Le Sénat a rejeté mardi soir, la lecture de l’amendement déposé par six sénateurs pour tenter de relancer le championnat, qui est définitivement arrêté depuis fin avril.
La politique se rallie à la cause du football. Mardi 26 mai, deux amendements au projet de loi : « Dispositions urgentes face à l’épidémie du Covid-19 » ont été déposés par six sénateurs. Malgré le refus de l’État pour continuer la saison de Ligue 1 de football, les six sénateurs ne lâchent pas l’affaire et jugent qu’un comité scientifique devait prendre la décision. La réponse ne s’est pas faite attendre, et le soir même, le Sénat a rejeté l’amendement permettant de reprendre le championnat.
La frustration est amère pour certains clubs du championnat français, à la vue des autres clubs européens qui reprennent leur championnat. Les équipes allemandes de Bundesliga ont rechaussé les crampons depuis une quinzaine de jours, chose qui ne devrait plus tarder pour la Liga en Espagne, la Premier League en Angleterre et la Serie A en Italie. Simon-Capelli Welter, journaliste à SoPress explique une incohérence : « C’est vraiment un beau bordel. Il y a une asymétrie : quasiment tous continuent, sauf nous. » La pause a été trop longue, selon lui : « Il faut se concentrer sur une nouvelle saison qui sera meilleure et dans d’autres mesures. » La valeur de cette saison reste un mystère, le niveau de reprise risque de décevoir les supporters : « Au niveau préparation, sportivement, c’est mieux de repartir sur une nouvelle saison. »
Mais en Allemagne, le football a repris ses droits depuis le 16 mai, le tout sous un protocole strict, avec des stades à huis clos, et des matchs qui cartonnent lors de leur diffusion à la télévision. Les mesures sanitaires varient d’un pays à l’autre et le nombre de décès en Allemagne était plus faible. Mais rien n’empêchait une reprise du championnat de France à la mi-juin, comme c’est le cas en Espagne avec la date du 12 juin. D’autant plus que deux clubs français sont encore en lice en Ligue des Champions : le Paris Saint Germain et l’Olympique Lyonnais. L’UEFA a annoncé une reprise de la compétition sous un nouveau format début août, tandis que la nouvelle saison de Ligue 1 devrait commencer le 22 août. Cela impliquerait un manque de préparation énorme des clubs français par rapport aux autres clubs européens.
Une affaire d’Etat
La ministre des Sports, Roxana Maracineanu avait annoncé le 16 avril dernier une possible reprise mi-juin, avant de confirmer l’arrêt total de la saison deux semaines plus tard. Elle s’est exprimée hier sur RTL : « Il faut un certain temps pour se remettre d’un tel confinement. » L’ancienne nageuse plaide que repartir sur une nouvelle saison est la meilleure solution en attendant un vaccin. Une décision qui agace fortement certains dirigeants de Ligue 1, dont le président de l’Olympique Lyonnais, Jean-Michel Aulas. Il défend les intérêts de son club et ne privilégie pas ceux du collectif, d’après la ministre : « Il faut qu’il y ait de l’empathie, c’est ce que cette crise impose à tout le monde et le football professionnel ne l’a pas pris du bon bout. »
La date du 3 août annoncée par le gouvernement, était soi-disant fixée par l’UEFA, le gouvernement avait alors énoncé cette date pour justifier l’arrêt définitif du championnat. Cependant, un courrier du vice-président de l’UEFA, Aleksander Ceferin, a révélé que ce n’était pas le cas. Il y avoue à Jean-Michel Aulas que ce n’était qu’une « recommandation » et que cette date n’était pas officielle. Il explique que « la recommandation de l’UEFA était donc d’encourager les associations et les ligues nationales à faire de leur mieux pour terminer les championnats nationaux en cours. » Cependant, la date du 3 août est mentionnée dans le procès-verbal du Conseil d’Administration de la LFP. Les dirigeants prônent que leur décision est définitive.
Le député François-Noel Buffet (LR) du Rhône, qui a participé aux amendements déposés, restait optimiste avant la décision finale : « Nous voulons juste un avis concret de la part du conseil scientifique, je ne vois pas pourquoi on ouvrirait des cinémas avec l’avis du conseil, et pas des stades à huis clos. » L’avis du conseil, qu’il soit positif ou négatif, permet de prendre connaissance des conditions sécurisées pour permettre ou non la reprise. C’est le seul moyen de prendre des décisions objectives et transparentes. Il ajoute que « la vie et la politique sont un monde d’espoir, je souhaite que cela soit favorable car il y a un réel enjeu économique derrière. » Les raisons sanitaires de départ sont compréhensibles. En revanche, le laps de temps de réflexion sur cette décision est lui discutable. Selon le député : « La Ligue 1 est arrêtée pour des motivations inconnues. » Avec le refus du Sénat, la justice administrative tranchera pour une infime dernière chance. L’Olympique Lyonnais de Jean-Michel Aulas s’est en effet pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat lundi, contre le mode de décision de l’arrêt du championnat, et celui du classement final. Ces référés seront examinés le 4 juin.
La ministre des Sports privilégie pour sa part l’aspect sportif. Elle a d’ailleurs déclaré : « En Allemagne, la reprise du championnat était motivée par des raisons économiques ». Mais la réouverture des centres commerciaux en Ile-de-France n’a-t-elle pas été motivée par les mêmes raisons ? Mardi 19 mai, le tribunal administratif de Paris a notamment accepté la réouverture du centre commercial Beaugrenelle, qui enregistre 13 millions de visites chaque année. Un chiffre considérable pour relancer l’économie, qui donne donc une incompréhension de l’opinion publique sur le refus de continuer le championnat. L’économie du football représenterait 5 milliards d’euros de chiffre d’affaire annuel en France, une perte considérable pour le gouvernement. De plus, le championnat français est tourné en ridicule face à ces homologues européens, ce qui implique aussi une perte de la valeur des footballeurs du marché français, qui est le plus gros exportateur à l’étranger. Selon Roxana Maracineanu, la priorité est l’aspect sanitaire qui n’est pas assez fiable pour enclencher la reprise en Ligue 1.
Un match de ping-pong entre les associations sportives et Jean-Michel Aulas. Ce dernier reste néanmoins confiant sur un revirement de situation dans les jours qui viennent. Malgré les critiques, il se dit solidaire envers tous les clubs de Ligue 1. Il a précisé à l’Équipe le 23 mai : « Ce n’est pas une volonté louable de défendre les intérêts de mon club, je veux apporter de la légitimité économique à tout ce débat, dans l’intérêt général du football. »

La création d’un gouffre économique
L’intérêt général du football français y aurait beaucoup à perdre en cas d’un arrêt définitif du championnat de France de Ligue 1, cela engendrerait des conséquences économiques désastreuses. Le PGE (Prêt Garanti par l’Etat) de 225 millions d’euros pour les clubs de Ligue 1 est réparti selon la perte des droits TV de chacun. Mais les pertes qui concernent la billetterie, ou le marketing d’un club ne pourront être comblées. Pour certains clubs, comme l’a annoncé Mediapart dans son enquête, cette aide ne viendra pas couvrir l’entièreté des déficits, mais seulement ceux de trésorerie. Comme le précise Pierre Rondeau, économiste spécialisé dans le football : « Il reste à voir le coût des matchs. Le football est protégé par ce prêt mais pas sauvegardé. » Le prêt vient redistribuer les manques de chaque club, mais sans pour autant être à part égale. Ceux disposant de beaucoup de notoriété comme le PSG ou encore Marseille toucheront plus au niveau des droits TV, ce qui est stipulé dans le règlement de la LFP. Pierre Rondeau clarifie : « Le gain n’est pas également divisé par vingt. »
Depuis la création de la DNCG (direction nationale du contrôle de gestion) dans les années 90, le football n’a jamais été bénéficiaire. L’organisation veille à la solvabilité des clubs, autrement dit la survie des équipes, tout comme le fairplay financier européen. La majorité des clubs sont couverts par leurs actionnaires, comme par exemple l’Olympique de Marseille avec Franck McCourt. Depuis trois ans, les Phocéens sont en déficit sans avoir de sanctions car l’actionnaire majoritaire du club couvre les pertes. Mais l’OM est l’un des clubs les plus en danger, toujours d’après l’enquête de Mediapart.
La logique « Too big to fail » utilisée pour les banques, qui signifie « trop gros pour tomber », est aussi appliquée dans le football sous la forme de « Too famous to fail ». La faillite de certains clubs, comme le dit Mediapart, est inévitable. Toutefois, un club comme Marseille, chargé d’histoire avec une grande fan base a peu de chances de s’écrouler. Pierre Rondeau poursuit : « Il y aura forcément des supporters, des investisseurs qui voudront aider les clubs, les valeurs immatérielles du football ne risquent pas de disparaître. » Seulement, il n’y a pas que les gros clubs comme l’Olympique de Marseille dans le football, certaines plus petites équipes sont également en grande difficulté financière, et au bord de la faillite.
L’économie du football est différente des autres, l’argent est dépensé dans des investissements sportifs, des transferts ou encore le salaire des joueurs. La fragilité de cette économie existe depuis toujours, et peu de clubs sont rentables. La stratégie financière des petits clubs est d’inciter les équipes de première division à investir dans la qualité, en achetant de bons joueurs pour se maintenir au haut niveau. Pour les équipes de niveau plus bas, elles sont incitées à investir pour accéder aux divisions supérieures. L’activité du football ne permet pas, dans la majorité des cas, de s’enrichir ou de faire des profits. L’année prochaine, le Toulouse Football Club, relégable en Ligue 2, doit être racheté par une société américaine. Contactée, la direction du TFC n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Pierre Rondeau opte pour ce scénario : « Les clubs peuvent tenir avec des prêts garantis par l’État d’ici la découverte d’un vaccin, et ensuite, tout pourra revenir à la normale avec de nouveau du football, et des supporters dans les stades. » Mais la LFP évalue à 586 millions d’euros la perte totale pour cette saison 2019/2020. Le PGE de seulement 225 millions d’euros ne sera pas suffisant pour assurer la sauvegarde de tous les clubs de Ligue 1. Néanmoins, l’économiste reste confiant : « On a déjà vu ça dans le football, il y a quelques années, nous étions à 400 millions d’euros de pertes, sans le Coronavirus. » Seulement, cette somme colossale vient s’ajouter au déficit déjà présent, ce qui est inquiétant pour le monde du football français. L’idée d’une nécessité de reprendre le championnat mérite plus ample réflexion.
Les diffuseurs rechignent à payer
Autre point noir pour l’économie du football : les diffuseurs comme Canal+ et beIN Sport ont décidé une interruption des contrats, due à l’annulation du championnat. Pendant cette période de confinement, aucun revenu n’est rentré et pour M. Domingues, avocat spécialisé dans le droit des utilisateurs, cette décision est légitime : « Payer des droits alors que l’on n’a pas de contrepartie, ça se plaide. » Selon le rapport de la DNCG, les droits TV représentent 36% des revenus d’un club français. Certains pourraient perdre jusqu’à 110 millions d’euros.
« A l’impossible, nul n’est tenu », poursuit l’avocat, avant d’ajouter que « les diffuseurs sont assurés pour la perte de chiffre d’affaires, mais pas pour une crise sanitaire, c’est très contractuel. » Canal + a adressé un courrier à l’instance organisatrice de la Ligue 1, et se justifie en expliquant : « La crise sanitaire affecte la totalité des activités, nous sommes dans l’obligation de suspendre les paiements. » Les chaînes ont acheté des droits, pour un contenu qui n’est plus accessible à la totalité des abonnés. Le diffuseur paye un abonnement sans retour, tout comme les consommateurs, qui se sentent eux aussi lésés. Canal + demande des comptes à la ligue mais n’a jamais mentionné une quelconque compensation vis-à-vis de ses abonnés, qui payent également pour un service qui ne leur est pas fourni. Dans le contrat d’adhésion de Canal +, il est notamment écrit que le groupe n’est en aucun cas « responsable pour tout retard dans l’exécution, ou pour toute inexécution de ses obligations qui relèvent d’un cas de force majeure. » Avec beIN, les deux entreprises ont versé leurs dettes correspondant uniquement aux matchs diffusés cette saison.
Même chose pour RMC Sport. Lors d’une conférence téléphonique révélée par l’Equipe, Patrick Drahi, le patron du groupe Altice, dont fait partie la chaîne, a déclaré souhaiter récupérer une partie de l’argent investi cette saison pour les droits TV. RMC Sport est, en France, le diffuseur exclusif de la Ligue des Champions et de l’Europa League, les deux compétitions les plus prestigieuses en Europe. La somme des droits pour leur diffusion s’élève à 350 millions d’euros : « Nous avons déjà payé 175 millions d’euros en juillet dernier, nous avons payé 175 millions supplémentaires pour la deuxième partie de la saison, a déclaré Patrick Drahi, dans des propos rapportés par l’Equipe. Le problème est le suivant : je n’ai vu personne jouer depuis mi-mars. Nous n’allons pas payer pour quelque chose que je n’obtiens pas. » Le propriétaire met la pression à l’UEFA pour un remboursement, une réunion du comité exécutif doit se tenir le 17 juin, et tranchera sur les conditions de reprise de la Ligue des Champions.
Pour M. Domingues, un geste commercial s’impose : « Si un abonné de la chaîne demande un remboursement à l’année, le diffuseur, à titre gracieux, devrait être favorable. » Les chaînes qui contiennent exclusivement du sport, sont à l’arrêt, mais les abonnés continuent de verser chaque mois le prix pour un contenu fantôme, ou de rediffusion. Cependant, si cette affaire doit se tenir devant un tribunal, l’avocat estime que les diffuseurs ne sont pas à blâmer : « Un juge aurait de la difficulté pour trouver un terrain d’entente, c’est le coronavirus la principale cause du problème. » A l’heure actuelle, Canal+, beIN Sports ou encore RMC Sport ne se sont pas exprimés au sujet d’une possible compensation auprès de leurs abonnés.
Le contrat des droits TV arrive à son terme pour la France : la Ligue 1 et Ligue 2 ne seront plus disponibles pendant 4 saisons sur les deux diffuseurs que sont Canal + et beIN, au profit de Mediapro, nouveau diffuseur majoritaire pour la période 2020-2024. Le groupe espagnol diffusera la quasi-totalité de la Ligue 1, et sa chaîne télévisée sera mise en place à l’été 2020. Le prix s’élèvera à 25€/mois pour les futurs abonnés, une révolution sur le marché de la télévision payante. Il s’agirait de rentabiliser la somme astronomique dépensée par le groupe pour diffuser le championnat : 1,153 milliard d’euros par an sur 4 ans, soit une augmentation de 37% par rapport à la période précédente.
Je suis une étudiante de troisième année en journalisme à l'ISCPA Paris. J'aime traiter des sujets politiques, sportif et culturels.
Etudiant en deuxième année d'école de journalisme, passionné par sa vocation, et par le sport, en particulier par le tennis. Entre analyses, enquêtes ou reportages, mon fil d’Ariane est d'exposer ce que l'on ne voit pas forcément au sein de notre société.