La crise sanitaire et économique liée à la pandémie de Covid-19 constitue un test majeur pour La République en Marche. Celle-ci teste ses limites et met à l’épreuve ses fondations.
La crise liée à la pandémie de Covid-19 ébranle les fondements du macronisme. Lorsque son représentant, Emmanuel Macron, en posa les fondations, en 2016, le contexte politique lui était alors particulièrement favorable. Le Parti socialiste (PS) était usé par le mandat de François Hollande et Les Républicains (LR) empêtrés dans les méandres de l’affaire Fillon et les guerres fratricides qui l’accompagnèrent. Emmanuel Macron profita de cette fracture politique. Inspiré par les figures françaises du centrisme telles que Jean Lecanuet ou Pierre Mendès France, l’actuel chef de l’Etat bâtit un programme présidentiel basé sur le cœur de cible du centrisme : s’affranchir des dogmes partisans et créer une majorité de projet. Le pari était ambitieux, le clivage gauche-droite étant le socle de la 5eme République. Le timing était néanmoins parfait. Maîtrisant le débat de l’entre-deux-tours face à la présidente du Front national (FN), Marine Le Pen, le candidat porteur d’une aspiration politique nouvelle remporta l’élection présidentielle.
S’ensuivit la construction du groupe parlementaire qui allait permettre au président de la République d’appliquer son programme : La République en Marche (LREM). Sa mise en place fut simple et rapide. Il parvint aisément à réunir des députés de droite et de gauche, conscients de l’écroulement de leurs partis respectifs. Le jeune chef de l’Etat leur offrait la promesse d’un monde nouveau, les députés lui garantissaient une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Le groupe est constitué à la suite des élections législatives de 2017 de 314 membres, seuil dépassant assez largement le nombre de députés garantissant la majorité absolue (289). Sur l’ensemble des députés LREM, 126 sont issus de formations de la gauche, ce qui représente tout de même près d’un tiers des députés. Or, Emmanuel Macron semble très vite davantage porté vers le centre droit que vers le centre gauche. Il parvient sans difficulté à attirer des personnalités politiques avides de ministère. Il nomme Edouard Philippe, juppéiste, au poste de Premier ministre, et confie à Bruno Le Maire, candidat aux primaires de la droite en 2016, le ministère de l’Economie.
Cette hétérogénéité n’était pourtant guère dérangeante puisqu’elle constituait l’ADN du groupe. D’autant que, bien que ses membres ne partagent pas les mêmes opinions politiques sur un certain nombre de sujets, le groupe parlementaire a la particularité de réunir ses membres sur deux sujets qui divisent habituellement les autres formations politiques : l’Europe et le leadership incarné par le chef du parti, en l’occurrence Emmanuel Macron. L’idylle que représentait ce rassemblement d’opinions politiques diverses autour d’un projet commun fut néanmoins bientôt rattrapé par deux évènements majeurs : la crise des Gilets jaunes et le projet de loi de réforme des retraites. Le réformisme, érigé en véritable mantra de la politique du chef de l’Etat, en fut chamboulé. Les grandes ambitions du président de la République furent, en ces trois années qui s’écoulèrent, rattrapées par la réalité du terrain, par la difficulté de présenter une politique générale à une France profondément divisée, « archipellisée », pour reprendre les termes du directeur du département opinion de l’Ifop, Jérôme Fourquet. Le chef de l’Etat dût s’engager dans une lutte âpre pour défendre ses convictions, quand bien même celles-ci allaient parfois à l’encontre de celle d’une partie de la population française et… de son parti.
Concomitamment, le concept de majorité de projet connut ses limites. Quelques députés LREM, non satisfaits du fonctionnement du groupe ou du mode de gouvernance du parti, quittèrent, voire désertèrent selon certains, les rangs de la majorité. Ces départs furent certes sporadiques, mais annonciateurs d’une fondation fraîchement bâtie qui fut sur le point de s’écrouler. Empêtré dans une crise sanitaire, économique et certainement sociale majeure, il n’était pas bienvenu de fêter le troisième anniversaire du quinquennat d’Emmanuel Macron. Il en fut d’ailleurs de même pour les deux premiers anniversaires. Les reproches visant un gouvernement négligeant l’opposition se multiplièrent, tandis que, dans le même temps, la côte de popularité du locataire de l’Elysée ne cessa de baisser. Les dissensions au sein de LREM furent exacerbées par une crise dont l’ampleur et les conséquences sur le moyen et long terme dépasseront certainement celle des deux évènements précédemment évoqués.
Emmanuel Macron, toujours davantage rattaché, selon ses termes, à un « esprit de conquête » plutôt qu’à « l’esprit de défaite », entreprit de poursuivre, quoi qu’il en coûte, son projet de réforme des retraites. Le calendrier qu’il s’était fixé était strict : il souhaitait que le texte soit adopté au plus tard à l’été. Les quelques 40 000 amendements déposés par l’opposition vinrent contrarier ses plans mais il ne put certainement pas imaginer que la menace ne serait pas politique, mais sanitaire. Le SARS-CoV-2 acheva de miner les ambitions du chef de l’Etat. L’Assemblée nationale fonctionnant au ralenti, le projet de réforme des retraites fut suspendu sine die. Naturellement, tout l’effort du pouvoir exécutif fut concentré sur la gestion de la crise. Tandis que les semaines passaient, la défiance envers le chef de l’Etat s’installait. Les Français ont eu le sentiment d’avoir été bernés sur la question des masques, des tests et sur la stratégie du gouvernement.
L’impossible mise en œuvre de l’union nationale
Le président de la République, conscient des écueils qu’il a commis, plaide alors en faveur de l’union nationale. Le projet, s’il a séduit en 2017 et lui a permis d’accéder à la présidence de la République, est cette fois-ci mort dans l’œuf. Sur ces trois années de quinquennat, la colère des Français et de l’opposition parlementaire envers l’exécutif s’accumula. Si bien qu’il était tout à fait inconcevable, pour une opposition qui n’avait pas eu le sentiment d’avoir été entendue jusque-là et qui ne partage guère la ligne politique du gouvernement, de rejoindre le gouvernement dans un projet jugé utopique d’union nationale. « La mise en œuvre de l’idée d’une union nationale me paraît compliquée pour Emmanuel Macron pour une raison simple : si ce genre de projet, de perspective politique, est facile à mettre en œuvre au début d’un mandat, sa mise en œuvre est sensiblement plus complexe après trois années, durant lesquelles l’image du porteur du projet s’est sensiblement détériorée », résume Bruno Cautrès, politologue et chercheur au CNRS.
Pour pouvoir unir, il faut être fédérateur. Or, Bruno Cautrès souligne que, parmi les électeurs d’Emmanuel Macron et son camp politique, cette qualité ne lui est pas (ou plus) prêtée : « Sur la plupart des enquêtes d’opinions réalisées sur l’image de Macron, la qualité que l’on lui prête le moins, c’est d’être rassembleur. » Il est d’autant plus difficile de rassembler les membres d’un groupe lorsque leurs aspirations pour « l’après » sont bien différentes. Les scénarios de sortie de crise sont multiples. Alors que le déconfinement donne une certaine visibilité à Emmanuel Macron, il doit composer avec des députés LREM avançant des avis diamétralement opposés, notamment sur les dépenses publiques, la ligne politique à adopter et les principaux thèmes à adopter durant les deux dernières années du quinquennat. Les clivages partisans, dont le chef de l’Etat avait su s’affranchir, reviennent au pas de course.
Certains plaident pour que les dépenses soient orientées vers les travailleurs, vers le secteur de l’emploi, à l’instar du député LREM des Yvelines Didier Baichère : « Je pense que tout le pilier emploi-travail va particulièrement nous occuper. Nous étions dans une phase de croissance économique forte, on avait redonné beaucoup d’agilité aux entreprises et le taux de chômage était en baisse depuis 2018. » Le député rejoint en cela les aides du gouvernement pour les travailleurs, notamment le dispositif de chômage partiel et les aides financières à la faveur des secteurs les plus sinistrés. D’autres souhaiteraient que les dépenses soient davantage orientées vers l’écologie et vers des sujets sociaux tels que les revalorisations salariales des travailleurs éprouvés par la crise, auxquels le chef de l’Etat a fait mention lors de son allocution du 13 avril en affirmant : « Notre pays tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent si mal. »

Le chantier est titanesque, les choix infinis. Certains députés pressentent que leurs recommandations ne seront pas écoutées, que la ligne politique du gouvernement ne changera pas. C’est le cas d’une petite quinzaine de députés, qui depuis des mois déjà, songent à quitter les bancs de la majorité. Mardi 19 mai, à 11 heures, ils ont composé un neuvième groupe à l’Assemblée nationale baptisé « Ecologie, démocratie, solidarité », privant de quelques sièges seulement le gouvernement de sa majorité absolue au Palais-Bourbon. Ce « contresens politique », pour reprendre les termes de la porte-parole du gouvernement, Sibeth NDiaye, n’est en réalité que symbolique. Pour faire adopter des futures lois, LREM pourra toujours s’appuyer sur le MoDem et Agir : « Pour le groupe, ce n’est pas une grosse perte, c’est une aventure très individuelle. Ceux qui quittent le groupe n’ont pas eu à titre personnel ce qu’ils désiraient », clame Catherine Osson, députée LREM de la 8ème circonscription du Nord. « Les quelques députés qui partiront sont des députés qui ne souhaitent plus dépasser les clivages partisans », abonde Sylvain Maillard, député LREM de Paris.
Les poids lourds du parti veulent croire que cet épisode n’aura pas d’influence. Néanmoins, ce départ illustre les agacements de certains députés. Si seulement 17 députés composeront ce groupe, qui ne se veut ni de la majorité ni de l’opposition, selon nos informations, de nombreux députés LREM ont longuement hésité à le rejoindre, parfois jusqu’à la dernière minute. Jacqueline Maquet, ex-députée socialiste, est de ceux-ci. L’ancienne rocardienne était régulièrement en contact avec son collègue Aurélien Taché, co-délégué général du neuvième groupe fraîchement créé. « Le fonctionnement du groupe ne me convient pas. J’estime que, dans ce groupe, on ne fait pas assez de politique. La force du parti socialiste à une époque – avant que celui-ci ne se transforme en écurie électorale – est qu’il y avait du débat. J’aurais aimé le retrouver dans ce groupe », confie-t-elle.
Jacqueline Maquet reproche précisément au président de LREM à l’Assemblée, Gilles Le Gendre, de ne pas avoir pris en compte ses conseils : « J’avais dit à Gilles Le Gendre, la veille de sa réelection : ‘il faut que tu inculques un peu plus d’humilité dans ce groupe, il faut qu’on fasse notre auto-critique’. Je lui avais dit : ‘arrête ton fonctionnement clanique et parisianiste’. Je déplore qu’il n’ait pas entendu mes conseils. » C’est ce qui est bien souvent reproché par les marcheurs, hésitant à quitter le groupe, dans l’attente de voir s’opérer un réel changement de politique. « J’avais dit à Aurélien Taché que j’attendrais de voir à la fin du mois si les choses ont changé », souffle Jacqueline Maquet. Les frustrations de ces dizaines de députés LREM se répercuteront de surcroît probablement sur la crédibilité du groupe parlementaire dans les prochains mois, et entachera les liens que les membres de celui-ci entretiennent.
Une conjoncture favorable aux Républicains
À deux ans des élections présidentielles, le temps des calculs politiques est venu. Les Français tentent d’imaginer comment tel ou tel autre parti aurait géré la crise tandis que les chefs de partis réfléchissent déjà aux solutions qu’ils souhaitent porter pour en sortir. Les tensions latentes au sein de la majorité et la baisse de popularité du président de la République offrent un terrain propice à l’opposition. Comme à l’accoutumée, La France Insoumise (LFI) et le Rassemblement National (RN) jouent la carte des élites contre le peuple. Les méthodes divergent, les discours sont diamétralement opposés, mais Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen espèrent que la colère des Français envers le pouvoir exécutif se traduira dans les urnes. Une fois la crise passée, le débat démocratique pourra reprendre dans de bonnes conditions à l’Assemblée. L’enjeu sera alors de ne pas tomber dans le jeu de l’obstruction parlementaire. Les députés (LR) entendent représenter une opposition constructive. Surtout, ils font valoir l’efficacité des directrices et directeurs de régions, lesquels sont pour la plupart membres des Républicains.
Les élus de droite dénoncent le jacobinisme du chef de l’Etat et assurent avoir réussi à donner davantage de pouvoir au local. Ils apprécient en revanche le réalisme de leur ex-collègue, Édouard Philippe : « La popularité relative d’Édouard Philippe est liée à sa volonté de définir une stratégie et de l’expliquer clairement à la population, ce qui est le minimum de la politique », estime François Cornut-Gentille, député LR de la Haute-Marne. L’un des thèmes que soulève cette crise est par ailleurs traditionnellement cher à la droite : la souveraineté économique et financière. La France entre en récession et s’apprête à traverser une crise économique majeure. La grande majorité des secteurs d’activité sont sinistrés. La phase actuelle a permis de sauver certains secteurs particulièrement touchés. Le plan de relance, qui doit être présenté à l’automne par le ministre de l’Economie Bruno Le Maire, doit permettre de relancer la conjoncture économique française. C’est sûrement le principal sujet sur lequel se pencheront les élus Républicains.
Le groupe entend ainsi confirmer ce rôle d’opposition constructive, crédible, capable de travailler avec le gouvernement tout en ayant bien-sûr des désaccords avec celui-ci. Néanmoins, il ne devra pas commettre l’écueil de paraître trop proche du pouvoir exécutif, au risque de ne pas pouvoir mettre en avant une ligne politique distincte de LREM. Il leur reste deux ans. Deux ans pour trouver quelques idées fortes qu’ils pourraient mettre en avant lors de la campagne présidentielle. Certains députés LR aperçoivent notamment un chemin entre le « mondialisme heureux » d’Emmanuel Macron et le « repli national » de Marine Le Pen. Deux ans également pour trouver une tête de liste. Sur ce point, il ne faudra pas commettre à nouveau les erreurs du passé. Il leur faudra se mettre d’accord sur un candidat consensuel, lequel porterait le plus fidèlement les valeurs du parti. Quelques noms circulent mais rien n’est encore décidé, assure-t-on dans les rangs des députés LR. « Le timing, c’est d’arriver à trouver les idées fortes et un candidat crédible dans l’année qui vient », souffle un député LR qui a requis l’anonymat.
Des marges de manœuvre étroites
Dans ce contexte politique peu propice au courant macroniste, le chef de l’Etat doit s’adapter. Sa capacité à se « réinventer » représentera une véritable gageure dans les prochains mois. Dans son camp, certains attendent un réel changement de politique et espèrent être encore en capacité de « faire bouger les choses », à l’instar de Jacqueline Maquet. « Il nous reste peu de temps pour construire quelque chose d’ici à 2022, il va nous falloir concentrer l’action sur quelques thèmes » expliquait récemment au « Monde » Gilles Le Gendre, sans toutefois donner plus d’indications sur la nature de ces thèmes.
Tactiquement, il serait assez intéressant pour Emmanuel Macron de se repositionner au centre-gauche. Cela lui permettrait de rassurer une partie des députés marcheurs et de reprendre un programme politique qui parle à ses électeurs de 2017. Mais ce choix est épineux. « L’exécutif peut-il changer d’orientation de manière significative tout en restant crédible ? », s’interroge Bruno Cautrès.
Le chef de l’Etat est dans une situation très complexe puisque son programme de 2017, celui pour lequel il a été élu, est caduc. Il doit donc modifier en conséquence sa politique, tout en sachant que s’il bascule au centre-gauche, il laisse certainement un boulevard à droite. S’il reste sur sa ligne politique, il devra gérer le mécontentement des députés marcheurs. Le locataire de l’Elysée est dans une impasse : « Je pense qu’Emmanuel Macron ne renoncera pas à une stratégie de débauchage national, en cherchant à récupérer quelques personnalités avides de ministère, de la gauche ou de nos rangs », prédit François Cornut-Gentille.
Sa seule solution, et il l’a compris, est de maintenir sa stratégie de concorde nationale. À défaut de pouvoir élargir son socle, il devra veiller à le consolider. Il parviendra en effet à unir des personnalités politiques, mais certainement pas avec la même efficience qu’en 2017. S’il souhaite être réélu, il lui faudra dans un premier temps redorer son image auprès de l’opinion publique. Il lui faudra démontrer qu’il est capable d’accomplir les objectifs qu’il se fixe. Le chef de l’Etat devra s’assurer que ses paroles se traduisent en actes perceptibles par son électorat. Plus généralement, le chef de l’Etat devra veiller à ne pas reproduire les erreurs qui lui ont été reprochées durant les trois premières années de sa présidence.
Outre l’avenir politique d’Emmanuel Macron, l’avenir du mouvement qu’il a créé est en danger. Les limites du centrisme semblent avoir été atteintes. Une crise telle que celle-ci démontre l’impossibilité du consensus sur des sujets aussi essentiels et clivants que l’avenir économique d’un pays. La politique est intrinsèquement faite de débats, de divergences d’opinions. S’en affranchir en temps de crise apparaît impossible. Il faut au contraire les accepter, s’en servir pour consolider sa politique, son idéologie. Lors des débuts de LREM, ces opinions politiques diverses faisaient sa force. Désormais, elles semblent le ronger de l’intérieur.
Étudiant en troisième année, je suis particulièrement intéressé par les sujets : politique, géopolitique et économie.