Les acteurs du tourisme français ont été durement touchés par la crise du Covid-19. Malgré les nombreuses injonctions du gouvernement à voyager français, la filière pourrait ne pas s’en relever en 2020.
Bars, restaurants, hôtels… Les professionnels du tourisme sont à l’arrêt depuis le 15 mars.Le secteur, qui représente 2 millions d’emplois en France et 8% de la richesse nationale, a vu 80 % de sa clientèle s’évaporer à l’aube de l’été, période traditionnellement la plus lucrative. Les acteurs du tourisme n’ont pas pu profiter de la mise en vigueur du déconfinement du 11 mai, mais espèrent reprendre leur activité dès le 2 juin. Selon une récente enquête d’opinion menée par le Comité national du tourisme français, près de 90% des hôteliers et 87% des restaurateurs craignent pour la pérennité de leur entreprise. « Si une réouverture n’est pas autorisée avant juillet, on est morts », indique Georgio, propriétaire du restaurant italien Amalfi, au cœur de la capitale.
Pour sauver le tourisme, l’Exécutif a débloqué une enveloppe de 18 milliards d’euros. Le fonds de solidarité de sept milliards d’euros alloués aux entreprises touchées par la crise restera ouvert à la filière du tourisme au-delà-du mois de mai. Son accès est même élargi aux entreprises employant jusqu’à vingt salariés, et réalisant jusqu’à deux millions d’euros de chiffre d’affaires, contre dix salariés et un million d’euros jusqu’alors. Le plafond de l’aide est également porté de 5 000 à 10 000 euros. « Ces initiatives de l’Etat nous permettront, à la fin de la crise, de donner un nouvel élan économique à une corporation actuellement sinistrée. Elles nous permettent d’appréhender un peu plus sereinement ce grand saut dans l’inconnu qui nous attend », ajoute Georgio.
« Ce qui est bon pour le tourisme est bon pour la France. Ce qui frappe le tourisme frappe la France en plein cœur », a-rappelé le Premier ministre Edouard Philippe la semaine dernière. « Le tourisme fait probablement face à la pire épreuve de son histoire moderne, alors même que c’est un des fleurons de l’économie française. Des pans entiers de l’économie française restent paralysés, et au premier rang : celui des professionnels du tourisme. A long terme, l’objectif national demeure la reconquête de la première place de la France au palmarès des destinations touristiques mondiales. »
La cuvée 2019 avait en ce sens constitué une année record pour le tourisme français : près de 90 millions de voyageurs internationaux se sont pressés pour découvrir le patrimoine français. Le pays était aux portes des 100 millions de visiteurs annuels. Dominque Spenlehauer, président de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie, se montre pessimiste sur une potentielle reprise : « Même si l’on ouvre le 2 juin, la saison est bien entamée. Généralement, elle débute à partir de Pâques. Une période qui, avec les jours fériés de mai, se révèle très importante pour faire ses chiffres. Il reste uniquement la fête des pères et des mères avant l’été. » Georgio ne pense pas mettre la clé sous la porte, mais le coup de frein a été terrible pour son commerce. « Du jour au lendemain, on a été obligés de fermer boutique, comme si Paris croulait sous les bombes. Depuis cette date du 14 mars, on survit plus que l’on ne vit. Le plaisir très français, au cœur de notre identité, de bien manger est compromis par les conditions sanitaires. »
Il y a seulement deux mois, il accueillait en moyenne 70 clients quotidiens au sein de son établissement, dont la majorité de plats à emporter. Aujourd’hui, il peine à dépasser la trentaine. La promulgation du confinement aurait fait chuter « de 60% » son chiffre d’affaires. « Et encore, ici on a réussi quelque peu à compenser l’absence par la vente de pizzas à emporter, mais je n’ose imaginer le sort d’établissements ne pouvant pas proposer cette offre. Je n’ai mis ‘que’ deux employés en chômage partiel car on a réussi à garder un semblant d’activité », souffle-t-il. Edouard Philippe a en effet annoncé de maintenir les dispositifs de chômage partiel pour la filière tourisme « dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui au moins jusqu’à septembre. » « Cette mesure nous permet de conserver un peu de trésorerie et d’envisager l’avenir un peu plus sereinement, même si on vit encore au jour le jour », conclut Georgio.
Un protocole de reprise loin de faire l’unanimité
Bernard, restaurateur aveyronnais installé dans la capitale depuis près de quinze ans, a dû lui aussi redoubler d’imagination pour survivre en ces temps d’épidémie : « Nous nous sommes reconvertis en cave à vins durant cette période si spéciale. Si l’on devait tirer un avantage de cette paralysie, c’est qu’on a le temps d’innover et de penser à des idées pour l’avenir. La vente de vins devrait persister après notre déconfinement. Mais c’est le seul lot de consolation. La fréquentation de l’établissement est en effet passée de soixante couverts quotidiens et d’une moyenne de 65€ par client, à une trentaine de ventes à emporter et une moyenne de 15€ par client. C’est un maigre lot de consolation, mais cela permet toujours de tenir et garder un contact privilégié avec les habitués. » Il a l’impression que la filière est la grande sacrifiée de cette crise : « Aucun plan de soutien sérieux n’a été présenté par le gouvernement à l’heure actuelle, ce n’est pourtant pas faute d’avoir réclamé des actes forts », martèle Bernard. Il pointe les errements de l’Exécutif en la matière : « Le gouvernement va doubler le plafond de l’utilisation des tickets restaurant à partir de leur réouverture et faire en sorte qu’ils soient réutilisables le week-end. La belle affaire ! C’est certes un aménagement encourageant mais ce n’est pas à l’aide de mesurettes comme celles-ci que l’on va redonner une nouvelle impulsion au secteur ! » Avant de proposer : « Les assurances doivent prendre en charge la perte d’exploitation causée par la fermeture des établissements pendant le confinement. Cela permettrait d’accompagner la reprise pour les restaurateurs dans de bien meilleures conditions. »
Beaucoup de ses homologues partagent son amertume. Fin avril, plusieurs établissements de Montpellier, Agde, Béziers et Nîmes, ont décidé d’introduire une requête en excès de pouvoir devant le Conseil d’État. Maître David Guyon, avocat des plaignants, estime que ses clients auraient dû être « informés au préalable » de la fermeture des restaurants décrétée par le Premier ministre Edouard Philippe le 14 mars au soir. « Les décisions de l’Etat sont illégales car disproportionnées. On peut concilier les réalités économiques avec les problématiques de santé publique. Les restaurateurs étaient en mesure de respecter scrupuleusement les règles de distanciation sociale. Si nous obtenons gain de cause, nous pouvons obtenir une indemnisation totale des pertes subies depuis le décret de fermeture des restaurants. » Il dénonce un deux poids, deux mesures : « A titre d’exemple, les transports aériens ne sont soumis à aucune règle de distanciation sociale, et peuvent se livrer à des activités de restauration. » Mais des motifs d’espoir subsistent. Cette semaine, le Conseil d’Etat a ordonné la levée de l’interdiction de rassemblement dans les lieux de culte. « Cela conforte notre argumentation », conclut Maître David Guyon.
Devant une situation intenable, Dominique Spenlehauer négocie déjà un retour à l’activité avec les pouvoirs publics : « Avec mon homologue Jan Hubert, nous avons rédigé une proposition qu’il transmettra au gouvernement. Nous aurons une ébauche des modalités de reprise avant le 25 mai, semaine où le Premier ministre doit annoncer les conditions de réouverture. Dans dix jours environ, il y aura une réunion entre les différents syndicats de la restauration et les membres du gouvernement. » A l’heure actuelle, le protocole de retour à l’activité de la restauration préconisé par l’Exécutif déroute la profession. Il impose au sein des établissements un ‘espace vital’ de 4m2 pour chaque client : « Pour nous, c’est inconcevable. Notre surface est divisée par quatre et ce n’est pas tenable. Il a même été proposé de mettre un plexiglas entre deux personnes face à face. Autant rester fermé dans ce cas. Nous préconisons un chemin unique, avec une entrée et une sortie, un mètre d’écart entre chaque table pour que les clients ne perdent pas trop de place. Sont également à l’étude l’utilisation ou un set de table pour avoir le moins de manipulations possibles à effectuer. Le lavage des mains est déjà réalisé puisque c’est l’essence-même de notre métier. Il est effectué entre 10 et 15 fois par jour. »
Du côté de l’hôtellerie, l’addition est tout aussi salée. Cet hôtelier de la rue de Tocqueville, dans le 17e arrondissement de la capitale, appréhende déjà les pertes de la période estivale, « 80% de son chiffre d’affaires en temps normal. » Actuellement, « 95% des hôtels français sont aujourd’hui fermés. La fermeture de tous ces lieux de commerce est un drame pour les professionnels du secteur. » Il se déclare de son côté satisfait de la réaction de l’Exécutif : « L’Etat a pris très tôt des mesures d’urgence, dont le secteur touristique a pleinement bénéficié. La quasi-totalité du secteur a aujourd’hui recours au chômage partiel. Quelque 6,2 milliards d’euros de prêt accordé par l’Etat ont déjà été pré-accordés à 50 000 entreprises, soit près de 10% des PGE. Cela représente pour nous une soupape d’oxygène salutaire, mais si nous savons que nous ne pourrons pas être perfusés éternellement. » Le tourisme version 2020 sera en conséquence local : « On a tout de même des espoirs car l’on sait que l’interdiction de voyager à l’étranger va inéluctablement engendrer un regain d’intérêt pour la France. Nous ne faisons pas une croix sur la saison touristique de 2020. Les Français sont en quête d’ailleurs en cette période difficile, et cet ailleurs est souvent synonyme de séjour à l’étranger. Il faut réussir à les convaincre que l’ailleurs peut aussi se situer sur notre territoire. C’est pour cela que les Français se doivent de rester en France afin de découvrir nos restaurants, hôtels, cafés, et essayer de redonner une impulsion économique dont on a énormément besoin », estime Ludovic.
Redonner du pouvoir d’achat aux familles modestes
Pour inciter les Français à ‘’consommer local’’, le secrétaire d’État auprès du Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne, a annoncé le financement par l’État et les régions de « chèques-vacances tourisme » pour cet été. A destination, principalement, des plus modestes et de ceux qui ont travaillé « en première ligne » pendant le confinement. Ces chèques permettront de « favoriser le départ de ceux qui ont vécu le confinement dans des conditions difficiles », notamment les publics « les plus modestes ou ceux qui ont travaillé en première ou seconde ligne pendant l’épidémie ». Ils seront donc financés par l’État et les régions. Pour les chèques vacances qui ont été périmés pendant le confinement, Jean-Baptiste Lemoyne a par ailleurs expliqué qu’il allait faire en sorte de les faire reporter « d’un ou deux mois ».
Frédéric Leturque, maire (Les Centristes) d’Arras, se félicite, au micro de LCI, que son idée ait été reprise par le gouvernement : « L’idée est simple : la vie doit reprendre sa place pendant l’été et donner envie aux habitants de se déplacer dans la proximité. Cette somme doit leur permettre de pouvoir le faire financièrement. Près de 50% d’habitants de la région des Hauts-de-France qui ne partent pas en vacances, donc l’idée est de leur donner un coup de pouce via cette amélioration du pouvoir d’achat. »
Roland Héguy, président de l’Union Fédérale des Métiers de l’hôtellerie sur France 24, nuance : « En 2020, en raison de la fermeture des frontières, la clientèle étrangère va représenter un gros manque à gagner, entre 35 à 40% du chiffre d’affaires. Depuis le 14 mars, notre activité s’est complètement arrêtée, donc il était important d’avoir un soutien de 18 milliards de l’Etat. Mais il faut tout de même rappeler que ces 18 milliards sont une dette, un emprunt que les entreprises devront rembourser tout au long des années 2020 et 2021, voire 2022. » Le chemin de croix s’annonce très long pour un secteur du tourisme français sous oxygénation artificielle depuis un peu plus de deux mois.
Etudiant en journalisme à l'ISCPA, je suis à la recherche d'un stage de trois mois au sein d'une rédaction de presse française ou espagnole.