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Second tour des municipales : la question de la légitimité du scrutin

Fin du suspens. Le second tour des municipales aura lieu le 28 juin prochain. 3 mois après le premier tour, du jamais vu sous la Vème République, la tenue de ce scrutin pose encore beaucoup de questions.

Ces municipales auront décidemment fait couler beaucoup d’encre. 3 mois après le premier tour organisé le 16 mars, plus de 15 millions d’électeurs seront convoqués dans leurs bureaux de vote le 28 juin 2020. Du moins dans l’hypothèse, bien sûr, où une seconde vague de l’épidémie ne surgisse pas d’ici là. Les nombreux maires sortants vont enfin pouvoir passer à autre chose, leur mandat ayant été prolongé du fait de cette crise.

L’annonce a été faite par le Premier ministre Édouard Philippe vendredi dernier. Le second tour aura lieu dans les quelques 5 000 communes (sur 36 000) de France où le premier tour n’a pas été décisif. Parmi ces communes, il y a bien évidemment Paris, Marseille et Lyon, qui représentent à elles seules près de 3 millions d’électeurs. Le premier ministre a indiqué que le gouvernement présentera à Emmanuel Macron, le 27 mai en Conseil des ministres, « la deuxième phase du déconfinement », ainsi qu’un projet de décret « qui appellera les électeurs à se rendre aux urnes le 28 juin prochain. » Cette décision est toutefois « réversible », en fonction de l’évolution de l’épidémie de coronavirus.

Cette « clause de revoyure interviendra sans doute dans deux semaines », a précisé Édouard Philippe, afin de « garder le temps nécessaire à l’examen par le Parlement du cadre légal qui permettrait d’organiser un nouveau report. » Si tel était le cas, les deux tours devraient alors être refaits.

L’association des maires de France (AMF) se réjouit de la tenue de ce scrutin : « Notre position a toujours été d’organiser le plus rapidement possible à la fois l’installation des maires élus au premier tour, ainsi que l’organisation du second, c’est la même question. L’idée est de clore le cycle électoral le plus rapidement possible pour mettre l’ensemble des équipes aux responsabilités et permettre notamment d’engager un plan de relance. Une fois en place elles pourront voter leurs budgets, engager des dépenses, lancer leurs projets et c’est ce qui permettra de s’en sortir », nous déclare un porte-parole de l’AMF.

La campagne a officiellement commencé ce mardi. Pour autant, cette campagne électorale sera exceptionnelle au vu des circonstances non moins exceptionnelles. Les déclarations de candidature à ce second tour seront déposées « au plus tard le mardi qui suit la publication du décret de convocation des électeurs », selon le premier ministre. Ce sera donc mardi prochain, le 2 juin. Il resterait alors une semaine aux candidats pour décider de leur stratégie de second tour : les listes ayant fait plus de 10% des suffrages exprimés peuvent se maintenir ; celles ayant fait plus de 5% peuvent fusionner avec une autre.

David Cherfa est en troisième position sur la liste Energies citoyennes de Lorient, dans le Morbihan. Sa liste a obtenu près de 6% des suffrages exprimés au premier tour et peut fusionner avec une autre pour le second tour. Selon lui, il est aberrant d’organiser ce scrutin : « Vu les conditions d’organisations du 1er tour, où le système de distribution de masques et de gels a été défaillant dans certains bureaux de votes, il n’est, selon moi, pas pertinent d’organiser ce second tour aussi tôt. Des maires, des présidents de bureaux de vote ont été contaminés ce jour-là, certains en sont morts, cela a été démontré. Au vu du traumatisme du 1er tour, les conditions ne me semblent pas bonnes en termes d’organisation. »

Comme pour le premier tour, les bureaux de vote devront mettre en œuvre les règles de distanciation physique et fournir du gel hydroalcoolique. Il est aussi fortement conseillé d’apporter son propre stylo et de ne jamais faire changer de main sa pièce d’identité. Principal changement par rapport au 15 mars dernier : chaque électeur devra porter un masque de protection, tout comme les membres du bureau de vote. Rien n’est prévu pour une distribution de masques gratuits à l’entrée des bureaux de votes.

Quasiment introuvable au début du confinement, aujourd’hui les masques sont payants et même largement au-dessus de leur coût de fabrication. Où avant la crise ils s’échangeaient contre une vingtaine de centimes, aujourd’hui il n’est pas rare d’en trouver à 1 euro pièce. Cela veut dire qu’il faudra dépenser de l’argent pour aller voter et que l’accès aux bureaux de vote sera refusé aux citoyens non équipés.

Par ailleurs, Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur, a précisé que « tout sera fait pour faciliter les modes de recueil des procurations » dans les Ephad notamment, ou pour les personnes fragiles ne pouvant sortir de chez elles. Des officiers judiciaires seront chargés de recueillir une procuration auprès des résidents des EPHAD. Toujours selon le ministre de l’Intérieur, les premières réunions des conseils municipaux fraîchement élus devront se tenir « au plus tôt le vendredi et au plus tard le dimanche suivant le tour du scrutin à l’issue duquel le conseil a été élu au complet. » Ce sera donc entre le vendredi 3 et le dimanche 5 juillet. 

La date du 28 juin n’est nullement définitive. En cas de résurgence du virus, la décision de suppression du scrutin sera prise par le conseil scientifique au plus tard deux semaines avant.  Si le scrutin venait à être annulé, il serait alors nécessaire de tout recommencer à zéro en janvier 2021. L’AMF estime qu’il était impossible d’attendre plus longtemps : « Il s’agit aussi de donner toute la légitimité démocratique aux nouvelles équipes installées. Dans l’attente du second tour, les anciennes équipes ont vu de facto leur mandat prolongé dans des villes où le maire ne se représentait pas. Il était donc essentiel de donner cette légitimité démocratique aux élus. Au moment où la sortie du déconfinement s’organise dans l’ensemble des activités, il est normal que la vie démocratique reprenne son cours. »

Le manque de stratégie globale du gouvernement.

Le président de la République aux congrès de l’association des maires de France Porte de versailles, Novembre 2017, Jacques Paquier, Flickr

Christian Prudhomme est médecin urgentiste en Seine-Saint-Denis. Ce département est le plus touché par l’épidémie de Covid-19 en France. Rien à voir avec les municipales selon lui : « Ce n’est pas à cause des municipales mais parce que les habitants de Seine-Saint-Denis sont les premiers de corvée. L’essentiel de la population de ce département qui avait un boulot a continué de travailler. Ce sont les aides à domicile, le personnel de nettoyage, les éboueurs, le personnel hospitalier. Lorsque l’on nous dit qu’il n’est pas nécessaire de porter un masque FFP2 si on ne travaille pas en réanimation, ou que l’on ne fait pas de gestes invasifs, alors que nous avons appris exactement l’inverse en école de médecine, ce n’est pas cohérent. Résultat : on a eu du personnel contaminé. »

Porte-parole de l’Association des Médecins Urgentistes de France (AMUF), il ne remet pas en cause la tenue de ce scrutin sur un point de vue sanitaire : « L’épidémie régresse et la probabilité d’une seconde vague dans les semaines à venir s’amenuise. De plus en plus de médecins pensent que nous n’aurons pas une deuxième vague avant quelques mois, et sa probabilité faiblit. Normalement, dans les semaines qui viennent, le nombre de malades devrait rester stable. Cette décision d’organiser le scrutin ne nous semble pas incohérente au vu de la situation. Je pointerais quand même le problème des nombreux bureaux de vote situés dans les écoles. Il serait plus judicieux de les déplacer dans des gymnases ou des plus grandes salles. »

D’un point de vue sanitaire donc, rien ne semble s’opposer à la tenue du second tour des municipales le 28 juin. Ce qui énerve élus et personnels soignants, c’est la stratégie globale imposée par le gouvernement depuis le début de la crise. Le confinement total et brutal annoncé le lendemain même du premier tour semble être un signe du manque de stratégie globale de l’Exécutif. L’ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn, reconnait elle-même qu’elle connaissait les dangers du virus, et qu’elle savait que maintenir ce scrutin s’apparentait à du « suicide ». Cela ne l’a tout de même pas empêchée de prendre la succession de Benjamin Griveaux au pied levé pour la campagne de la mairie de Paris. « C’est très simple pour elle de dire qu’elle le savait, après. Elle s’accorde le bon rôle parce qu’elle sait qu’à un moment elle devra rendre des comptes comme les autres membres du gouvernement », analyse le docteur Prudhomme.

Pour lui, le gouvernement a gravement failli à sa tâche en cachant les pénuries de matériel : « La stratégie globale menée est éminemment contestable, on se focalise sur des sujets comme les élections mais ce n’est pas le problème de fond. Le problème c’est que nous n’avions pas de matériel. Les décisions prises ne l’ont pas été sur la base d’arguments de santé publique, mais uniquement pour cacher la pénurie. Quand les choses sont devenues évidentes et qu’il fallait prendre des mesures, à cause de la pénurie de matériel nous avons pris des mesures moyenâgeuses avec le confinement intégral. C’est le même degré de mesures que l’on avait prises à Athènes sous l’antiquité quand il y avait la peste. C’est catastrophique d’en arriver là. »

Dans tous les cas, cette campagne sera exceptionnelle, de par les circonstances dans lesquelles elle est organisée. Les candidats vont devoir s’adapter et mettre en place une sorte de télé-campagne. Impossible en ce moment d’organiser des meetings, de faire du porte-à-porte ou des réunions publiques. Cela sera la campagne électorale la plus singulière organisée sous la 5ème République.De plus l’écart important de temps entre les deux tours risque de créer des avantages illicites pour les maires sortants comme le souligne David Cherfa, élu en tant que conseiller délégué chargé du bénévolat et de l’engagement solidaire dans le 19ème arrondissement de Paris : « Certains maires en ballotage ont organisé une distribution de masques, entre autres choses, pendant le confinement. Pour eux c’est une bonne chose ce second tour. Ils ont le beau rôle et peuvent envoyer un message du style ‘regardez, on a été plus compétent que l’Etat, nous vous avons fourni en masque’. »

L’AMF tempère et préfère y voir une preuve d’engagement de ces maires : « Ils ne le font pas à des fins électorales. Ils exercent leur mandat de maire au service de leur population en répondant aux besoins les plus urgents de leurs habitants. » Cette campagne qui se déroulera donc à distance risque d’accentuer les inégalités entre électeurs. Tout le monde ne possède pas Internet ou un compte sur les réseaux sociaux. Certains ne pourront pas avoir accès à la campagne. Les personnes âgées sont les plus concernés par ce genre de problématiques. Habituellement, les seniors sont la catégorie de population qui se déplacent le plus aux urnes.

Or, il est évident que les circonstances exceptionnelles d’aujourd’hui risquent de décourager de nombreux seniors à sortir de chez eux. David Cherfa est ulcéré : « On leur dit quoi aux seniors ? ‘Vous ne pouvez pas aller voter mais vous pouvez voter par correspondance ?’ C’est n’importe quoi. Nous avons des gouvernants uniquement préoccupés par leur avenir.  Edouard Philippe veut juste sauvegarder sa porte de sortie pour finir sa carrière comme maire du Havre. Emmanuel Macron veut se sauver et essaye de garder ses meilleures cartes dans la perspective de 2022. C’est pour cela qu’il a autorisé Gérald Darmanin à rester maire et ministre. C’est indécent. »

Selon David, qui a donc vu son engagement être prolongé de facto, se pose également un problème de légitimité : « A Lorient, la coalition arrivée en tête et regroupant 8 partis a recueilli 3 000 voix sur 35 000 inscrits (23% des suffrages exprimés). Quelle légitimité allons-nous donner à un maire élu avec 3000 voix dans une ville de 58000 habitants et 35000 électeurs ? Il n’y a plus de légitimité. » L’abstention déjà record au premier tour (54,5%) risque d’être la grande gagnante de ce second tour.

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