Le 11 mai 2020 a marqué le début de la première phase de déconfinement en France. Mais si la majorité des commerces rouvrent, cela ne signe pas le retour à la vie d’avant. A L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) on a encore du mal à s’habituer aux nouvelles règles.
La réouverture des salons de coiffures est une délivrance pour certains. Depuis plus d’une semaine, le salon de coiffure afro Ethni’ka a repris ses activités. Dans la petite ville de région parisienne l’Hay-les-roses, on constate le changement. Pour Olga, co-gérante de 40 ans, il fallait prendre des mesures drastiques. D’un regard strict, elle veille à ce que chacun de ses employés et clients appliquent les consignes à la lettre.
« Nous avons réaménagé le salon et changé l’entrée. Désormais l’entrée se fait par une autre porte à quelques mètres de celle initiale, de sorte que les clients ne se croisent pas, explique la gérante. Avant d’entrer, les clients désinfectent leurs mains obligatoirement, il y a une poubelle où ils peuvent jeter leurs gants histoire de ne pas ramener les microbes. En revanche le masque est obligatoire. » Pour s’assurer que tout le monde en ait un, elle pense même à vendre des masques à l’entrée.
Une fois après avoir passé le couloir d’entrée, les clients ont accès à la salle. A l’intérieur, les sièges sont espacés de 1 mètre. 4 fauteuils au total : deux côté femmes et 2 coté hommes. Pas le temps de refaire la décoration. Il n’y a plus de magazines de modes ni de catalogues de coiffures, tout le superflu n’a plus sa place. Ici, même avant le Covid-19, les admissions ne se faisaient que sur rendez-vous. Le prix de ses services n’ont pas augmenté, contrairement à d’autres coiffeurs. Pour les clients, c’est un véritable bonheur de se faire chouchouter : « J’ai beaucoup de repousse et mes cheveux sont difficiles à coiffer, seule. Je n’avais pas envie de faire des bêtises, je suis heureuse qu’un professionnel s’en occupe, affirme Reine, qui malgré la ruée a réussi à décrocher un rendez-vous. C’est difficile de garder le masque tout du long, j’ai du mal à respirer puisque je ne suis pas habituée. Mais je tiens le coup pour la sécurité de tous. » Après son passage, Olga se dépêche de désinfecter le siège utilisé. Il en va de même pour tout le matériel.
« Déjà, avant le Covid-19, nous utilisions des stérilisateurs. Maintenant, en plus on les désinfecte avec du gel hydroalcoolique. Après chaque passage des clients, les fauteuils sont désinfectés. Nous utilisons des capes jetables par-dessous nos capes ordinaires. » Bien qu’elle soit heureuse de revoir ses clients, Olga a conscience de son exposition au virus. Elle est convaincue de pouvoir éviter la maladie et montrer ainsi qu’on peut vivre avec le virus.
« C’est difficile de faire respecter les consignes, ils ne sont pas habitués au masque. Nous leurs demandons de porter le masque au moins le temps que l’on s’occupe d’eux. Sinon ils n’auront pas accès au salon. Dehors, vous faites ce que vous voulez mais pas ici, on se plie aux règles. »
Une reprise à petit pas
Un peu plus loin, la boutique l’Hay service s’efforce aussi de limiter les risques de contamination. Cette enseigne spécialisée dans la réparation d’appareil électronique fait aussi office de cyber café et de taxiphone. Durant le confinement, elle continuait à recevoir des téléphones et ordinateurs pour réparation à domicile. Du gel hydroalcoolique est disponible à l’entrée. Ici le propriétaire, Rachid, âgé de 47 ans, a décidé de distribuer des masques aux clients qui n’en ont pas. A cette vitesse il ne pense pas disposer d’un stock suffisant. Les comptoirs sont maintenant équipés de barrière en plexiglass. Il n’y a plus de stylos uniques mis à disposition des clients. Le seul personnel étant sa femme et lui, il n’a pas eu à faire des licenciements.
Tout le monde porte des gants et masques. Sur les sept ordinateurs, seuls cinq sont disponibles pour instaurer une distance physique. Ils sont désinfectés après chaque utilisation. Il en va de même pour les trois cabines téléphoniques. Etant des boxes isolés, il n’a pas jugé nécessaire d’en mettre un hors service. Ici aussi, on essaie de s’adapter à ce nouveau mode de travail : « Tout a changé. Normalement, on travaille 8 heures par jour mais nous avons réduit nos horaires. Il est difficile de s’habituer à travailler avec les gants. Parfois si ma femme ne me le rappelle pas, j’oublie de changer mon masque toutes les quatre heures », confie Rachid. Sa femme lâche un petit rire en l’entendant, avant de retourner désinfecter un poste informatique qu’une cliente vient de quitter.
La majorité de la clientèle vient de la diaspora africaine. Ces clients font des transferts d’argent régulièrement vers leur pays natal. Avec l’impact économique lié au coronavirus, ils sont de moins en moins nombreux à effectuer des virements. Cela cause une reprise assez lente des activités. Néanmoins Rachid est content de reprendre du service, lui qui « commençait à s’ennuyer. »
Le confinement impossible pour certains.
Dans la pizzéria « Andiamo » il n’était pas question de fermer malgré l’ordre de confinement. Le restaurant venait juste de reprendre du service en janvier après six mois de rénovation des locaux. Il n’y a pas que le secteur de la restauration en jeu, mais aussi des filières d’agriculteurs, viticulteurs et d’éleveurs.
Sur une surface de 15 m2 il n’y a que quatre couverts, qui ont été retirés. Il risque de maintenir l’espace vide pour ne pas avoir de surcharge. Ici, on fait de la vente à emporter et des livraisons à domicile via plusieurs plateformes comme Uber Eats et Just Eat. Normalement trois personnes sont en service en comptant le patron. Aujourd’hui, il n’y a que Serge, le cuisinier et son commis de cuisine qui s’occupe du service en salle et des livraisons. Depuis le comptoir, on aperçoit le cuisinier manier habilement la pâte. Equipé d’une visière de protection, il se dépêche d’enfourner les dernières commandes : « Nous avons pris de nouvelles mesures sanitaires pour nous protéger nous et nos clients. Cela concerne le nettoyage des ustensiles et l’hygiène basique en cuisine. »
Malgré ce discours qui se veut rassurant, pas de grands changements visibles, et force est de constater un léger laisser aller. Son commis de cuisine, lui, n’a ni masque ni gants. Il ne les met que quand il doit enfourcher sa moto pour des livraisons. Il n’y a pas de barrière en plexiglass au comptoir. Il n’y a pas de marquage au sol pour faire respecter la distance physique d’un mètre. Une situation qui n’a pas l’air d’inquiéter : « J’ai mon masque, du coup ça va. Je suis une habituée du coin, comme ça je ne mange pas de pates tous les jours. Ça me permet aussi de soutenir l’économie locale, tout le monde y gagne », confie Marie, 23 ans.
Une longue attente
Si beaucoup sont heureux de reprendre du service, d’autres attendent nerveusement leur sort. Portes closes, les tables et les chaises prenant la poussière, c’est le nouveau décor du restaurent Chez Sam. Pour Nora, la propriétaire, les longues soirées festives semblent être un vague souvenir : « Nous attendons impatiemment les annonces du gouvernement avant de faire quoi que ce soit. Pour être bien aux normes. »
Le Premier ministre a annoncé la semaine dernière que les restaurants dans les zones classées vertes pourraient rouvrir à partir du 2 juin, à la seule condition que l’évolution de l’épidémie ne se dégrade pas. Cependant dans les zones classées rouge, c’est le flou total. Un milliard de repas n’ont pas pu être servis pendant le confinement pour une perte d’activité abyssale de treize milliards d’euros.
La configuration actuelle de la salle pourrait bien changer : « Notre capacité actuelle est de cinquante couverts avec des tables de 6 et 4 personnes. Selon les annonces du gouvernement, ce nombre de couverts risque de chuter drastiquement, on espère pouvoir en garder au moins la moitié. » Mais l’important est de rouvrir. Chez Sam, on pense déjà à comment limiter les risques de contamination. Espacement, gel hydroalcoolique et même la carte des menus : rien n’est oublié : « Nous avions déjà pensé à moderniser le restaurant avec des menus sur tablettes. Ils seront désinfectés avec des lingettes après chaque utilisation. »
Tous les employés sont actuellement au chômage partiel. S’il y a diminution des couverts, ils n’auront pas d’autre choix que de réduire l’effectif en salle. Comme beaucoup d’autres, le restaurant a essayé de continuer les activités malgré le confinement. Mais le pari est plus difficile à réaliser que prévu : « Nous nous sommes inscrits sur la plateforme Uber Eats avant le confinement. Mais nous sommes un restaurant de viande traditionnelle : ça ne marchait pas vraiment. Nous avons donc décidé d’arrêter. Ouvrir le restaurant seulement pour les livraisons nous fait perdre plus d’argent qu’autre chose. Les seules personnes qui prennent à emporter sont nos voisins de temps en temps », conclut Nora. Le gouvernement a annoncé le 14 mai un plan de relance mobilisant plus de trois milliards d’euros, sous forme de prêts et d’investissements en fonds propres, portés par la Caisse des Dépôts et BPI France. Aussi pour inciter les Français à retourner au restaurant, le plafond journalier des tickets-restaurants est doublé, à 38 euros.
Etudiante en deuxième année de journalisme à l'ISCPA Paris.