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Le dégel du pergélisol, le compte à rebours est lancé

Le permafrost, ou pergélisol, est une matière terrestre essentielle à la fois pour le climat, l’écosystème et nos infrastructures, mais il en va aussi de notre santé.

Le pergélisol est un sol qui est resté gelé pendant plus de deux ans consécutifs. Ces premières couches, dites « couches actives », ont tendance à fondre partiellement chaque été dû à l’augmentation de la température. Composé de roche, de glace et d’éléments organiques, il s’étend principalement dans les régions Nordiques, l’Antarctique, dans les chaînes de montagnes de Scandinavie, d’Europe, en Amérique du Nord, en Asie centrale, au Chili et en Afrique du Sud.

Parmi ces éléments organiques qui composent le sol, les virus et bactéries ont été préservés depuis des siècles dans ce sol glacé. Certains, que la communauté scientifique pensait définitivement éteints, ont ressurgi lors de périodes de fort dégel. Quelques particules virales encore infectieuses peuvent être suffisantes, en présence d’un hôte sensible, pour la résurgence de virus potentiellement pathogènes. Le pergélisol sous-jacent, plus profond que la couche active, représente 20-25% de la surface terrestre dans les régions polaires et circumpolaires, dans les régions alpines et les régions situées aux latitudes inférieures. Le dégel du pergélisol a été observé par des habitants et des scientifiques dans de nombreuses plaines et forêts ces dernières décennies : le paysage change et la végétation composée majoritairement de mousses habituées au pergélisol disparaît.

En 2016, une épidémie d’une bactérie disparue depuis plus de 75 ans a frappé une communauté en Sibérie : le bacille de charbon, plus connue sous le nom « d’Anthrax » ou « maladie du charbon ». Une épaisse couche de pergélisol a rapidement dégelé et décongelé de vieilles carcasses de rennes infectés. La bactérie, réveillée, s’est propagée vers d’autres animaux. 23 personnes ont été infectées par la bactérie et ont été témoins de gros abcès cutanés, un enfant de 12 ans en est décédé. Certains scientifiques voient leurs théories devenir une réalité, mais Gustavo Caetano-Anolles, professeur et virologue à l’Université de l’Illinois reste méfiant quant à cet épisode particulier : « Le lien n’a pas pu être prouvé. Je ne connais pas de lien avec une épidémie et encore moins avec une pandémie. »

En conséquence du réchauffement climatique, des virus oubliés de la surface de la planète pourraient être découverts. Certains scientifiques craignent notamment le retour de la grippe espagnole, quelques cadavres de malades étant enterrés dans le pergélisol au cimetière de Longyearbyen au Nord de la Norvège. « Les scientifiques ont toujours craint que quelque chose comme le virus de la variole puisse être associé à un corps congelé infecté, et que, lorsqu’il décongèle, le virus soit infectieux », déclare le virologue américain Jim Van Etten. Cependant, le professeur Gustavo Caetano-Anolles tempère: « Personnellement, je ne pense pas qu’une pandémie pourrait provenir d’anciens virus. Il y a plus de chances que de nouveaux virus se propagent de manière pandémique à partir d’échanges zoonotiques. »

La décongélation, tout comme la congélation,  ont généralement tendance à tuer et dégrader la composition des microbes, y compris les virus, les bactéries et les archées. Mais la science continue de nous surprendre. Les travaux de Jean-Michel Claverie et Chantal Abergel, chercheurs et virologues au CNRS, ont révélé à partir d’un échantillon de pergélisol sibérien, qu’un ancien virus vivant, datant d’il y a 30 000 ans, peut être récupéré et ravivé. Le virologue de l’Illinois, fasciné par cette découverte commente : « C’est remarquable. Le Pandoravirus qui a été récupéré est un virus géant qui ressemble à des cellules, et son génome a été parfaitement préservé, garantissant l’intégrité de la découverte. D’autres n’ont pas eu autant de chance. » Un autre virus végétal a été récupéré à partir d’excréments de rennes congelés de 700 ans, mais le processus a nécessité une expérimentation considérable en biologie moléculaire.

Les professeurs Claverie et Abergel, grâce à leurs recherches, ont retrouvé une concentration extrêmement faible du Mollivirus. Ces découvertes ont aujourd’hui des implications importantes en termes de santé publique. Elles prouvent la capacité des virus à survivre dans le pergélisol sur de très longues périodes, qui inclut probablement des familles virales très variées et potentiellement pathogènes. Afin de déterminer si d’autres virus géants se cachent encore dans le pergélisol, les chercheurs étudient désormais des couches plus anciennes du sol sibérien, dans une région qui devrait leur permettre d’atteindre -1 million d’années.

La menace au mercure

D’après une étude publiée en février 2018 par l’US Geological Survey, des chercheurs ont découvert que le pergélisol contenait une quantité importante de mercure, qui serait deux fois supérieure à la quantité totale de mercure présente dans les sols, l’atmosphère et les océans de la planète réunis. Cet élément, considéré par l’OMS comme l’un des dix produits chimiques ou groupes de produits chimiques extrêmement préoccupants pour la santé publique, est naturellement retrouvé au sein des principales sources naturelles d’émission, dont les volcans, le dégazage progressif de la croûte terrestre, et certains geysers.

Les scientifiques ignorent encore comment le mercure pourrait affecter les écosystèmes ou l’Homme s’il est libéré par le dégel du pergélisol, ni dans quelle mesure il pourraît être relâché sous sa forme la plus toxique : le mercure « méthylé ». Le méthylmercure est la forme chimique du mercure la plus toxique issue de son cycle global. Il possède la capacité de s’accumuler dans les tissus des organismes vivants et de se concentrer le long des différents maillons de la chaîne alimentaire. Chez les espèces de plus grande taille et les prédateurs, le méthylmercure se concentre en de fortes quantités. L’alimentation, et plus particulièrement la consommation de poisson est la principale source d’exposition au mercure à ce jour.

Le méthylmercure étant un agent neurotoxique très puissant, il peut nuire gravement au développement et au fonctionnement du système nerveux central de l’être humain. Cette pollution naturelle et rejetée par l’activité industrielle, persiste dans le temps puisque le mercure n’est pas biodégradable et est capable de contaminer plusieurs fois la chaîne alimentaire. Selon Paul Schuster, hydrologiste à la Surveillance Géologique des Etats-Unis et l’un des auteurs de l’étude, affirme que « la seule façon de stopper la fonte du pergélisol et la potentielle libération du mercure stocké, est de réduire, limiter, puis arrêter les gaz à effet de serre résultant des activités humaines. »

Un cercle vicieux

Le dégel du pergélisol entrainé par un dérèglement climatique pourrait engendrer lui-même d’autres perturbations écologiques. La présence de glace fait que « le pergélisol est sensible et lié au changement climatique », indique Jan Hjort, professeur de géographie physique à l’Université de Oulu en Finlande. Comme une capsule hermétique, ce sol renferme une grande quantité (encore approximative) de carbone. Lorsque le pergélisol dégèle, du carbone est libéré, accompagné par des fuites de méthane, l’un des gaz à effet de serre les plus puissants. « Si le pergélisol reste dans son état gelé, tout le carbone stocké est à l’arrêt. Dès le dégel en marche, tout est libéré par l’activité microbienne. » Certains scientifiques craignent que ce dégel arctique amplifie le cercle vicieux : le réchauffement climatique s’accroît à cause des émanations, elles-mêmes provoquées par le réchauffement climatique, et libérera encore et encore ces puissants gaz à effet de serre dans l’atmosphère. D’après le chapitre 7 Seasonal snow cover, ice and permafrost du rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) : « Le réchauffement climatique pourrait provoquer le dégel accéléré de la couche (0-5 m) entraînant probablement la disparition du pergélisol d’ici plusieurs décennies. »

« Les sols du pergélisol se réchauffent encore plus rapidement que les températures de l’air dans l’Arctique – jusqu’à 1,5 à 2,5°C de plus au cours des 30 dernières années », a déclaré le chercheur Charles Miller, dans une publication de la NASA datée de 2015. D’après les chercheurs, à cause des dégels prématurés au printemps et du réchauffement climatique critique de la région, le sol de l’hémisphère Nord dégèle pendant 7 jours et demi de plus en 2008 qu’en 1979. Une question reste tout de même en suspens, indique la NASA : « Comment de plus grandes zones de dégel affecteront-elles les sources et les puits de carbone ? Dans quelles mesures les zones de pergélisol sont-elles stables avec le réchauffement climatique continu ? »

Le sol effondré sous nos pieds

Additionnés aux potentiels effets sur le climat et la santé, le réchauffement et le dégel du pergélisol fragilise nos infrastructures. La dégradation du sol proche de la surface implique de nombreuses conséquences dans le développement des énergies fossiles et le développement des communautés concernées.

Dégel du pergélisol sur l’île Herschel (Qikiqtaruk), Yukon, Canada. © Gonçalo Vieira / Nunataryuk

« A l’échelle locale, le dégel du pergélisol affecte la dureté du sol », précise Jan Hjort. Les scientifiques de l’U.S Geological Survey prévoient que la couche active du pergélisol (au plus proche de la surface), sera réduite de 16 à 24 % d’ici la fin du 21e siècle. Les changements climatiques augmenteront également la durée des étés, non-négligeable pour les régions avec un gel saisonnier profond. Ces changements peuvent avoir un effet drastique sur des entreprises, notamment agricoles. Lors du dégel du pergélisol en Sibérie, les incendies naturels se produisent à de nombreuses reprises. Le pergélisol, lorsqu’il est gelé, ne fournit pas de combustible pour les incendies. Mais lorsqu’il est décongelé, il se transforme en un combustible de matière organique semblable à de la tourbe qui brûle comme de l’herbe sèche. Les incendies pourraient devenir plus prématurés dans la région, voire se multiplier.

L’érosion du sol peut être aiguë lorsqu’il est finement texturé. La dégradation du pergélisol dans les zones riches en glace augmentera l’érosion naturelle. Une fois dégelées, les zones qui ont ces dépôts pourraient connaître l’affaissement des terres, un retrait du littoral et une formation de lacs, directement liés à la quantité de glace dans le sol et son taux de dégel. Dans les toundras, émergent de nouvelles végétations, une autre texture des sols, les scientifiques prévoient donc un changement de l’écosystème. Les communautés nomades en Sibérie ont recensé de nombreuses disparitions de lac, et au contraire, la formation de nouvelles cavités aux parois glissantes et une eau peu profonde au fond de celles-ci. Poussée par les fuites de carbone, la terre se gonfle créant de nombreuses collines éphémères.

A cause des mouvements du sol, près de quatre millions de personnes et 70% des infrastructures actuelles pourraient être impactées par le dégel du sol. D’ici 2050, 3,6 millions de personnes, seront affectées par des infrastructures fracturées par le dégel, ce qui correspond aux trois quarts de la population de l’hémisphère Nord dont les sols sont constitués de pergélisol. Les infrastructures comme les chemins de fer de Qinghai–Tibet, ainsi que des oléoducs sont menacés. 

Durant l’été 2019, la ville de Chamonix a dû aménager un nouvel accès à l’un des refuges de la Mer de Glace, le refuge de la Charpoua (2841m). L’ancien était devenu trop dangereux en raison du risque d’éboulement, causé par le dégel du pergélisol. Les chercheurs estiment que les régions les plus en danger restent néanmoins la région de Pechora, les parties Nord-Ouest des montagnes de l’Oural, le centre de la Sibérie et le bassin de Yakutsk. En Amérique du Nord, la découverte de l’or en Alaska et dans le territoire de Yukon a permis aux mineurs et aux ingénieurs d’étudier ce sol glacé. Aujourd’hui, les régions arctiques sont de plus en plus convoitées pour leurs ressources minières et pétrolières, dont l’accessibilité et l’exploitation industrielle sont facilitées par le changement climatique. Les opérations pétrolières en Alaska sont spécialement conçues pour des conditions de gel. Mais à mesure que le climat change, l’État se réchauffe deux fois plus vite que le reste du pays, cela représentant un défi pour l’industrie pétrolière. Un dispositif a été créé pour refroidir le sol gelé et permettre aux compagnies pétrolières de continuer à extraire les hydrocarbures, qui contribuent au réchauffement climatique. Le développement de ces entreprises et les températures plus douces ouvriront le marché de l’emploi, et attireront de nouvelles populations sur les terrains glissants du pergélisol en voie de disparition.

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Etudiante en journalisme, je recherche un stage de 3 mois dans une rédaction de presse française.

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