L’Afrique du Sud est le pays africain le plus touché par le Covid-19. Pendant la gestion de crise sanitaire, le pays doit compenser avec les fortes inégalités persistantes et une crise économique amplifiée.
Le gouvernement sud-africain s’est empressé de mettre sous cloche le pays dès les premiers cas de covid-19 détectés. Après 59 jours de confinement, l’Afrique du Sud compte 22 583 cas positifs pour 429 décès et 11 100 guéris, grâce à la stratégie recommandée par l’OMS de tester massivement sa population. 583 855 tests ont été conduits dont 19 485 effectués en 24 heures le 24 Mai 2020. Plus de 65% des cas testés positifs sont concentrés dans la province du Western cape, à l’Ouest du pays. « Selon les projections, le pays pourrait avoir un million d’infections et plus de 40 000 décès d’ici novembre 2020 », indique Marianne Severin, docteure en science politique et experte de l’Afrique du Sud. Le pays n’a pas encore atteint le pic épidémique et pourtant, le président Cyril Ramaphosa a annoncé hier une série de mesures effectives à partir du 1er juin pour alléger le confinement : le couvre-feu sera retiré, certains commerces pourront de nouveau ouvrir leurs portes et les vols intérieurs seront rétablis. Ces nouveaux allègements, accompagnés d’aides débloquées pour les entreprises, ont pour objectif de redémarrer l’économie.
Avant la crise sanitaire, la République sud-africaine traversait une période de crise économique. Le peuple souffre : « Il y a une crise de la faim en Afrique du Sud. Avec le coronavirus l’économie est à terre », rappelle Marianne Severin. Cette année, le pays est entré en récession et environ 30% de la population était déjà au chômage. La compagnie publique South African Airways était déjà en chute libre pendant la période interventionniste et de corruption de Jacob Zuma, le précédent président. On estime aujourd’hui que le PIB sud-africain pourrait chuter de 9 à 10%. Le déconfinement progressif permet à Cyril Ramaphosa de calmer la population, qui était encline à créer de nouvelles émeutes. Sans entrées d’argent, les entreprises ont arrêté de verser les salaires. Une habitante du Western Cape témoigne : « Mon frère travaille chez un concessionnaire. Son entreprise n’étant pas ouverte pendant le confinement, son employeur ne lui a pas versé de son salaire. »
Le gouvernement a déclenché de nombreux leviers afin de soigner sa population. Tous les hôpitaux et cliniques ont été réquisitionnés, les médecins cubains et chinois, les ONG comme Médecins Sans Frontières (MSF) se sont déployées et ont été chaleureusement accueillis pour apporter leur aide. Même si d’après la docteure Angelique Coetzee, présidente de l’association des médecins sud-africains : « Aucun hôpital n’est surchargé, tout est encore gérable. » La province de Western Cape, la plus touchée, voit le nombre de patients atteints du Covid doubler. Les hôpitaux créent de nouvelles places mais tôt ou tard, les professionnels de santé prévoient une surcharge de leur service. L’Afrique du Sud, malgré son développement après l’apartheid, a très peu de moyen dans le secteur sanitaire. Johannesburg ne possède que 3 000 lits pour 1 million d’habitants. « Avec toutes ces personnes malades, les hôpitaux seront surchargés. L’Afrique du Sud est très tendue », décrit la politologue.
La nation arc-en-ciel est un des premiers pays marqués par les inégalités. A partir d’un certain seuil, d’après la docteure Coetzee, les soins médicaux sont gratuits. Mais, Marianne Severin rappelle que pour une majorité de Sud-africains : « Si vous n’avez pas d’argent vous ne vous faites pas soigner. Seul 16% des Sud-africains possèdent une assurance maladie. » En 2005, 55% de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté, l’Afrique du Sud possède un des plus grands fossés entre les plus riches et les plus pauvres. L’indice de l’écart de pauvreté (poverty gap index) de l’Afrique du Sud s’élève à 0,405 en 2019 selon l’OCDE, contre par exemple 0,253 en France et 0,338 aux Etats-Unis.
Les inégalités raciales deviennent sociales
Une classe moyenne « noire » est apparue au milieu des années 90 mais reste très minoritaire. « On parle très rarement des blancs qui se sont appauvris. J’ai vu des blancs faire la manche, c’était choquant. La fin de l’apartheid a enlevé les avantages de ce qu’on appelle les « Petits-Blancs ». Certains ont déménagé dans les townships », explique Marianne Severin. Néanmoins pendant cette crise sanitaire, les Sud-africains sont protégés par la Constitution : « Chacun a le droit d’avoir accès aux services de santé et nul ne peut se voir refuser un traitement médical d’urgence. » La prévalence du SIDA et des maladies sexuellement transmissibles est très élevée, on estime qu’elle atteindrait entre 18.1% à 23.2% de la population. Avec un système immunitaire très affaibli, beaucoup de personnes en Afrique du Sud sont à risque face au Covid-19. La politologue évoque néanmoins un espoir pour cette population : « Avant le coronavirus, il y avait un débat à l’Assemblée, sur la mise en place d’un système de santé universel. »
Dix jours après le premier cas, le président Sud-africain Cyril Ramaphosa a déclaré l’état d’urgence nationale. « Quand la crise sanitaire a été déclenchée, la première chose que les Sud-Africains se sont dit c’est ‘heureusement que ce n’était pas Zuma au pouvoir’ », explique Marianne Severin. D’apparence calme et réfléchie, l’actuel président Sud-africain a réagi très vite face à la crise du Covid-19. Les caisses de l’Etat vides, un fonds de solidarité d’urgence a rapidement été créé et est actuellement géré indépendamment du gouvernement mais surtout, en toute transparence en cas d’acte de corruption, un problème chronique en Afrique du Sud. Un modèle, fort de décisions, que n’avait pas connu depuis longtemps le pays. L’ancien président Jacob Zuma, avant son élection, avait été soupçonné pour faits de corruptions. A la fin de son mandat, il a démissionné à cause de nombreuses critiques : des documents prouveraient que l’ex-président aurait détourné 246 millions de rands (environ 12 millions d’euros) depuis les caisses de l’Etat afin de rénover « pour des raisons de sécurité » sa propriété personnelle, grande de plusieurs hectares.
Un partage des ressources inexistant
En 2017, 92% de la population avait accès à l’eau potable contre 82,5% en 2000, une nette amélioration mais qui reste insuffisante. Entre 2017 et 2018, les Sud-Africains se sont rappelés la nature du climat semi-aride du pays. Au 13 mars 2018, la situation de sécheresse dans le Western et Eastern Cape avait été érigée en état d’urgence nationale, ce qui a incité le gouvernement à activer les mesures extraordinaires pour que l’eau continue de couler. Pendant plusieurs mois, les Sud-africains, particulièrement les habitants près des côtes, ont été confrontés au robinet à sec. 50 litres d’eau étaient disponibles par foyer, les douches ont été réduites, les chasses d’eau ne devaient être tirées qu’en cas d’extrême nécessité. Des barrages et des tunnels de transfert d’eau ont été construits, notamment en coopération avec le Lesotho. La République sud-africaine se remet lentement de cette crise hydrique mais pendant la crise du Covid-19, l’eau est indispensable à une bonne hygiène et à la réduction les risques de transmission.
Ce que nous appelons un geste simple, est un privilège en Afrique du Sud. Chizelle Benson, étudiante et institutrice en écoles primaires à Hendrik Low à Western Cape, la province la plus touchée par le Covid, partage ses inquiétudes : « Dans les écoles, il n’y a pas d’eau et depuis des années. Il n’y a pas de chasse d’eau, pas de robinet. C’est tellement important de se laver les mains pendant cette période et les enfants ne pourront pas le faire. Nous espérons que le gouvernement pourra régler ce problème. » Le port du masque a été imposé dans les espaces publics. Loin d’être gratuit, il l’est cependant dans les écoles. La réouverture de celles-ci, au cœur des débats en Afrique du Sud, se déroulera sous conditions : chaque matin et chaque soir les professeurs devront respecter une longue routine. Ils s’organisent pour prendre la température de tous les enfants, désinfecter la classe, tout en essayant d’imposer les distances de sécurité et leur adresser un questionnaire pour savoir s’ils ont eu ou non un contact avec une personne infectée. « Je ne crains pas d’attraper le virus avec toute cette procédure mais ce qui m’inquiète c’est qu’on va devoir rattraper le programme, déplore Chizelle. Avec les nouvelles règles cela va réduire le temps des cours. »
Certains parents préfèrent voir leur enfant redoubler plutôt que de risquer leur santé en les envoyant à l’école. Les inégalités dans le partage des ressources persistent. « L’Afrique du Sud est le pays le plus inégalitaire en termes de partage des ressources », alerte Marianne Severin. Des journalistes du Devoir, un site d’information canadien, ont parcouru les routes de l’Afrique du Sud pendant la période de sécheresse en 2018 et dressent un constat considérable : « Une gestion des ressources défaillantes et une période de sécheresse historique ont fait chuter l’accès à l’eau potable à un niveau pire qu’à l’époque de l’apartheid. » La sécheresse a créé l’état d’urgence hydraulique au Cap. « Les graphiques illustrant les courbes climatiques du pays montrent qu’il faut remonter à 1850 pour trouver une telle situation de sécheresse », indique le Devoir. Mais pour se relever de cette crise, selon Marianne Severin : « C’est tout le système qu’il faut réviser. »
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