevés. Selon le rapport économique établi par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : « La dette publique est largement libellée en devises, la dépréciation du peso l’a fait gonfler d’environ 30% de PIB et atteindre des niveaux supérieurs à ceux observés dans d’autres économies de marché émergentes. » La dette argentine équivaut à 311 milliards de dollars, soit plus de 90 % du PIB.
Les rouages des finances
« L’Etat argentin a été extrêmement réactif dans le soutien des plus vulnérables », affirme la sociologue. Les travailleurs ont d’office été protégés : s’ils veulent s’en séparer, leurs employés devront payer le double, voire le triple des indemnités de licenciement habituelles. Le président Alberto Fernandez rassure les Argentins en annonçant des aides financières, mais la question de ses opposants politiques reste la même pour tout le monde : qui va payer les dettes publiques de l’Argentine ? Dans ses recherches, Mariana Heredia a constaté que les activités économiques gérant mieux la crise sont « celles qui génèrent le moins d’emplois. »
La plupart des grandes entreprises sont étrangères, sans compter que les principaux entrepreneurs argentins ont des investissements dans d’autres pays. Une partie des actifs des membres des classes supérieures locales est déplacée à l’étranger, ce qui ne permet pas à l’économie intérieure de tourner. « Comme la plupart des autres pays, l’Argentine est en train de mettre en marche la machine à faire des billets. C’est quelque chose qui était pratiquement interdit pour la gestion économique des gouvernements néo-libéraux, mais qui a été dépassée ces derniers temps », raconte Mariana Heredia. Le problème, c’est que l’Argentine fait déjà face à une inflation très élevée. Par conséquent, sa monnaie perd de sa valeur et l’inflation ne cesse d’augmenter. « Ceci dit, ce scénario peut jouer en la faveur de l’Argentine », poursuit la docteure en sociologie. Les conditions extraordinaires dans lesquelles évolue le monde ont permis une renégociation avec ses créanciers.
Le FMI a appelé les investisseurs privés à « faire un effort significatif » pour venir en aide au pays et alléger la dette. Le responsable de la macroéconomie chez Saxobank, Christophe Dembik, a ajouté qu’ils « pourraient devoir abandonner au moins 30 % du capital dû » et a estimé qu’ils pouvaient même « tabler sur 40 % ou 50 %. »
Limiter le fossé entre les inégalités sociales
Manque de postes de travail, baisse des rémunérations, les inégalités se creusent et la pauvreté augmente. Mariana Heredia pointe du doigt la gestion de la crise de 2001, dénonçant l’attachement « à étendre les droits plutôt qu’à préciser qui paierait les coûts impliqués et quand. » A la suite de cette crise, plus de 50 % de la population est tombée sous le seuil de pauvreté. Le pays parvient finalement à se redresser au cours de la décennie suivante, retombant à un taux de 32 %. Mais la crise de 2018 provoque une nouvelle hausse de la pauvreté, et, aujourd’hui, sur une population de 45 millions d’habitants, 10 millions d’entre eux vivent sous ce seuil. Or, la dégradation sociale se traduit selon d’autres indicateurs, comme « les maladies qui étaient résolues, mais qui réapparaissent » ou bien « la difficulté des jeunes de s’insérer de manière plus stable dans le système. » Un processus de longue durée désormais interrompu par l’épidémie.
Aujourd’hui, ces inégalités causent de graves répercussions sur la santé des Argentins. La qualité des soins varie selon la couverture santé des Argentins. Le système se divise en trois sous-systèmes. Le système public, dont pratiquement tout le monde peut bénéficier, le système privé, et la sécurité sociale. Les prix des médicaments sont élevés et la situation de la population vivant dans les bidonvilles est alarmante. Tout un réseau d’organisations sociales « très actif et très engagé » s’est quotidiennement déployé dans les quartiers les plus pauvres. « Ces réseaux de solidarité contribuent énormément à la gestion de cette situation singulière », approuve Mariana Heredia.
Sans compter qu’un nouvel obstacle se dresse à travers le chemin de l’Argentine : l’hiver. La sociologue souligne cette donnée inquiétante : « C’est moins dramatique au Brésil puisqu’il n’y a pratiquement pas d’hiver. Le nôtre est plus dur parce que la Patagonie est une région désertique et froide. » Jusqu’à présent, le gouvernement argentin s’est beaucoup inspiré des expériences italienne, française et espagnole, en se basant sur leurs mesures drastiques. La population argentine se retrouve plongée dans l’angoisse de l’inconnu, sans pour autant se bercer d’illusions quant aux difficultés à venir.
Etudiante en deuxième année de journalisme, je suis à la recherche d'un stage de trois mois dans une rédaction de presse.