Culture Featured Grand Format

Coup de projecteur sur le monde du spectacle

Un scénario-catastrophe s’abat sur le monde du spectacle vivant. En pleine crise sanitaire, les tournages sont annulés, les festivals reportés et les contacts physiques risqués. L’aménagement et la réalisation de divertissement dans un contexte de distanciation sont primordiaux et indispensables.

Les cinémas, théâtres, cirques ou encore opéras, jugés commerces « non-essentiels » sont fermés depuis le 15 mars. Une décision du président de la République lourde de conséquences pour le monde du spectacle vivant qui vit essentiellement de la présence de son public. Des passionnés d’art et de divertissement se questionnent au sujet de la création de contenu futurs dans l’industrie du spectacle. Tant bien-même les salles de représentation pourraient rouvrir, les productions artistiques, elles, devraient soit se retrouver à l’arrêt soit devoir s’adapter en prenant en compte le « monde nouveau » et les principes de distanciation physique. C’est ce principe, sécuritaire certes, mais de respect des règles sanitaires qui inquiète au plus haut point les réalisateurs et metteurs en scènes qui vont devoir réinventer, à leur manière, l’essence du monde artistique.

A commencer par le théâtre : sa singularité est de rassembler dans un même lieu pour partager une œuvre jouée par des artistes vivants. Cet art a traversé mille ans d’histoire grâce au public, tout ce que le coronavirus empêche. Pour le metteur en scène Olivier Royer, cette crise permettra « de se réinventer, c’est un challenge pour le monde du spectacle vivant, avec un côté passionnant. » Malgré l’incertitude sur la réouverture des lieux publics, il continue de garder contact avec ces comédiens : « Je demande à mes élèves de m’envoyer des vidéos de monologue et nous travaillons la pièce du mieux possible ». Les répétitions du groupe de théâtre reprendront progressivement, en limitant le nombre de personnes à une dizaine. La présence physique reste vitale pour la réalisation du projet, ainsi que la voix des artistes : « Le spectateur doit entendre du premier au dernier rang. Avec les masques cela s’annonce difficile. »

Au théâtre, l’intensité de la voix oblige les comédiens à postillonner. L’utilité de celui-ci est donc fortement recommandée, mais pose problème sur d’autres points. Le masque occupe 50% du visage, ce qui cache les expressions théâtrales, en plus d’un souci esthétique majeur. Le théâtre est un art qui fait rêver son public et qui l’envoie vers d’autres horizons. A la vue des comédiens portant des masques, la trace du coronavirus reste présente sur scène : « Ils vont obligatoirement symboliser le virus. »

Déjà présent dans les médias et les réseaux sociaux, le coronavirus doit être écarté l’espace d’un instant : « Nous allons trouver des solutions et voir si la recherche du vaccin portera ses fruits. » Pour l’année à venir, Olivier Royer écarte l’idée d’une pièce de groupe : « Je me baserai uniquement sur des monologues, je veux rester corona actif. » Certaines pièces filmées sont postées sur Internet, une option pour garder de la visibilité. Le 2 juin, les théâtres espèrent rouvrir leurs portes au public, diminuant le nombre de places de moitié. Les revenus des représentations sont rentables lorsque la salle est remplie à 60%.  Les intermittents du spectacle qualifient cette année comme « blanche » entre les gilets jaunes, la grève de décembre et le virus.

Nouvelle séquence pour le cinéma

Dans les années 1940, une épidémie de grippe avait contaminé Hollywood, obligeant deux acteurs à s’embrasser avec des masques. Une scène qui reste dans les annales mais qui n’a jamais été reproduite. Chaque acteur et actrice a le choix d’accepter les contacts physiques, et peut se soumettre à des tests sérologiques pour garantir la sécurité de l’équipe de tournage. Cependant les résultats de ces tests sont contestés et bancals sur leur diagnostic, peu fiable. 

La comédienne Sanda Codreanu, ancienne élève du Cours Florent, témoigne de ses inquiétudes concernant la reprise du cinéma : « C’est impossible en tant que comédien de porter un masque, de ne pas se toucher ou de jouer à distance. »Malgré les gestes barrières qui handicapent la réalisation d’un film, certains ateliers restent possibles. La lecture de scénario ou de pièce de théâtre peut être effectuée sans risque, un début pour une reprise en douceur. Le scénario est l’élément principal d’un film car il définit sa structure : « Durant la lecture d’un scénario, on ne peut se permettre de penser Covid, il faut faire le choix de faire son métier à fond, ou pas. » Les comédiens sont leurs propres outils de travail, et sans leurs corps disponibles à 100% il est difficile d’envisager un jeu de rôle de qualité. Les grands noms du cinéma français, comme Isabelle Adjani, ont adressé un message au chef de l’État : « La distanciation sociale est incompatible avec le monde de l’art du spectacle vivant. »

Au derrière des caméras, le mode de vie des acteurs reste adapté au virus : « Pendant un tournage, notre vie sociale est réduite. » explique Sanda. La journée-type d’un acteur est donc de tourner puis de rentrer à son hôtel et bis repetita. Les risques de contaminer des personnes extérieures sont réduits, mis à part pour la figuration qui attire peu de volontaires en cette période. Les tournages sont limités à 50 personnes et les lieux doivent être entièrement fermés aux riverains. Les tentes sont également interdites. 

Des mesures sanitaires contraignantes

Les pertes économiques du secteur sont estimées à 2 milliards d’euros. Le président du Centre national du cinéma souhaite rassurer l’ensemble des intermittents du spectacle : « Nous soutiendrons l’ensemble des filières dans ce contexte-là. » Parmi ces aides, figure l’encouragement financier au maintien des sorties en salles, afin d’adopter des mesures barrière les plus protectrices possibles. Emmanuel Macron a annoncé des mesures pour aider l’industrie du spectacle. Un fond d’indemnisation temporaire est mis en place par les SOFICA (sociétés de financement de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel). Mais les assurances sont réticentes au financement des tournages, dans le doute d’avoir un public au rendez-vous. Le ministre de la Culture, Franck Riester va prendre l’initiative de se rapprocher des collectivités locales, très impliquées dans le financement de la Culture pour unir leurs actions afin de soutenir au mieux les acteurs culturels. 

Le Festival de Cannes est reporté fin juin à « des jours meilleurs », a communiqué Thierry Frémaux, délégué général de l’évènement. Hormis la sélection officielle, le festival compte dans son organisation « la semaine de la critique » et « la quinzaine des réalisateurs » : ces deux événements en parallèle permettent chaque année de dévoiler des films d’auteurs peu connu du public. Une annulation pénible pour les novices de ce monde sélecte, qui espèrent élever leur notoriété au Palais des Festivals et des Congrès. Certains ont suggéré un festival « numérique », une idée qui n’enchante pas les organisateurs par respect pour les auteurs.  Le film « The French Dispatch » de Wes Anderson devait être projeté en ouverture pour entamer les festivités, en avant-première mondiale. La solution du numérique supprime la saveur légendaire de Cannes, qui projette des films possiblement grandioses. Regarder ces chefs d’œuvres sur petit écran n’est pas envisageable. Le festival de Cannes n’est pas uniquement synonyme de glamour, mais de rencontres. 

Le rassemblement dans un même lieu pour partager ensemble est le mot d’ordre du spectacle vivant. Cette philosophie ne peut être réalisée avec le coronavirus, qui empêche le lien social. Les orchestres qui regroupent plusieurs musiciens devront appliquer la distanciation sociale, en particulier les musiciens à vent. Ils seront protégés par des panneaux transparents pour éviter les postillons et les musiciens à corde devront porter des masques. Pour le théâtre, distancer les artistes est la première préconisation pour l’infectiologue Eric Denas : « Un mètre d’écart entre les comédiens. » Selon lui, les tests sérologiques doivent être obligatoires : « Il faut tester tout le monde, si l’ensemble des comédiens sont négatifs, il faut prévenir le public pour ne pas installer de psychose. » Il poursuit en indiquant que la réalisation de spectacles est possible mais qu’il faut rester vigilant : « Les personnes asymptomatiques doivent être repérées au plus vite », d’autant plus qu’au sein d’un espace clos « la propagation du virus est rapide. » Pour le public, le port du masque sera obligatoire, la mise en place de gel désinfectant se trouvera à l’entrée des salles. 

Avec l’arrivée des plateformes telles que Netflix, une grande majorité préfère un cinéma « domestique » plutôt que de se déplacer. Le confort de son canapé prime sur les mythiques sièges rouges des salles de cinéma. Ces deux mois de confinement seront bénéfiques pour relancer le présentiel dont les citoyens ont été privés. La culture est précieuse mais elle a un coût. Les artistes professionnels doivent gagner leur vie comme tout citoyen. C’est l’occasion de se rappeler l’injonction d’Abraham Lincoln : « Si vous trouvez que l’éducation et la culture coûtent trop cher, essayez l’ignorance ! »

+ posts

Je suis une étudiante de troisième année en journalisme à l'ISCPA Paris. J'aime traiter des sujets politiques, sportif et culturels.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

X