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Aux États-Unis, l’information est pandémique

Malgré la chute de la publicité au sein de la presse américaine, les audiences augmentent. En parallèle, les journalistes font face au sarcasme d’un Donald Trump éloigné de la réalité et à un pays qui ne cesse de compter les morts.

La Une poignante de l’édition du 24 mai du New York Times, esquissant 1000 noms de personnes décédées du Covid-19, soit 1% du bilan, a obtenu un franc succès dans l’histoire de la presse américaine. « Ils n’étaient pas que des noms sur une liste. Ils étaient des nôtres » ont ébauché les journalistes du quotidien new-yorkais. À l’opposé, celui qui redéfinit la droite américaine, Donald Trump, a encore une fois affiché une attitude incohérente, en se baladant sur ses terrains de golf. Les dessinateurs ne se sont pas empêchés de représenter cette situation par le biais de visuels cinglants. 

Dans ce contexte épidémique, les Américains s’abonnent, lisent, s’informent. La montée de l’audience est spectaculaire, due à un besoin du public d’être informé sur le coronavirus. Cy Taylor, étudiant à Georgia Southern Universty, en Géorgie, ancien rédacteur du journal officiel des étudiants George-Anne, en témoigne : « Durant cette période, je m’assure d’être bien informé sur les actualités autour du coronavirus, et la façon dont il affecte, pas seulement les Etats-Unis, mais le monde entier. » Alexis Buisson, journaliste indépendant, basé à New York, explique que « les Américains ont besoin d’informations sur le virus, notamment des informations basiques comme la façon dont il se transmet. Ainsi, les médias sont en première ligne pour y répondre. »

Les journaux nationaux de renom – The Washington Post, USA Today, The New York Times – explosent en termes d’audience. La Une du NYT a d’ailleurs suscité de nombreuses réactions du public, avec des dizaines de milliers de retweets : « Cela a été publié en hommage aux victimes afin de sensibiliser aux effets du virus, alors que les États commencent à s’ouvrir », déclare Cy Taylor. L’étudiant américain met également en avant un article publié par CNN, intitulé « pendant que les cas de Covid-19 continuent d’augmenter dans 17 états, les fêtards des vacances s’entassent sans masques », qui explique la manière dont le nombre de cas va continuer d’augmenter à travers les États-Unis, dû à de nombreux Américains qui refusent de suivre les lignes directives établies par The Center of Disease Control and Prevention (CDC)

En parallèle, la crise donne un nouveau défi aux journaux : celui de trouver des moyens de générer des revenus grâce aux abonnements, au moment où le modèle historique de faire de l’argent avec les publicités, a soudainement disparu. Alexis Buisson évoque que « certains médias arrivent à s’en sortir en faisant payer des ‘webinars’ (émissions web) à leurs annonceurs, ou en faisant appel à des fonds auprès de leurs lecteurs. » Il explique cependant que ce sera très difficile pour les journaux qui avaient peu de présence en ligne et qui ont dû faire une transition forcée sur internet : « Aux États-Unis, le journalisme est un secteur sans filet de sécurité. Ce n’est pas comme en France, ici, aucune aide publique n’existe pour les médias. »

L’essor ou la chute, le paradoxe de la presse 

Le journaliste aborde ainsi une situation très paradoxale où l’audience de la presse, notamment locale, cartonne, certains battent même des records, « mais d’un autre côté, ils gagnent moins d’argent des annonceurs et sont obligés de réduire leurs effectifs, en plaçant les salariés en chômage partiel ou en les licenciant. » 

Un contexte qui a d’ores-et-déjà causé tort au magazine de San Diego, lancé dans les années 1940, qui a annoncé fermer ses portes en mars dernier. Dans le Connecticut, le Newton Bee, connu pour avoir diffusé des images emblématiques du massacre de l’école primaire de Sandy Hook, a suspendu son édition hebdomadaire imprimée. Au Texas, l’ancien hebdomadaire The Austin Chronicle, est désormais une alternance bimensuelle. 

Selon le New York Times, environ 28 000 journalistes, éditeurs, photographes et même stagiaires, ont personnellement ressenti la répression économique de la crise sanitaire. Certains salaires des employés ont été réduits de 10 à 20 %, selon les données du Bureau of Labor Statistics. Paradoxalement, « les journaux locaux n’ont jamais aussi bien marché. »

La crainte des Américains à l’égard de la désinformation, les invite à éprouver un intérêt tout particulier pour la presse locale de leur contrée du Texas, d’Alabama ou de Floride. Alexis Buisson l’atteste : « Cela fait plusieurs années que la confiance dans les médias s’érode. Mais les Américains ont confiance en la presse locale, puisqu’elle est moins politisée. Il y a donc moins d’enjeux, et l’information est plus fiable. » Par définition, en cette période de crise, les fausses informations ont tendance à circuler. Cy Taylor le mentionne : « Je m’assure toujours que les informations que je lis proviennent des sources d’information les plus fiables, afin d’éviter ce problème autant que possible. »

Le succès du paysage médiatique local a été prouvé en mars, dans un sondage de l’institut Gallup et la fondation Knight, qui démontre que les Américains font deux fois plus attention à l’actualité locale, que seulement trois mois auparavant. Yousef Baig, journaliste à la Presse Démocrate de Santa Rosa, en Californie, qui couvre principalement le comté de Sonoma, ainsi que la région de North Bay et le côté Nord de la Californie, en témoigne : « Nous avons gagné des milliers de nouveaux abonnés, surtout sur notre site internet, alors que les revenus publicitaires diminuent, parce que moins d’entreprises peuvent se permettre d’acheter des publicités. Mais comme nous faisons partie d’une rédaction syndiquée, nous avons pu être protégés contre les licenciements. » 

En avril, la société mère (Sonoma Media Investments) de ce journal local, qui possède plusieurs petits journaux ainsi que des revues et magazines d’entreprise, a enregistré 3,7 millions d’utilisateurs uniques. Une croissance de 23,25% en un mois et de 92,97% en une année. Dans ce même sens, Robert Cox, fondateur et rédacteur en chef du petit site d’information Talk of The Sound, qui couvre l’actualité de New Rochelle, une ville en banlieue de New York regroupant moins de 80 000 habitants, l’expose : « Depuis la crise sanitaire, mon audience a explosé. Je suis surpris qu’un tiers des nouveaux lecteurs viennent de Chine. » 

Mutation des thèmes et adaptation 

Dans cette histoire, la crise aura de toute évidence modifié les sujets abordés dans les journaux. Robert Cox le confirme : « Je passe désormais beaucoup plus de temps à parler aux responsables du comté de Westchester et de l’État de New York, qui fournissent des mises à jour quotidiennes sur les cas de Covid-19 et les décès. » Il souligne également le fait que, jusqu’à présent, il n’avait que rarement couvert les questions de santé, alors qu’aujourd’hui, elles représentent la moitié de sa couverture médiatique.

De son côté, Yousef Baig certifie que son rôle a changé, puisqu’il s’occupe à présent des impacts de la crise dans le secteur de l’éducation, notamment des classes obligatoires et de l’enseignement supérieur de deux universités locales : « L’un des thèmes les importants que j’ai souvent évoqué concerne l’accès des familles et des étudiants aux cours en lignes. De nombreux enfants des communautés rurales ou pauvres n’ont pas accès à Internet à la maison, ce qui pourrait compromettre leur éducation, alors que d’autres peuvent suivre les cours sans aucun problème. » 

Le journaliste américain essaie de mettre en évidence ce problème, avec l’espoir que les décideurs politiques au niveau local – « jusqu’au représentant du Congrès américain » – soient conscients des disparités : « L’éducation est un droit civil, et aucun enfant ne devrait prendre de retard car il ne peut pas accéder aux cours en ligne. » Alexis Buisson, quant à lui, explique qu’une majorité de journaux tentent « d’humaniser les morts » et d’aider ces personnes en faisant appel à leurs proches : « Chaque newsletter de The City (un média local new-yorkais), appelle les lecteurs à se manifester s’ils connaissent quelqu’un décédé du Covid, afin qu’il puisse raconter en quelques mots qui il était. »

Il poursuit : « Les médias américains réalisent un très bon travail, toujours créatif dans la manière de traiter les informations. » La Une du New York Times en est un exemple : « Ce fut un hommage puissant qui a vraiment captivé la nation, et a ramené à la maison l’immense perte que ce pays continue de subir, et la douleur ressentie autour de cette nation. Alors que les communautés continuent de rouvrir, ce fut un rappel important de ce qui a été perdu et de ce qui est en jeu, si nous ne le faisons pas correctement », insiste Yousef Baig, bien que Robert Cox évoque plutôt un « coup de publicité. » 

Entre deux camps, l’information vacille

Dans cette couverture médiatique, un fossé sépare le camp des Républicains de celui des Démocrates. « Lorsque Trump assurait lui-même que la situation n’allait pas être catastrophique, les médias de droite, comme Fox News, ont repris ses paroles. À l’inverse, les médias de gauche ou centristes, ont été assez alarmistes », explique Alexis Buisson.  Les personnes âgées étant le principal lectorat de ces chaînes de télévision : « On leur disait au début que le coronavirus n’était pas très grave, qu’il était équivalent à la grippe », poursuit le journaliste.

Yousef Baig se préoccupe fortement des médias nationaux, en particulier des chaînes de télévision comme CNN, MSNBC, FOX News : « Les journaux sont impartiaux, sans parti pris et rapportent des faits. Mais bon nombre des discussions de groupe et des opinions qui obtiennent du temps d’antenne à la télévision peuvent confondre les faits et les opinions, ce qui rend difficile pour les lecteurs de faire confiance aux journalistes dans leur ensemble. » Le rédacteur de Talk of the Sound témoigne de cette désinformation : « En ce qui concerne les émissions de télévision nationales, la nécessité de continuer à diffuser de nouvelles informations conduit à diffuser des informations erronées. Le journalisme en ligne peut être bien pire en raison d’un manque de principes éthiques. »

Les téléspectateurs de Fox News ont des informations approximatives, et donc, sont moins bien informés que les lecteurs du New York Times ou d’autres médias, qui ne sont pas de droite. La manière dont est vue la crise sanitaire dépend donc du média et de l’appartenance politique : « Les électeurs du président les plus radicaux ne voient pas le problème et considèrent que Trump a bien fait son boulot. Mais il faudra voir la manière dont cet électoral évolue », soumet Alexis Buisson, avant de poursuivre : « Les séniors de Floride, qui font partie de la population qui a voté pour Trump, pourraient se détourner de lui en 2020. »

Sur le web, les fausses informations continuent d’inonder les réseaux sociaux, souvent émises par Donald Trump lui-même. Deux dernières sources infondées datent du 26 mai, qui ont été alertées aux internautes comme trompeuses par Twitter. « L’une indique que le vote par correspondance entraînerait de gigantesques fraudes, l’autre accuse sans aucune preuve un journaliste vedette de la chaîne (classée à gauche) MSNBC d’avoir assassiné une ancienne assistante », a déclaré le Monde. Donald Trump a répliqué en accusant le réseau social d’interférer dans la campagne présidentielle américaine. Et ce n’est pas la première information incohérente que le milliardaire Américain diffuse à ses dizaines de millions d’abonnés. On se souviendra du concept d’injecter de l’eau de javel dans les corps des malades. 

Les rédactions américaines, d’ores-et-déjà confrontées à des difficultés, avant même que la pandémie ne ferme une grande partie de l’économie, tentent le nouveau défi qu’impose la crise. Chaque jour, les publications cessent leurs activités et de nombreux petits journaux décident d’arrêter la presse papier pour informer uniquement en ligne. Sans oublier un Républicain conservateur au pouvoir qui s’acharne en permanence contre les médias.

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Diplômée d’un DUT information-communication, je poursuis mes études en deuxième année de journalisme.

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