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Une crise sanitaire marquante pour la Martinique

Depuis le déconfinement du 11 mai, tout comme en métropole, les habitants des territoires d’Outre-mer reprennent peu à peu leurs activités. Néanmoins, bien que la Martinique, par exemple, ait été moins touchée par la crise du Covid-19 que la métropole, les répercussions économiques qui l’attendent, s’avèrent difficiles à éviter.

La croissance économique de la Martinique avait atteint les 1,2% en 2018, après une chute de 0,6% l’année précédente, selon un rapport de l’INSEE.L’investissement, de son côté, continuait d’augmenter en tirant la croissance vers le haut. Les exportations de biens et services, notamment sur le marché de la banane, avaient permis une augmentation du PIB de 6,6 % par rapport aux trois années précédentes, contrairement aux importations qui restaient modérées. Ce rapport témoignait donc d’une relance de la croissance économique martiniquaise. A cause de la crise sanitaire provoquée par le Covid-19, la production des 3 000 exploitations agricoles et des 36 360 entreprises tourne au ralenti. L’activité économique de l’île a baissé de 27% d’après un rapport du CEROM (Comptes Économiques Rapides pour l’Outre-Mer), les secteurs les plus impactés étant le commerce, le tourisme, la construction et le transport.

Les territoires ultramarins, dont la Martinique, se préparent désormais, à un schéma plus désastreux que les années précédentes. Selon Olivier Sudrie, économiste spécialisé dans les territoires d’Outre-Mer, il s’agirait « d’une crise historique et d’un recul de richesses, qui prendra certainement plusieurs années à être comblé. » Il explique qu’à l’aide de différentes simulations, il a été possible d’estimer le temps que l’on pourrait prendre pour colmater ces pertes : « Si l’on voulait changer la donne en 3 ans donc, d’ici à fin 2022, on serait tout simplement incapables de le faire. Pour la Martinique, il faudrait 9% de croissance par an entre aujourd’hui et 2022 pour pouvoir rattraper le retard et ça, 9%, on ne sait pas faire, personne. La crise, on va pouvoir s’en sortir évidemment, mais à un horizon beaucoup plus lointain. Techniquement, imaginer à la fois la reprise et les pertes épongées avant 2025, ce n’est pas possible. Pour le coup, il s’agirait plutôt d’un choc qui va durer entre 5 ans et 10 ans. »

Toujours selon Olivier Sudrie, deux scénarios possibles s’offrent à la Martinique : « Pour la Martinique, l’impact est important. Pour se donner un ordre d’idée, élaborons différents scénarios. Dans le meilleur scénario, l’activité pourrait reprendre dès maintenant.  On aurait une perte de richesse sur l’année globale d’un peu plus de 4%, c’est-à-dire que le PIB de l’île reculerait de 4%. Cela reste un scénario très optimiste, je vais vous en donner un autre qui l’est beaucoup moins. Tout d’abord, ce qu’il faut savoir c’est que dans le PIB, il y a non seulement de la richesse créée par les entreprises et mais aussi la richesse qui est créée par les administrations. Cette dernière ne va pas reculer, puisque les fonctionnaires continuent à être payés, et continuent à faire leur travail. C’est la richesse créée par les entreprises qui devrait reculer beaucoup plus. En Martinique, ce n’est pas de -4% mais de -7%, du jamais vu dans l’histoire des statistiques en Outre-Mer. C’est encore un des scénarios les plus optimistes, car par exemple, si l’économie martiniquaise se remet progressivement en route entre la fin du confinement et le 1er septembre, la perte serait cette fois-ci de -9%. »

« Avec la crise du Covid-19, les exportations allaient au ralenti »

Pour les travailleurs qui ne sont pas fonctionnaires, il est vrai que cette crise a été pour eux, une source de perte de revenus. Pour Carine (le prénom a été modifié) notamment, une maraîchère qui travaille sur le marché couvert de Fort-de-France ayant rouvert mercredi dernier, ces derniers mois ont été très compliqués.  Initialement prévue pour le jour du déconfinement, la réouverture du marché a dû être décalée au mercredi suivant, le temps de réorganiser l’espace et de nettoyer. A la place des grands étalages habituels, des petites tables étaient mises à disposition avec un marquage au sol afin de respecter les règles de distanciation physique. Pour autant, depuis la réouverture, le marché n’a pas été un grand succès, car les clients se faisaient rares : « Je peux comprendre que l’on soit encore effrayé à l’idée de sortir. C’est difficile pour tout le monde. De plus, à moins d’être fonctionnaire et encore, mes revenus n’étaient pas du tout garantis. J’ai moi-même, ainsi que mon époux, eu beaucoup de mal. Heureusement, grâce au télétravail effectué par mon fils, on a pu joindre les deux bouts mais ça reste difficile. »

Durant le confinement, Carine a plutôt eu tendance à produire qu’à vendre, ce qui a creusé un fossé dans son chiffre d’affaires : « A cause de la crise sanitaire, j’ai perdu beaucoup de ressources. Je vends des fruits et des légumes donc forcément, avec les mois qui passent, tout ce que j’ai produit n’était plus apte à être consommé. Il a donc fallu refaire des récoltes, hors cela représente déjà une grande perte d’argent et de temps. » Carine compte donc sur les prochaines semaines pour remonter la pente, car elle n’en est pas à ses premières pertes : « C’est difficile d’arriver à inciter les gens à consommer des fruits et des légumes à cause du chlordécone* dans un premier temps. Ça a énormément touché la population qui s’est fragilisée et qui se méfie davantage, ça et le virus, forcément ça n’arrange pas les choses. Même si je vends aujourd’hui je ne pourrais pas combler les pertes d’avant, d’autant plus que je dois en partie payer les études de ma fille. »

*un pesticide toxique utilisé entre 1981 et 1993 et employé pour le traitement des bananiers. Ce produit est à l’origine d’une pollution importante en Guadeloupe et en Martinique découverte en 1999.

Les rues de Fort-de-France reprennent vie peu à peu © Jéhanne Cardou

Pour sa fille, Cassidy, qui étudie à l’université, la crise n’a pas été facile à gérer non plus : « J’économisais pour aller en Martinique pour retrouver ma famille là-bas, car j’étudie en France, mais aussi pour le stage que je devais effectuer. Malheureusement avec les circonstances actuelles, et même avec l’aide de l’Etat pour les étudiants d’Outre-Mer dont j’ai pu bénéficier, il me sera impossible de me rendre en Martinique. L’entreprise qui était censée me prendre en stage a aussi dû l’annuler. » Elève boursière, Cassidy a dû effectuer un travail à côté de ses études pour se nourrir : « Heureusement que c’est la fin de mes cours sinon je ne sais pas si j’aurais pu continuer à les payer. C’est une situation vraiment difficile actuellement, d’autant plus que je ne peux pas être aux côtés de ma famille. »

Néanmoins, plus que sa situation actuelle c’est pour sa famille que Cassidy s’inquiète : « Mon père aussi est agriculteur, plus précisément dans le secteur de la banane. La banane, en Martinique, c’est un produit très important puisqu’il représente une grande part de nos exportations. Avec la crise du Covid-19, les exportations allaient au ralenti et c’était vraiment très difficile à gérer pour mon père. Il n’a évidemment pas été le seul à être touché, pour beaucoup de ses collègues ce fut également le cas. J’ai très peur pour mon île, avec la vie chère qu’il y a là-bas, c’est déjà très difficile de s’en sortir mais si en plus on perd des revenus sur cette activité qui nous rapporte le plus, j’ai peur qu’on ne puisse pas remonter la pente. »

« A très court terme, il faut aider les entreprises massivement »

Selon Olivier Sudrie, même si la situation s’avère critique, il existe des solutions déjà mises en place, qui pourraient permettre à l’île de se stabiliser face à la crise. Ces solutions diffèrent en fonction de leur place dans le temps : « A très court terme, il faut aider les entreprises massivement. Alors ça s’est déjà fait et en grande partie par le gouvernement. Après pourquoi aider massivement les entreprises ? Tout simplement pour éviter un système défaillant, qu’elles ne fassent faillites et un chômage massif. Il faut leur apporter des fonds, par exemple les mesures de chômage partiel, qui sont les bienvenues, parce que ça permet aux entreprises de conserver la main-d’œuvre sans avoir à les payer. Vous avez des mesures de report des échéances fiscales et sociales, ça vous évite de faire un chèque pour les impôts ou bien la sécurité sociale. Tout cela allège la trésorerie de l’entreprise. » 

Ce modèle a déjà été suivi par de nombreuses entreprises. Cependant si les entreprises ont leurs rôles à jouer dans l’avenir de l’île, le scénario s’applique aussi à la population, selon lui : « Dans un deuxième temps, il faut qu’il y ait de la demande. Il faudra appuyer la consommation des ménages martiniquais. » Un autre scénario qui semble possible malgré la méfiance actuelle des ménages par rapport à la consommation. Enfin, les investissements qui avaient pu, en 2018, aider le PIB de la Martinique à augmenter, sont selon lui à valoriser mais pour autant difficile à mettre en place : « Dans un troisième temps, il faudra mettre le paquet sur l’investissement. Je ne crois pas que l’investissement soit le moteur de la reprise à court terme, tout simplement parce que les entreprises n’ont pas besoin d’investir, d’abord parce qu’elles ne peuvent pas se le permettre financièrement, et ensuite car la demande n’est pas suffisante. »

En définitive, la crise sanitaire actuelle a mis en lumière la fragilité du tissu productif de la Martinique, prouvant la nécessité de se préparer davantage à la crise économique qui frappera l’île. Il faudra donc surmonter les faillites éventuelles, néanmoins tout reste à déterminer. Les années suivantes seront l’occasion pour l’île de se développer économiquement pour espérer rebondir.

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Etudiante en journalisme à l'ISCPA. Je recherche un stage de 3 mois afin de valider ma deuxième année de journalisme.

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