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Les enjeux de la réouverture d’Orly

Le trafic aérien a été quasiment réduit à néant depuis le mois d’avril. Le milieu de l’aéronautique espère redémarrer au plus vite. À Orly, deuxième aéroport de France, le débat s’est ouvert sur une réouverture partielle du trafic.

Aucune date n’est à ce jour arrêtée pour la réouverture de Paris-Orly. Depuis le 31 mars au soir, le trafic commercial est stoppé sur les pistes du deuxième aéroport de France. Mis à l’arrêt par la crise sanitaire du coronavirus et par la chute spectaculaire du trafic aérien, Orly est depuis plus d’un mois et demi, fermé. Une situation inédite pour l’ensemble du secteur aérien habitué à croître sans cesse depuis de nombreuses années. L’association internationale du trafic aérien (IATA) a estimé que ce dernier ne reviendrait à son niveau d’avant la crise qu’à partir de l’année 2023. Dans ce contexte exceptionnel, le milieu doit s’adapter et la reprise s’annonce longue et douloureuse. Le plan de redémarrage prévoit trois phases : « D’abord, les marchés domestiques à la fin du deuxième trimestre, c’est-à-dire au mois de juin, ensuite au troisième trimestre à partir de juillet, nous aimerions ouvrir de nouveau les marchés continentaux : l’Europe, l’Amérique du Nord ou l’Asie-Pacifique, puis enfin au quatrième trimestre, l’intercontinental », a précisé le 16 mai, Alexandre de Juniac, directeur général de l’IATA, au micro de France Inter.

Un A330 d’Air Caraïbes, compagnie basée à Orly ayant co-signée une lettre ouverte demandant la réouverture de l’aéroport le 26 juin prochain. © Daniel Eledut / Unsplash
Un A330 d’Air Caraïbes, compagnie basée à Orly ayant co-signée une lettre ouverte demandant la réouverture de l’aéroport le 26 juin prochain. © Daniel Eledut / Unsplash

Une situation inédite qui a entraîné une chute du trafic aérien parisien de 99% au mois d’avril par rapport aux chiffres d’avril 2019, selon le groupe Aéroports de Paris (ADP). Dans ce contexte, la direction de l’aéroport prévoyait une réouverture à l’automne. Une décision contestée rapidement par de nombreuses compagnies aériennes. Le 6 mai, neuf d’entre elles ont rédigé une lettre ouverte à Jean-Baptiste Djebbari pour demander la réouverture d’Orly d’ici au 26 juin. Parmi elles Air Caraïbes, Air Corsica, Amelia, Chalair, Corsair, French bee, La Compagnie, Level et Transavia France. Ces compagnies ont comme point commun d’être basées sur l’aéroport d’Orly : « Nous y employons notre personnel, mais aussi celui de nos partenaires sous-traitants dans les domaines de l’assistance au sol, du catering et la maintenance et de toutes les activités connexes s’y rattachant », ont-elles justifié dans la lettre. Elles estiment la situation « intenable », en cas de prolongation de la fermeture, la « survie des compagnies » serait en jeu. Un appel qui a porté ses fruits puisque le secrétaire d’État aux transports a depuis annoncé dans les médias travailler sur l’hypothèse d’une réouverture. 

Le groupe ADP est lui resté prudent, conditionnant la réouverture à une reprise minimum du trafic. Relancer la machine d’Orly sans un nombre minimum de vols ne serait pas rentable pour le numéro un mondial de la gestion aéroportuaire. ADP privilégie pour l’instant une autre solution : regrouper l’ensemble des vols à Roissy. L’aéroport Charles de Gaulle a la capacité logistique d’accueillir l’ensemble des vols prévus cet été. Une situation que les compagnies basées à Orly veulent éviter. La délocalisation des vols engendre un allongement du temps de trajet. Il faut aussi faire venir le personnel travaillant d’Orly à Roissy. Ces conséquences entraînent des surcoûts qui se répercutent sur le prix des billets. Pas la meilleure option pour relancer le trafic.

Sur les pistes, on discute beaucoup et les craintes sont partagées par le personnel travaillant sur l’aéroport : « Nous entendons beaucoup de rumeurs mais pour l’instant rien d’officiel. Notre entreprise, en cas de nécessité, peut délocaliser notre travail à l’aéroport Charles de Gaulle. C’est stipulé dans nos contrats. Pour tous les salariés qui habitent près d’Orly ça risque d’être compliqué s’il faut aller travailler à Roissy. J’appréhende un peu pour se déplacer le matin avec les embouteillages et le temps de trajet », explique Mbeya Matumbudi, magasinier pour la société de maintenance IGO Solutions. Depuis le confinement, l’activité a fortement chuté pour l’entreprise de sous-traitance qui travaille pour plusieurs compagnies aériennes. « Nous maintenons notre activité à l’aéroport seulement deux jours par semaine. Je procède à des commandes d’achats, lorsque les mécaniciens ont besoin de pièces, je passe des commandes.  Lorsque les pièces sont défectueuses, je les envoie en réparation », explique l’homme de 28 ans. Un maintien partiel de l’activité qui se doit à l’entretien des avions. Rester au sol trop longtemps est anormal, les vérifications techniques continuent sur le tarmac. 

À moyen terme, la chute de l’activité pourrait entraîner des risques de fermetures, Mbeya Matumbudi qui travaille à l’aéroport depuis 5 ans, travaillait auparavant pour la compagnie Aigle Azur, fermée depuis septembre 2019 : « C’est un milieu très risqué. J’ai des collègues, plus anciens qui m’ont dit il n’y avait rien de sûr. En moyenne, la durée de vie d’une société de maintenance en sous-traitance est de 5 ans ici. Le milieu me plaît mais je n’ai aucune perspective de longévité pour ma suite de carrière », conclut-il.


La fermeture a entraîné une chute spectaculaire de la pollution

Si certains sont dans l’incertitude, d’autres savourent cette situation : « Les riverains ont été très contents de la fermeture de l’aéroport. Ils ont l’impression de revivre. Il y a une autre vie sans les avions. Le ciel est plus propre. Il n’y a plus de dépôts noirs sur le linge qui sèche dans le jardin, à cause des particules fines et extra-fines dégagées dans l’atmosphère par la combustion du kérosène », affirme Gérard Bouthier, président de l’association de défense des riverains de l’aéroport Paris-Orly (DRAPO). 

Avec l’aide de ces partenaires Bruitparif et Airparif, l’association a constaté dans un communiqué une chute spectaculaire de la pollution sonore et atmosphérique depuis la fermeture de l’aéroport : 32 fois moins de bruit en ville et une baisse de 60% des émissions d’oxydes d’azote : « Les problèmes de santé publique se trouvent améliorés du fait de cette situation. Ces résultats vont permettre d’avoir la possibilité de se rapprocher de la promesse des accords de Paris. C’est forcé par le coronavirus et il n’y a pas que l’avion bien entendu, il y a aussi la baisse de la circulation automobile qui explique cette amélioration. Les accords de Paris sont un objectif signé par beaucoup de monde, et qu’il était rigoureusement impossible d’atteindre dans les circonstances habituelles de circulation aérienne et automobile », explique le président de l’association. Paradoxalement le coronavirus a aussi eu des conséquences positives sur la santé des français. 

En dépit de ces résultats, la lutte contre la propagation de l’épidémie se poursuit et le secteur aérien doit lui aussi prendre des mesures pour assurer la sécurité des passagers. Contactée, la compagnie aérienne Transavia a jugé qu’il était encore « trop tôt » pour communiquer sur les mesures sanitaires envisagées pour la reprise de ses vols. Selon Gérard Bouthier, le respect des gestes barrières dans les avions est impossible : « Les premiers clusters qui se sont produits sur l’ensemble de l’Europe viennent du transport aérien. L’avion est un vecteur majeur de la propagation du virus. Avec 200 personnes à son bord, on n’a aucune sûreté. Il faudrait que les mesures de distanciation imposées aux autres moyens de transports soient appliquées pour l’aviation. » Si les passagers des trains ne pouvaient occuper qu’un siège sur deux, il n’y aurait pas de restrictions sur le nombre de passagers aériens. 

Une occasion unique de repenser le modèle des transports 

Pour soutenir Air France, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie a annoncé que l’État accordera un prêt de 7 milliards à la compagnie aérienne. Un plan de sauvetage qui comporte des conditions. La compagnie doit devenir « la plus respectueuse de l’environnement de la planète », selon les mots du ministre. Évoquant la question des lignes intérieures Bruno Le Maire a demandé la suppression de tous les vols qui peuvent être effectués en 2h30 en train. Une mesure touchant directement l’aéroport d’Orly et qui fait déjà débat. Des élus bordelais ont écrit un courrier au Premier ministre Édouard Philippe pour demander la préservation de la navette Bordeaux-Orly. 

L’association DRAPO milite depuis des années pour la suppression des vols courts : « Nous sommes naturellement favorables à cette décision, toujours dans l’esprit de limiter au maximum la pollution sonore et atmosphérique. Il faut privilégier le train. Les chiffres selon les experts évoquent une pollution entre 15 à 150 fois inférieure entre l’aérien et le ferroviaire. Il faut cependant rester méfiant car si les vols intérieurs sont tous remplacés par des vols longs courriers, la situation sera encore plus dégradée », explique son président. 

La chute du trafic aérien est l’occasion unique de repenser le modèle : « Ces quelques mois nous auront permis de prendre conscience que ces objectifs peuvent redevenir possibles. Il ne reste plus qu’à avoir la volonté politique de le faire », conclut Gérard Bouthier. Pour évoquer ces questions, le président du réseau DRAPO a demandé un entretien avec Jean-Baptiste Djebbari. La décision du secrétaire d’État aux transports sur la réouverture d’Orly est, elle, attendue vers la fin du mois.

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Diplômé d'une licence d'Histoire à la Sorbonne, je suis ensuite entré en 1ère année de Master journalisme à l'ISCPA Paris. A la recherche d'un stage ou d'une alternance dans un média..

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