
L’après-crise rime avec opportunité pour Pékin. Après quelques mois d’apaisement à Hong Kong, le gouvernement chinois repart à la conquête de la région autonome spéciale (RAS). La lutte pour garantir la souveraineté hongkongaise reprend de plus belle malgré les restrictions.
Enchaîner Hong Kong sera une tache très difficile pour le pouvoir chinois. Après de longs mois de calme au sein de la région autonome, le gouvernement de Xi Jinping s’attaque de nouveau à la souveraineté hongkongaise. Le Parti communiste chinois (PCC) a déposé un texte dans son propre Parlement, obligeant le gouvernement hongkongais à promulguer la législation de l’article 23 de sa Constitution, la « Basic Law », visant à interdire tout acte de « trahison », de « sécession », de « sédition » et de « subversion » contre la Chine à Hong Kong. Face à cette offensive, ce dimanche 24 mai, des centaines de manifestants se sont levés contre Pékin, bravant l’interdiction de rassemblement en lieu public de plus de huit personnes.
Chaque tentative de Pékin de remettre le retour d’Hong Kongaux mains de la République Populaire de Chine(RPC), prévu en 2047, vole en éclats. En mars 2019, un amendement de la loi sur l’extradition est rejeté instantanément par des millions d’hongkongais. Ce mois-ci, la loi sur la sécurité nationale attire à son tour les foudres de l’opposition.
Cette fronde trouve son explication dans l’histoire de la région. Longtemps colonie britannique, son destin se métamorphose au cours des années 80. En 1984, après plusieurs rencontres entre Margaret Thatcher – ancienne Première ministre britannique – et Deng Xiaoping – ancien Secrétaire général du PCC -, l’empire britannique capitule et accepte la rétrocession de Hong Kong à la Chine. Le processus de réintégration de la région au sein de la République Populaire de Chine débute en 1997 et instaure pour cinquante ans le principe d’ « un pays, deux systèmes. »
Barthélémy Courmont, historien, politologue, co-rédacteur en chef de Monde chinois, Nouvelle Asie et directeur de recherche à l’IRIS sur l’Asie-Pacifique, estime que les pays occidentaux ont fait part « d’une grande naïveté » lors des négociations : « En donnant une période de 50 ans pour la rétrocession de Hong Kong, ils étaient persuadés qu’en 2047, la Chine serait démocratique. Par conséquent, le principe ‘un pays, deux systèmes’ n’aurait posé de problème à personne », estime-t-il.
Ce statut, accompagné d’une Constitution propre à Hong Kong, profère depuis 23 ans, une législation et une justice indépendante vis-à-vis de Pékin, ainsi que des libertés, inconnues en Chine, jusqu’en 2047. Ce que le gouvernement chinois a accepté, introduisant tout de même l’article 23, aujourd’hui au cœur des débats. Il permet à la RAS de Hong Kong de condamner tout acte de trahison, de sécession, de sédition, de subversion contre le gouvernement populaire central.
« Depuis 2003, personne n’avait osé mettre cet article sur la table », explique Jean-Philippe Béja, sinologue, politologue, directeur de recherche au CNRS et chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI/Sciences Po), auteur du livre « Hongkong 1997 : fin du siècle, fin du monde ? »
Barthélémy Courmont résume brièvement l’impact de la loi sur la sécurité nationale : « Cette loi que la Chine fait passer place la question au niveau de la sécurité nationale. La réponse de Pékin aux prochaines mobilisations va être de prétendre qu’elles peuvent porter atteinte à la sécurité du pays. »
En 2003, une foule immense s’était déjà soulevée face à la tentative de promulgation de l’article 23 de la loi fondamentale par le chef de l’Exécutif local, sous la pression du gouvernement central. Près d’un demi-million d’hongkongais sont sortis dans les rues pour dénoncer cette mesure, qui selon eux, met en péril le principe « un pays, deux systèmes », donc les libertés fondamentales de la population. Le gouvernement d’antan prend la décision de renoncer.
Aujourd’hui, la situation s’avère plus préoccupante. La loi n’est pas promulguée par les législateurs hongkongais, mais par Pékin. « Après l’échec de la loi sur l’extradition et des élections locales, c’en était trop pour Pékin. Il fallait rétablir l’ordre », explique une résidente hongkongaise qui souhaite rester anonyme. Pour lui permettre de faire passer cette loi sur la sécurité nationale au sein du territoire de l’ancienne colonie britannique – donc l’activation de l’article 23 -, Pékin se base sur l’article 18 de la loi fondamentale d’Hong Kong, lui donnant la possibilité d’appliquer des lois nationales sur le territoire de la RAS sans passer par l’Assemblée locale. « Les lois nationales ne seront pas appliquées dans la région administrative spéciale de Hong Kong, à l’exception de celles énumérées à l’annexe III de la présente loi », stipule la Constitution. L’Assemblée populaire nationale chinoise peut compléter ou supprimer la liste des lois par l’intermédiaire de l’annexe III dans 3 domaines : la défense, les affaires étrangères ainsi qu’aux autres questions sur lesquels le gouvernement local ne possède aucune compétence.
Cette annexe III permet donc à Pékin de faire appliquer les lois de la République populaire de Chine au sein d’Hong Kong, contournant à l’occasion l’Assemblée hongkongaise, le « legco ». Pour Jean-Philippe Béja, « C’est extrêmement grave puisqu’Hong Kong n’est plus responsable de ses lois. Après 23 ans depuis le début de la rétrocession, c’est un nouveau pas énorme franchi par Pékin. Comme disent un grand nombre de manifestants prodémocraties, on entre dans ‘un pays, un système’. La menace s’amplifie. »
Le Covid-19, le bataille d’opinion
Depuis l’accession de Xi Jinping à la tête de la Chine en 2013, la position de Pékin vis-à-vis de Hong Kong s’est très largement durcie. Le Secrétaire général du PCC ne souhaite en aucun cas négocier avec le camp prodémocratie hongkongais. « On peut penser que les manifestations de 2019 ont convaincu Pékin qu’il n’y avait rien à faire et qu’il ne gagnerait jamais les cœurs et les esprits des hongkongais. Il fallait alors intervenir directement », notifie Barthélémy Courmont. En 2019, l’exécutif hongkongais tente de faire passer une loi sur l’extradition. Ce projet de loi aurait autorisé l’extradition de personnes se trouvant à Hong Kong vers la République populaire de Chine. L’indépendance judiciaire et juridique d’Hong Kong était remise en cause.Cette tentative échoue et le projet est retiré après les vagues de manifestations qui durent depuis mars 2019, mobilisant près d’un million d’hongkongais sur une population de 7.5 millions.
« C’est encore plus grave que la loi sur l’extradition. C’est l’extradition qui vient à Hong Kong. La police chinoise peut arrêter hors de son territoire. C’est un coup de plus dans l’autonomie hongkongaise », s’indigne Jean-Philippe Béja. Le projet de loi présenté à l’Assemblée chinoise donne la possibilité aux agences de sécurité de Pékin, la police, d’avoir des succursales au sein de la région autonome. Les agents de sécurité chinois pourront exercer en toute tranquillité leur activité à Hong Kong. De son côté, pour Barthélémy Courmont, « la nouvelle donne que Pékin propose » retire dans « sa totalité la souveraineté » hongkongaise. « Côté chinois, on prend acte à travers cette loi, qu’on ne reconnaît plus la moindre souveraineté politique de Hong Kong », continue-t-il.
Ce n’est pas un hasard si Pékin a choisi la période de crise sanitaire pour proposer cette loi. Si aucune mesure de restriction n’avait été en place alors, « il y aurait eu un mouvement populaire similaire voir plus immense qu’en 2019 », affirme Barthélémy Courmont. L’alibi sécuritaire face à la crise sanitaire prôné par Pékin joue également un rôle primordial : « L’idée est d’opposer des manifestants qui seraient des fauteurs de troubles durant la crise sanitaire et une population hongkongaise qui aspire à vivre correctement et dans le respect des restrictions. C’est le pari de Pékin », estime-t-il.
Il est actuellement interdit de former des rassemblements de plus de 8 personnes. « Ces mesures s’étendent étonnement jusqu’au 5 juin pour des raisons sanitaires, alors que depuis 30 ans, une veillée est organisée le 4 juin à Victoria Park pour commémorer le massacre de Tienanmen et rassemble des dizaines de milliers de personnes. Le gouvernement et Pékin profitent du Covid-19 pour limiter les réactions », précise Jean-Philippe Béja. L’année précédente, 1,7 million de personnes s’étaient mobilisées au cours de cette journée dans les rues de Hong Kong selon les organisateurs du rassemblement. La police en a décompté 128 000. Cette année, la manifestation a été interdite.
En parallèle, le parti prodémocratie pourrait gagner en légitimité selon Barthélémy Courmont. Pendant la période de confinement, Hong Kong a retrouvé d’une certaine manière une souveraineté importante lui permettant de fermer ses frontières : « C’est ce qui a permis d’éviter la propagation du virus. C’est d’ailleurs un argument du mouvement prodémocratie. Il plaide en faveur d’une entité avec une frontière car la catastrophe sanitaire n’aurait pu être empêchée si la RAS avait été accrochée à la Chine. » Le bilan sanitaire est notable. Près de 1 000 cas ont été confirmés pour seulement quatre décès. Paradoxalement, bien que les chiffres soient contestés, la Chine décompte plus de 80 000 cas pour 4 634 décès.
« J’ai l’intime conviction que le mouvement va gagner en légitimité au sein de la population. La ligne rouge est celle de la souveraineté, Pékin vient de la franchir. On est dans une offensive contre l’existence même de Hong Kong », conclue Barthélémy Courmont.
L’immense exigence : l’autonomie
En 2014 déjà, la population de Hong Kong dénonçait l’ingérence chinoise sous le mouvement « des parapluies. » À cette date, l’Assemblée nationale populaire de Chine a estimé que seules les personnes sélectionnées par le Comité de nomination – « apôtre de Pékin », formule employée par Jean-Philippe Béja -, pourraient émettre leur candidature pour devenir le chef exécutif d’Hong Kong. Pourtant, Pékin s’était engagé à placer l’élection du chef de l’Exécutif au suffrage universel direct.
À l’heure actuelle, « l’exécutif de Hongkong n’est qu’un exécutant des mesures de Pékin », confirme Barthélémy Courmont. Carrie Lam, cheffe de l’Exécutif ne résiste en aucun cas face à la mainmise de Pékin. Tout au contraire, elle collabore étroitement avec le PCC, affirmant être prête à « coopérer pleinement » avec la Chine pour appliquer la loi sur la sécurité nationale « dès que possible. »
« Au départ, le gouvernement local devait à la fois mettre en œuvre la volonté de Pékin mais aussi exprimer la volonté de sa population auprès de Pékin. Aujourd’hui, il n’a absolument pas défendu les intérêts de Hong Kong. C’est un fiasco total », explique Jean-Philippe Béja.
Par-dessus tout, la population hongkongaise exige un véritable suffrage universel pour élire le chef de l’exécutif et le legco pour garantir l’autonomie de la région. En 2014, cette revendication a été refusée à la suite du mouvement « des parapluies », qui mettait donc en cause la manière dont Pékin limite ce suffrage. Le mouvement n’a rien obtenu et le chef de l’Exécutif est toujours nommé par ce comité, dont la plupart des membres sont désignés par Pékin.
Les élections locales de novembre 2019 ont provoqué un raz-de-marée pour le camp prodémocratie. Le bloc a remporté 85 % des districts, même si leur importance politique est minime. Une immense échéance se place de nouveau devant eux. Les élections législatives se tiennent le 6 septembre prochain. « L’écrasante victoire de novembre donne beaucoup d’espoirs au camp prodémocratie. Il a en ligne de mire de ravir la majorité », explique l’habitante hongkongaise. Cependant, les arrestations des candidats d’opposition se multiplient. Le 18 avril, 15 personnalités politiques prodémocraties ont été arrêtées chez elles, pour finalement être relâchées sous caution.