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La déforestation, un facteur non-négligeable pour comprendre les pandémies

Le pangolin ou la chauve-souris, la pandémie du Covid-19 a fait porter le chapeau aux animaux entrés en contact avec l’Homme. Une transmission auparavant impensable, pourtant ces espèces subissent les conséquences destructrices de la déforestation qui les repoussent hors de leur territoire.


La canopée de la forêt tropicale amazonienne s’étend comme l’horizon d’un océan vert. Peuplé d’un riche écosystème de milliers d’arbres, de plantes, et d’animaux, l’Amazonie abrite plus d’un cinquième des espèces sur Terre, dont plus de 2 300 de poissons différentes (plus que dans tout l’océan Atlantique). De plus en plus, cette masse verte, humide et luxuriante se troue de parcelles bien tracées vides et sèches. L’Amazonie, brulée vive, est dévorée à coup de tronçonneuse et d’incendies volontaires et ravageurs. La déforestation a déjà supprimé des milliers d’hectares, pour les transformer en terrains agricoles ou d’élevage. Cette forêt tropicale s’essouffle lentement.

Les associations de protection de l’environnement et des populations autochtones ont tiré la sonnette d’alarme au sujet de l’arrivée précoce des bucherons en forêt. Entre janvier et mars 2020, 796 km2 de déforestation ont été détectés par l’INPE (Institut National Responsable de Recherche Spatial et responsable des données de déforestation amazonienne en Amazonie) une surface aussi large que Madrid. Il s’agit de la plus grande déforestation depuis 2016 et leur utilisation du logiciel DETER. « Cette année, ils sont très en avance. Les feux volontaires débutent habituellement en début de saison sèche, en juillet-août, puis les grands feux en août et septembre. Cela risque d’être très grave. Je pense que l’on peut prévoir une saison sèche qui sera très impactée par ces incendies », alerte Valery Gond, géographe et expert en télédétection à la Cirad (Coopération Internationale pour le Développement Durable des Régions Tropicales et Méditerranéennes). Au cours de la période d’août 2019 à mars 2020, le taux de déforestation en huit mois s’est multiplié par deux comparé aux deux dernières années, alors qu’elles-mêmes atteignaient des records.

Le Brésil possède plus de la moitié de l’Amazonie sur son territoire, dont plus de 19% a disparu. « On a atteint des records », indique Valery Gond. En 2019, la déforestation au Brésil a atteint un seuil considérable, la plus grande augmentation depuis une décennie : 30% de plus qu’en 2018, soit environ 10,000 km2 de forêt en moins.

Jair Bolsonaro a profité de la période de crise sanitaire pour réduire les contrôles forestiers. L’abandon des politiques de contrôle de la déforestation et le soutien politique aux pratiques agricoles et évangélistes ne permettent pas au Brésil de protéger son patrimoine environnemental et met donc en danger sa population d’un point de vue économique à long terme, mais aussi sanitaire.

Avant d’être une affaire de santé, la question écologique joue un rôle central. La multiplication des virus est étroitement liée aux activités humaines et à l’exploitation de nouvelles terres. L’intervention de l’Homme ne fait que bouleverser l’équilibre du monde sauvage. Certains scientifiques relèvent un lien très clair entre l’apparition de virus et la déforestation.  A titre d’exemple, différentes études liées à l’écologie vectorielle se sont concentrées sur les aspects entomologiques* liés à la déforestation et au paludisme en Afrique de l’Est, Asie du Sud-Est, près des frontières écologiques dans l’Amérique tropicale, dans les régions endémiques, ainsi que les frontières agricoles. En 2015, environ 110 millions de personnes risquaient de contracter le paludisme en raison de la déforestation.

Les études affirment que 20% des risques de paludisme dans le monde peuvent être associés au commerce international d’exportations impliqué dans la déforestation, impliquant le bois, le cacao, le café, le soja, l’élevage bovin… Ces exportations sont ensuite transformées et finalement destinées aux consommateurs des pays développés. Dans des régions de l’Amazonie brésilienne, une corrélation positive entre le nombre de parcelles forestières affectées par la déforestation de moins de 5 km2 et l’incidence du paludisme a été trouvée : chaque kilomètre carré de déforestation a entraîné 27 nouveaux cas de paludisme.

Selon David Lapola, chercheur et scientifique au Centre de Recherche Appliqué Météorologique et Climatique de l’Agriculture (CEPAGRI) de l’université of Campinas à Sao Paulo, cette transmission se produit plus fréquemment en Asie du Sud et en Afrique, où se trouvent la majorité des familles de chauves-souris. Il rappelle notamment, que les dernières publications concernant l’origine d’Ebola émettent l’hypothèse que le virus a été transmis aux populations par un contact auprès des animaux, notamment les espèces de chauves-souris, proches des forêts détruites par l’exploitation étrangère des mines et du bois. Par sa grande biodiversité, l’Amazonie pourrait être caractérisée comme une région à grande réserve de virus et autres pathogènes au monde.

Fernando Valladares, chercheur au Département de biogéographie et changement mondial du Musée national des sciences naturelles appartenant au Conseil espagnol de la recherche (CSIC), soutient la théorie holistique et systémique One Health (ndlr : Une Santé en français) soutenue par la FAO dans les années 2000. Selon ce programme, la santé publique, animale et environnementale seraient liées, aux échelles locale, nationale et planétaire. En gardant en bonne condition chacune d’entre elle, la théorie a pour but de mieux affronter les maladies émergentes à risque pandémique et répondre aux besoins alimentaires de chaque pays. Les territoires vitaux des espèces animales rétrécissent et ceux-ci se retrouvent nez-à-nez avec les frontières de l’activité humaine. Ce phénomène favoriserait la circulation des virus. « La pandémie est le résultat de plusieurs facteurs, précise Pr.Valladeres. La déforestation en est une. Les forêts ne sont plus ce qu’elles étaient, elles sont fortement dégradées par l’activité de l’homme. De plus, avec la mondialisation, les maladies locales deviennent mondiales en peu de temps. »

Par Jeanloujustine — Travail personnel, Wikipedia

Un désastre écologique

En novembre dernier, le gouvernement a levé une interdiction décennale de planter de la canne à sucre en Amazonie. De plus, un projet de loi visant à réglementer l’exploitation agricole, minière et l’exploration pétrolière dans les terres autochtones a été présenté au Congrès national du Brésil. Cette dernière pourrait menacer de vastes étendues de forêts qui sont gérées par les communautés autochtones.  Dans une lettre ouverte aux parlementaires de Brasilia, 41 signataires provenant des grandes chaînes de distribution britanniques (tel que Tesco, J. Sainsbury, Marks & Spencer, Asda, Waitrose, mais aussi Burger King UK, ainsi que le fonds de pension public suédois AP7) ont menacé mercredi de boycotter les biens produits au Brésil : « Si la mesure devait être adoptée, cela encouragerait encore l’accaparement des terres et une déforestation de grande ampleur, ce qui mettrait en danger la survie de l’Amazonie. » Ils ajoutent : « Nous croyons que cela mettrait aussi en question la capacité d’entreprises telles que les nôtres à continuer à s’approvisionner au Brésil à l’avenir. » Valery Gond rappelle qu’ « avec Lula, des mécanismes ont été mis en place et ont réduit la déforestation. On note qu’avec une bonne gouvernance territoriale, on arrive à limiter la déforestation. Depuis que Bolsonaro est arrivé au pouvoir, on retourne trente ans en arrière sur la valeur de l’Amazonie. »

De nombreux scientifiques ont lié l’explosion du déboisement au discours anti-environnementaliste du président brésilien, Jair Bolsonaro. Les flambées explosent le long des champs agricoles. Il a été prouvé scientifiquement que les incendies qui ont frappé la forêt amazonienne en 2019 sont reliés à l’augmentation de la déforestation, donc le résultat d’un développement des politiques du gouvernement brésilien aussi climatosceptiques que « coronasceptique. » Une vision qui avait même fait réagir le président de la République, Emmanuel Macron, qui avait suggéré de conférer « un statut international à la forêt amazonienne, au cas où les dirigeants de la région prendraient des décisions nuisibles pour la planète. »

Le président brésilien d’extrême droite, n’a eu de cesse de couper les vivres aux institutions scientifiques ou protectrices de la forêt et des communautés indigènes qui entretiennent la bonne santé de mère nature. Ricardo Galvão, éminent scientifique et ancien directeur de l’INPE, a été fortement critiqué par Jair Bolsonaro après lui avoir rendu un rapport sur la déforestation qui prouvait sa forte intensification. Accusé d’avoir menti, le président lui a donné douze heures pour lui adresser sa réponse. Il s’est alors exprimé à la défense de l’INPE, accusant J.Bolsonaro de lâche et a appelé à une rencontre en face à face. Malgré les applaudissements de la communauté scientifique, il a pris le risque de perdre son poste pour la défense de la science. Comme prévu, Ricardo Galvão a été licencié deux semaines après son affront.

Le déboisement a déjà supprimé environ 15% de l’Amazonie depuis les années 1970 soit l’équivalent de 6 millions de km2. L’Amazonie joue un rôle crucial dans l’absorption de dioxyde de carbone, dans la préservation de la biodiversité, ou dans le cycle de l’eau mondial : ses rivières possèdent un cinquième de l’eau douce sur Terre, et le fleuve Amazone est l’un des plus grands affluents du monde. La déforestation dans cette forêt provoque alors de grandes réactions en chaîne : « C’est comme ouvrir la boîte de Pandore. Quand vous coupez un arbre ou une forêt, vous émettez du dioxyde de carbone dans l’atmosphère et cela augmente la température mondiale et locale. Le sol devient plus dur et moins fertile. Et évidemment, il y a moins de plantes et par conséquent moins d’animaux. La terre est moins filtrée et l’érosion s’intensifie. C’est une spirale infernale », explique Simon Willcock, maître de conférences en géographie environnementale à l’université de Bangor, au Nord du Pays de Galles.

Un environnement plus chaud, plus sec et une terre plus dure, des scientifiques alertent sur le fait que la forêt va atteindre son « tipping point », un point de basculement. « Chaque système atteint sa limite. Il y a un moment quand vous le stressez tellement, il s’effondre, précise le professeur Willcock.  Parfois, quand il s’effondre cela n’affecte pas tant l’Homme. Mais à force d’user l’Amazonie par exemple, elle pourrait ressembler à une savane. » Peu d’espèces s’accoutument au climat plus sec. Seul l’Ouest de l’Amazonie, près de la Cordillère des Andes pourrait rester foisonnante. Si ce scenario se produit, ce sont des milliards de tonnes de dioxyde de carbone qui seront émis dans l’atmosphère et par conséquent, des millions de personnes et espèces qui seront affectées. La forêt que l’on loue pour ses traitements des rejets de CO2, pourrait devenir elle-même une source de rejet.

La forêt amazonienne représenterait 10 à 20% des absorptions de CO2 au niveau mondial. Mais ce ne sont que des approximations, et des études allemandes remettent en question la capacité d’absorption de CO2 de la forêt, due à son manque de phosphore dans le sol. David Lapola travaille en parallèle avec le projet Amazon FACE. Le projet Amazon FACE a été initié par une trentaine de scientifique dont D.Lapola afin de préciser les réelles capacités d’absorption et de rejet de CO2 de la forêt amazonienne par une expérimentation à l’échelle d’un écosystème. Ces études pourraient créer de solides projections et modèles sur : « Comment cette forêt se comportera dans une décennie ? »

David Lapola à droite @João M. Rosa / AmazonFACE

Selon le scientifique, le projet pourrait vraiment prendre forme l’année prochaine. Le gouvernement brésilien qui soutenait l’émergence du projet, a fait machine arrière : « Après la destitution de Dilma Rousseff et la crise au Brésil, regrette David Lapola, plus rien ne fonctionne comme avant et Brasilia a perdu foi en ce projet. »

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Etudiante en journalisme, je recherche un stage de 3 mois dans une rédaction de presse française.

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