Une semaine après le déconfinement, les épidémiologistes sont partagés : si pour certains, la deuxième vague est inéluctable en l’absence de vaccin ou de second confinement, pour d’autres, elle peut être endiguée par un strict respect des gestes barrière et du port du masque.
La perspective d’une deuxième vague de l’épidémie de Covid-19 suscite une grande « crainte » chez Emmanuel Macron. L’entourage du chef de l’Etat le confie à demi-mots dans Le Figaro. Depuis la levée du confinement décrétée le 11 mai, les foyers de contamination du virus prolifèrent en France. Pas moins de 25 clusters ont été repérés dans l’Hexagone depuis le 11 mai, dont plusieurs abattoirs, selon le décompte rapporté par le ministre de la Santé Olivier Véran, dans le Journal du Dimanche datant du 18 mai. Promiscuité, couloirs étroits, port du masque facultatif, vétusté des infrastructures : de nombreux facteurs rendent difficiles l’application stricte des règles de distanciation sociale au sein de ces établissements. L’épidémiologiste David Trouchaud en explique les motifs : « Les abattoirs sont l’archétype des foyers de contamination car on y recense un grand nombre de travailleurs détachés pour qui les règles de distanciation sociale ne sont pas encore ancrées dans l’imaginaire. »
Dans un abattoir des Côtes-d’Armor, où six cas ont été détectés vendredi 15 mai, des tests « ont dévoilé l’apparition de 63 cas positifs au Covid-19 (sur 209 membres). Les cas avérés sont isolés à leur domicile et leur suivi sera assuré par l’ARS bretagne », a indiqué dimanche soir l’Agence régionale de Santé dans un communiqué. David Trouchaud s’inquiète : « La proportion de salariés infectés au sein de cet abattoir est supérieure au ratio national (5%), donc des mesures de quarantaine stricte doivent leur être prescrites. »
A Fleury-les-Aubray, dans le Loiret, quelque 400 salariés d’un abattoir jugé suspect ont fait l’objet d’un test ce mardi 19 mai, afin de « permettre un état des lieux exhaustif et précis de la présence du virus au sein de l’entreprise », souligne le Centre Hospitalier Régional d’Orléans. Dans l’attente des premiers résultats, la maire de la ville de 20 000 habitants a tout de même anticipé un scénario pessimiste, et a décidé d’initier un large plan de quarantaine de la commune (fermeture des écoles, crèches et lieux de loisirs durant la semaine du 18 mai). « Ce sont des mesures salutaires pour casser la chaine de transmission et circonscrire la propagation du virus. Elles nous permettent d’être sûrs d’entraver la progression du virus », juge David Trouchaud.
Mais alors, ces petits foyers sont-ils le signe des prémices d’une deuxième salve de l’épidémie ? Plusieurs indicateurs venant de l’étranger peuvent servir de boussole à la France, et lui permettre d’anticiper un potentiel scénario catastrophe. Les différents Etats ayant opéré un déconfinement général progressif connaissent des fortunes diverses à travers le globe. Si l’Allemagne semble pour l’heure épargnée, et se déverrouille peu à peu (réouverture totale des écoles, reprise du championnat de football…), la Chine, berceau de la pandémie, n’a pas échappé à un regain de de cette dernière. Après l’apparition de 132 nouveaux cas dans la province de Jilin, au Nord-Est du pays, elle a décidé de confiner de nouveau 4,5 millions de ses citoyens. « La Chine connaît un retour au premier plan de l’épidémie, mais on ne peut pas évoquer une ‘deuxième vague’ à proprement parler, nuance cependant David Trouchaud. La Chine prend le problème à la racine en promulguant le ‘reconfinement’ dès qu’un léger rebond de l’épidémie est observé. La province de Jilin a pris la décision de reconfiner sa population dès la déclaration du centième cas. » La réaction peut paraître précipitée vue d’Occident, mais se révèle essentielle : « Cette méthode de l’anticipation à l’échelle locale est judicieuse. Elle est la clé de l’éradication de la transmission du virus, car on parvient plus facilement à isoler le patient 0 de la zone », explique David Trouchaud.
En Corée du Sud, pourtant pays modèle de la lutte contre le coronavirus, quelques nouveaux foyers de contamination au Covid-19 ont été découverts à Séoul : « Le cas de la Corée du Sud est plus inquiétant. Il semble que le patient 0 soit un fêtard et un habitué de la vie nocturne de Séoul : il est donc un vecteur important de la propagation de la maladie en raison de la promiscuité évidente en ces lieux, et a déjà potentiellement répandu le virus, informe David Trouchaud. Si tel est le cas, et vu la densité d’une ville comme Séoul, je crains qu’un nouveau confinement soit inéluctable, du moins localement. »
Mais si en Corée du Sud un soubresaut de la courbe sera vraisemblablement contenu grâce à un système hospitalier solide (8 lits pour 1000 habitants), une nouvelle vague épidémique pourrait être fatale à la France (3 lits pour 1 000 habitants, soit un total inférieur à la moyenne de l’OCDE). L’infectiologue Emmanuel Piednoir s’en inquiète : « Le danger est connu : un manque de lits de réanimation et un tsunami de nouveaux entrants en hôpitaux peut aboutir à une saturation des services hospitaliers. » Un scénario catastrophe tributaire d’un seul facteur : le taux de reproduction du virus, aussi appelé RO. Avant le confinement généralisé en France, il se situait entre 3 et 4. Il oscillerait aujourd’hui entre 0,5 et 1. « Si le RO est inférieur à 1, alors l’épidémie connaît un infléchissement de sa courbe, et devrait logiquement s’éteindre d’elle-même, poursuit Emmanuel Piednoir. C’était l’objectif du confinement. Mais avec la levée du confinement, on prend le risque de voir ce RO franchir la barre de 1. »
Une seule méthode se révèle efficace pour entraver la progression du taux de reproduction du virus, trop tardivement martelée par l’Exécutif : « Un strict respect du port du masque, pas seulement dans les transports, mais également dans les magasins et boutiques, et une limitation des contacts humains, expliqueEmmanuel Piednoir. Aujourd’hui, l’Institut Pasteur estime que 5% de la population française est atteinte par le coronavirus. On est loin du seuil de l’immunité collective, estimé à 60% par les experts. En l’absence de vaccin, sans le respect de distanciation physique, la France est à la merci d’une nouvelle vague de contamination », conclut-il.
Le Covid-19, un virus saisonnier ?
Pour leprofesseur Anne Goffard de l’Institut Pasteur de Lille, le civisme des citoyens français ne constitue pas un remède miracle : « Je fais partie des spécialistes qui pensent que la deuxième vague est inéluctable. Pour étayer cette affirmation, je me base sur mon expérience accumulée sur les virus et les coronavirus, mais également sur des études qui ont été publiées à la fois par des Chinois, des Italiens, des Anglais et même par des équipes françaises, spécialisées dans la modélisation des épidémies et des maladies infectieuses. Tous les résultats qui ont été publiés dès la mi-mars montrent qu’on aura très probablement une deuxième vague épidémique. Du fait du confinement, la circulation de l’infection parmi la population française s’est très fortement ralentie. Au sortir du confinement, la circulation du virus reprendra fatalement. » Le temps est à la fois l’allié et l’ennemi des virologues. Une course contre-la-montre se lance : « La question que l’on se pose désormais : quand cette deuxième vague aura-t-elle lieu ? Dès la fin de l’été ou plutôt vers octobre ou novembre ? s’interroge le professeur Goffard. De plus, il n’y a aucune preuve d’immunité chez les personnes guéries une première fois. Nous ne sommes pas certains qu’elles soient durablement protégées. Elles le sont sûrement pour quelques mois, mais pas plusieurs années. »
L’autre motif de divergence majeure chez les experts concerne la résistance du virus. En effet, selon une étude chinoise, le SARS-CoV-2 se révèlerait sensible à l’humidité et à la chaleur. Selon cette dernière, une hausse de 1°C de la température et de 1% de l’humidité relative ferait chuter le R0 de 0,0225 et 0,0158 respectivement. En extrapolant l’hypothèse, la transmission de la maladie serait alors entravée dans l’hémisphère Nord durant l’été, et il faudrait appréhender le coronavirus comme un virus saisonnier, au même titre que la grippe. Jean-François Toussaint, professeur de physiologie à l’université Paris-Descartes, est un défenseur de ce postulat : « Ce virus est enveloppé, et son enveloppe est extrêmement sensible à la chaleur. Dans la transmission, notamment par les gouttelettes, et le temps de persistance sur les surfaces, l’effet de la chaleur sera visible. On observe un net contraste dans la propagation du virus entre les pays à forte chaleur et les pays tempérés (températures autour de 10°C au début de l’épidémie), où 80% de la mortalité est concentrée. En Afrique du Nord, Afrique subsaharienne et en Australie, les taux de contamination sont 100 fois inférieurs à ceux des pays européens. »
La théorie est partagée par l’iconoclaste professeur marseillais Didier Raoult. Il estime plausible une extinction totale de l’épidémie en France d’ici un mois : « La seconde vague est de la science-fiction. Les épidémies ont disparu dans le temps sans qu’on ait eu à mobiliser de grands moyens. L’humanité n’est pas morte d’une épidémie. Les épidémies démarrent, s’accélèrent puis culminent, et soudainement, disparaissent, sans que l’on puisse l’expliquer. Des mathématiciens de Singapour ont tenté de prévoir la date de l’extinction de l’épidémie. Tous leurs calculs ont démontré une fin d’épidémie vers le 20 mai », a-t-il confié dans une vidéo publiée sur sa chaîne YouTube le 1er mai.
Les assertions de l’infectiologue marseillais n’ont pas tardé à faire réagir le ministre de la Santé Olivier Véran : « Le professeur Raoult est inventif, ingénieux, touche-à-tout. C’est aussi un grand virologue qui a fait des publications mondialement reconnues. Je ne lui enlève aucune de ces qualités, concède-t-il. Mais en termes de prévisions, je préfère me référer à des experts qui ne disent pas qu’il y aura moins de morts du coronavirus que par accidents de trottinette ! Ou qui ne disent pas qu’il n’y aura pas de seconde vague après avoir dit qu’il n’y aurait pas de première vague. Ce n’est pas très responsable et je le lui dirai », assène-t-il en référence au scepticisme initial du professeur Raoult quant à la virulence du coronavirus avant le début de l’épidémie.
Un précédent épidémiologique préoccupe les scientifiques : la grippe espagnole, qui a sévi entre 1918 et 1920. Le Docteur Hans Kluge, directeur de la région européenne de l’OMS, tire la sonnette d’alarme dans un entretien accordé au Telegraph le 17 mai. Il lance un avertissement sévère aux pays qui commencent à assouplir leurs restrictions de confinement, estimant qu’est venu le « temps de la préparation, pas de la célébration. » Même si le nombre de cas diminue de manière encourageante en France, en Espagne et en Italie, il estime que la pandémie n’en est pas pour autant à son crépuscule : « Je suis très préoccupé par une deuxième vague. A l’automne, nous pourrions avoir une deuxième vague de Covid-19 et une autre de grippe saisonnière ou de rougeole. Il y a deux ans, 500 000 enfants n’avaient pas reçu leur premier vaccin contre la rougeole », rappelle-t-il. De nombreux experts, dont le médecin-chef de l’Angleterre, le professeur Chris Whitty, ou encore le virologue star en Allemagne Christian Drosten, avertissent que la deuxième salve de la pandémie pourrait être encore plus meurtrière que la première, se référant à la pandémie de grippe espagnole de 1918-1920. Elle avait décimé les continents asiatique, européen et américain, causant la mort de 50 millions de personnes.
Le ‘Stop and Go’, solution temporaire
Si seconde vague il y a, la France envisage plusieurs méthodes. La porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye l’a évoqué il y a quelques semaines dans les colonnes du Monde : la stratégie du ‘stop and go’ « fait partie des hypothèses » étudiées pour endiguer une potentielle nouvelle vague de l’épidémie. La méthode consiste en une succession de phases de confinement total puis de déconfinement partiel, avec pour dessein l’immunité collective au bout de quelques mois. « Cette idée a germé dans l’esprit d’un épidémiologiste britannique très reconnu, Neil Ferguson, rappelle l’épidémiologiste David Trouchaud. Il préconise de reconfiner une grande partie de la population dès qu’un plafond de nouveaux patients accueillis en réanimation est atteint. Il avançait un chiffre de 100. » Il juge les conditions de la mise en place du ‘Stop and Go’prometteuses : « Le confinement a eu l’effet escompté : on constate une baisse drastique du R0 (nombre de personnes moyennes contaminées par un porteur du virus). Il ne s’élèverait désormais qu’à 0,5, alors qu’il se situait aux alentours de 3,5 ou 4 en France avant le confinement généralisé. C’est une chute significative de près de 85%. Le ‘Stop and Go’ consiste en une régulation réfléchie et raisonnée du R0. »
Selon la théorie du ‘Stop and Go’, sept périodes de confinement seraient nécessaires avant l’éradication du virus. Il est loin d’être acquis que l’hypothèse d’une nouvelle paralysie des salariés français séduise l’Elysée, soucieux de la santé économique de la France.
La quête d’un vaccin s’essouffle
A long terme, le vaccin devrait constituer la solution adéquate à l’équation Covid : « Je crois à l’efficacité d’un vaccin, qui sera probablement disponible en 2021 », indique le Professeur Goffard. Seul hic : la course au précieux sérum piétine quelque peu. Alors qu’il devait livrer son verdict le 14 mai, l’essai clinique européen Discovery fait toujours patienter les virologues. Défections en cascade, pénurie de molécules, substances trop coûteuses… La tentative de coopération médicale européenne, porteuse de nombreux espoirs, pourrait s’achever sur un retentissant fiasco.
Vers fin mars, l’annonce de l’essai clinique européen Discovery avait mis en effervescence la communauté scientifique. Mené depuis le 22 mars dans sept pays européens, il devait réunir 3 200 patients, dont 800 en France. Quatre antiviraux devaient être testés : le remdésivir, le Kaletra, l’interféron bêta et l’hydroxychloroquine, ajoutée in extremis dans l’essai sous la pression médiatique. Les premiers résultats étaient attendus pour fin avril. Deux mois plus tard, l’essai est encore en jachère. « La coopération européenne, qui avait suscité tant d’espoir, n’a finalement pas pris, étaye David Trouchaud. Certains égoïsmes nationaux ont pris le pas sur une collaboration qui se voulait initialement multilatérale. On ne compte plus les couacs qui ont émaillé l’aventure Discovery. »
Et le terme « couac » est même un euphémisme. La mélodie Discovery a été teintée de fausses notes sur l’intégralité de la partition : « Les défections en cascade n’ont pas aidé à l’expansion du projet, il faut le concéder », ajoute-t-il. L’essai Discovery a ainsi vu ses effectifs fondre de jour en jour, si bien que l’étude porte désormais sur seulement 750 malades du Covid-19, soit trois fois moins qu’espéré, et quasi-uniquement en France. L’Espagne et l’Italie ont préféré rejoindre l’essai Solidarity, moins onéreux et contraignant. Chapeauté par l’OMS, il regroupe 70 pays à travers le globe. Il entre désormais dans sa phase terminale, et devrait « livrer ses premiers enseignements avant Discovery », pourtant parti en pole position sur la ligne de départ.
Le Royaume-Uni a de son côté échafaudé son propre essai, baptisé Recovery. Franche réussite outre-Manche, il rassemble quelque 5 000 patients et a été le premier à tester l’anticorps monoclonal Tocilizumab. « Surl les essais cliniques, l’Europe est un échec », déplore également l’infectiologue Yazdan Yazdanpanah, directeur du consortium qui chapeaute l’essai, dans un entretien accordé au Monde le 1er mai.
Pourquoi les partenaires européens ont-ils quitté le navire Discovery un à un ? « Pour des raisons pécuniaires, principalement, répond David Trouchaud. Selon différentes estimations, l’essai Discovery coûterait environ 5000 euros par patient. Si la France a su dégager les quatre millions nécessaires à l’inclusion de ses 750 malades, ailleurs en Europe, les financements n’ont pas été anticipés. »
L’infectiologue estime que cette coopération européenne avait tout d’une fausse bonne idée : « L’initiative était louable et prometteuse sur le papier, mais l’on savait que sa mise en place serait extrêmement complexe. Les budgets alloués à la santé ne sont pas équivalents selon les Etats, et certaines substances ont été trop coûteuses pour certains pays participants. Ajoutez à cela une pénurie de remdésivir au milieu de l’essai, et vous aurez le cocktail parfait d’un projet qui fait pschitt. A l’heure actuelle, l’hypothèse la plus probable est qu’aucun résultat probant n’émerge de cette étude, pourtant si ambitieuse à ses prémices. Si cette conjecture se confirme, ce sera un désaveu notoire pour la France, qui chapeaute 95% de l’essai à l’heure actuelle », conclut David Trouchaud.
Depuis la crise du Covid-19, outre le fiasco Discovery, la France brille par une inertie de tous les instants. A titre d’exemple, l’Etat français a rechigné à fournir une rallonge financière à l’Institut Pasteur dans le cadre de la recherche d’un sérum. « Cette désertion dans l’investissement médical de l’Etat français est assez inexplicable », déplore Isabelle Fréret, responsable de la branche pharmacie à la CFE-CGC. Abandonné en rase campagne par son plus important mécène, l’Institut Pasteur a décidé en conséquence de s’allier à une start-up autrichienne, Themis Bioscience, avec qui elle a déjà fait équipe pour la conception d’un candidat vaccin contre le chikungunya.
Emmanuel Macron avait formulé la promesse, le 19 mars dernier, d’une hausse de cinq milliards d’euros du budget de la recherche publique sur une période de dix ans. D’après Isabelle Fréret, ce chiffre est « inférieur à ce qui était attendu. » Elle préconise un « horizon en 2022 ou 2023 plutôt qu’en 2030. » Le financement public de la recherche médicale représenterait alors 1% du PIB français, contre 0,8% actuellement. La longue route vers la capitulation définitive du virus passe par des sacrifices financiers indépendants des logiques de rentabilité inhérentes au dogme néolibéral, choyé par le président Emmanuel Macron depuis le début de son quinquennat.
Etudiant en journalisme à l'ISCPA, je suis à la recherche d'un stage de trois mois au sein d'une rédaction de presse française ou espagnole.