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Colonie de vacances : Nos jours malheureux

En attendant une clarification du gouvernement sur les séjours de vacances, tous les professionnels du secteur sont en plein doute. Les colonies vont-elles avoir lieu, dans quelles conditions ? Quid des fameuses colos apprenantes ? 

Personne ne semble savoir à quoi va ressembler cet été. C’est plus particulièrement marquant dans le secteur des colonies de vacances qui, chaque année, prend en charge plus d’un million d’enfants (1,2 millions en 2019). Tous les professionnels du secteur, d’organisateurs à animateurs en passant par les prestataires, attendent impatiemment des signes du gouvernement.

En attendant les annonces du gouvernement qui devraient survenir le 2 juin, tout semble être au point mort dans les préparations. Certains organismes ont tout simplement préféré annuler leurs colos.

Serge (le nom a été changé), responsable de l’organisation des séjours dans une association, nous explique pourquoi : « Comment se déroule une activité aujourd’hui ? Comment fait-on pour les dortoirs ? Comment va se dérouler les temps de cantine ? Est-ce que la SNCF va nous autoriser des points de regroupement spécifiques ? Est-ce qu’on aura une place sur deux comme ils le laissent entendre ? Pareil pour les bus ? Combien ça va nous coûter ? Autant de questions qui restent en suspens. C’est incompatible avec notre modèle économique où nous prenons tout en charge. C’est 3000 enfants que nous accueillons chaque été. Je ne vois pas comment on prépare décemment en 1 mois nos équipes et nos prestataires. »

Annoncée en fin de semaine dernière, cette décision a pris de court les nombreux directeurs de l’association, en train de préparer leur séjour de l’été. Sébastien Canale, étudiant à Sciences-Po Grenoble, à l’origine directeur d’un séjour début Juillet, a appris la nouvelle pendant notre entretien : « Je suis très déçu, c’était une des activités que j’attendais le plus pour cet été puisque les vacances vont être compliquées. J’aime les colos, j’aime les enfants et j’avais déjà travaillé une vingtaine d’heures sur cette colo. J’avais très envie de la faire. »

De manière générale, un directeur de colos travaille facilement plusieurs dizaines d’heures à préparer son séjour. Quand un directeur indépendant est engagé sur un séjour il doit obligatoirement rédiger un projet pédagogique. Se comptant très rapidement en dizaines de pages, ce travail n’est quasiment jamais rémunéré pour les indépendants.

Sébastien ne se plaint pas de ces heures perdues : « C’est toujours la même chose, je ne suis pas à leur place, je ne me rends pas compte des contraintes logistiques que ça doit amener. Je comprends mais comme je n’ai pas été sensibilisé sur ça, c’est une décision qui, à mon échelle, me semble prématurée. Je ne peux qu’être attristé de ne pas recevoir d’enfants cet été et, de plus, je devais avoir des enfants en difficulté et je me demande vraiment comment ça va se passer pour eux. Je suis triste mais c’est comme ça. »

La saison estivale représente près de 75% du chiffre d’affaire des séjours de vacances, mais on oublie souvent aussi leurs nombreux partenaires.

Certains se spécialisent dans les activités « prestataires », ne travaillant qu’avec des colos. C’est le cas d’Ingrid Saye, musher de la société Traineaux Pyrénées. Propriétaire de 35 chiens, elle collabore depuis 15 ans avec AVE et organise tous les étés des cani-randos avec les enfants de l’association. Ingrid ne s’attendait pas à cette annulation : « J’ai appris l’annulation des colos vendredi dernier. C’est une catastrophe pour moi, je perds tout mon été. » Indépendante, Ingrid bénéficie de très peu d’aides. Si elle a pu bénéficier de quelques indemnités en mars et avril, cela reste insuffisant : « Ce qui serait avantageux pour moi, serait une annulation des charges. En attendant je vais devoir trouver un travail de saisonnier en camping ou autre pour avoir un revenu car, sans cela, je ne tiendrai pas toute l’année. Rien qu’en frais de vétérinaire et de nourriture pour mes chiens, j’en ai pour 2000 euros par mois. J’ai beaucoup de charges, comptables ou assurance professionnelle, que je ne peux pas reporter. »

Le syndicat professionnel SYNAPCCA (Syndicat National Professionnel des Conducteurs de Chiens Attelés), dont Ingrid fait partie, avait pourtant mis en place toute une série de protocoles sanitaires nécessaire pour la tenue des activités. Seuls les clients manquent. Les annulations s’enchaînent et certains collègues d’Ingrid n’ont tout simplement pas pu survivre : « J’ai des collègues dans le Vercors qui ont mis leur entreprise en vente et fait placer tous leurs animaux. Depuis le début du Covid, il y a une eu une explosion des demandes de refuge pour les chiens. Certains essaient de placer une dizaine de chiens pour pouvoir continuer avec les autres. Personnellement je ne peux pas faire ça. Je préfère revendre mon matériel que d’abandonner un seul de mes chiens. »

Romain Louis dit Chollet de l’association Pupille de l’Enseignement Public (PEP) est actuellement directeur de centre de loisir. Il témoigne : « En ce moment nous pouvons faire du jardinage, des activités manuelles avec matériel individuel pour chaque enfant que l’on désinfecte à la fin. Nous sommes vraiment lésés sur les activités extérieures où nous nous limiterons à du parcours ou du cerceau. Nous oublions toutes les activités collectives ce qui est très dommage. » Actuellement en première ligne, il comprend cette décision mais regrette qu’elle soit aussi prématurée. Selon lui, les colos peuvent s’adapter, mais pas dans les conditions actuelles : « Si ce n’est qu’une question de lavage de mains, ça ne sera pas un souci. Si les enfants ne doivent pas se toucher et rester à plus d’un mètre les uns des autres, ça va être impossible. On perdrait le sens des colos qui est avant tout le vivre ensemble, la vie en collectivité. Après, ce n’est pas infaisable, mais à quels objectifs pédagogiques allons-nous répondre ? Qu’allons-nous apporter aux jeunes ? Cela me paraît difficile de faire du collectif en faisant de l’individuel. »

Élisa Fille, étudiante en master de Lettres Modernes, devait faire la colo avec Romain. Expérimentée, cela fait quatre années consécutives qu’elle part au moins deux semaines par été en colo. Évidemment déçue, elle a beaucoup de mal à imaginer comment les séjours pourraient s’adapter : « Pendant les temps de vie quotidienne, maintenir les distances de sécurité semble également compliqué. A table, garder ses distances fait perdre toute la convivialité de repas. Il faut revoir toute l’organisation pour les douches afin de pouvoir les nettoyer avant et après le passage de chaque enfant. Et pour le coucher, les plus petits réclament souvent un bisou ou un câlin afin de pouvoir s’endormir. Cela peut apparaitre compliqué de leur dire non et d’expliquer pourquoi. Et toujours le même problème qui revient : on essaye depuis toujours d’apprendre aux enfants à partager et désormais il faut les empêcher de se prêter leurs jouets, leurs feutres etc. Il faut tout revoir et rester vigilant sans arrêt car des choses qui nous semblaient naturelles et sans gravité peuvent aujourd’hui être considérées comme à risque et il faut garder sans cesse en tête que cette année n’est pas une année comme les autres. »

Si les séjours en France sont menacés, les séjours linguistiques semblent impossibles à maintenir. Jérémie Herschkorn, directeur de séjours linguistiques en Angleterre nous explique pourquoi : « Quand on voit que dans la plupart des pays aujourd’hui, on est placé en quatorzaine dès qu’on y met les pieds, je ne vois pas comment on peut organiser un séjour à l’étranger. Après ça dépend beaucoup de la législation du pays mais ça me semble très compromis. »

Les colos apprenantes fausse bonne idée ?

Avec l’été qui s’annonce, de nombreux bus risquent de partir en rentrée anticipée © Kimberlee Kessler /FreeImages

Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation Nationale, a annoncé le 15 avril 2020 une mise en place de ‘vacances apprenantes’ pour cet été. La piste consisterait à ouvrir les écoles à partir du 4 juillet, pour permettre aux enfants de profiter de certains dispositifs éducatifs spéciaux. Les établissements scolaires pourraient se transformer en colonies de vacances apprenantes et offrir ainsi un grand nombre d’activités ludo-éducatives pour les enfants et adolescents. Il souhaite naturellement que l’ensemble des élèves puissent rattraper le retard causé par la crise sanitaire. Certains enfants, note le ministre, se trouvaient déjà en difficulté et en risque de décrochage. Le confinement n’arrangera pas la situation pour ces élèves. Il a précisé également que, malgré la mise en place de l’enseignement à distance, 5% de la totalité des élèves sont toujours injoignables par leurs enseignants. Au moment de la rentrée scolaire en septembre, le déficit scolaire sera lourd pour ces enfants qui seront à coup sûr pénalisés par rapport à d’autres plus chanceux.

Toutefois, certains organismes sont dans l’incapacité technique de préparer ce séjour en si peu de temps. Plusieurs obstacles restent à franchir selon Serge : « Le premier problème est que pour l’instant nous n’avons aucune information. Il nous est impossible d’anticiper en conséquence. La deuxième chose, encore une fois, nous sommes très loin de notre projet pédagogique, de ce que l’on peut proposer en séjour de vacances. Nous ne sommes plus du tout dans notre projet éducatif, le vivre ensemble, pour former les citoyens de demain. Là, on parle d’un dispositif qui accueillerait des enfants potentiellement en difficulté scolaire pour leur faire rattraper leur retard. Même si l’on a de nombreux enseignants qui sont directeurs chez nous, nous n’avons à proprement parler pas d’animateur spécifique pour encadrer un apprentissage scolaire. De plus, il me semble que ce n’était subventionné qu’à hauteur de 500 euros pour une semaine seulement. Nous, économiquement, nous ne rentrons pas dans nos frais avec ce tarif. »

Sébastien Canale semble beaucoup plus enthousiaste à ce sujet : « Personnellement, je suis pour. Je pense qu’au vu des évènements actuels, il est important d’assurer une continuité scolaire, en particulier pour les élèves les plus en difficulté. Je pourrais accepter d’y participer selon les conditions proposées, s’il faut être enseignant tout le temps non, je n’ai pas envie de faire un séjour de rattrapage intensif. Mais s’il y a un bon équilibre entre cours et activités, oui. Si c’est bien expliqué et que les adultes sont motivés, ça sera simple de convaincre les enfants. »

Favorable aussi sur le principe, Romain n’en émet pas moins des réserves : « Pour moi ce n’est pas le rôle des colos de remplacer l’école. Après, il faut voir ce que proposent les colos apprenantes parce que pour l’instant on n’a pas les contours, juste une annonce. On parle des élèves en difficulté mais il faut déjà définir quels sont les élèves en difficulté, c’est compliqué. Nous n’avons aucune info pour l’instant. »

Jérémie Hersckorn semble lui aussi favorable à cette idée : « L’initiative est super. J’espère que toutes les aides nécessaires, aussi bien en accessibilité qu’en financement, suivront. La différence d’âge ne sera pas un souci selon moi parce qu’elle motivera chacun à donner leur meilleur et on peut encourager l’entraide et la coopération. Mais cela nécessite bien évidemment une équipe d’animateurs compétents pour assurer ces classes. »

Justement, qu’en pensent les animateurs ? Le Brevet d’Aptitude à la Fonction d’Animateur (BAFA), recommandé mais non indispensable pour travailler avec des mineurs, n’est pas un diplôme d’enseignant. Seront-ils capables d’assurer ces séances de rattrapage ? « Je ne pense pas que le rôle de l’animateur soit d’enseigner aux enfants ce qu’on apprend à l’école, précise Elisa Fille. Mais ce n’était pas non plus celui des parents qui ont tout de même dû faire l’école à la maison pendant plus de deux mois, alors pourquoi ne pas essayer ? L’idée n’est pas si mauvaise. On pourrait imaginer les matinées consacrées aux travaux scolaires et les après-midis aux divertissements, mais en y réfléchissant davantage, on peut rapidement se rendre compte que ça serait plus compliqué que ça. Les enfants n’ont pas tous le même niveau, ne viennent pas tous de la même école et donc n’ont pas étudié les mêmes notions. Certains auront des connaissances que d’autres n’auront pas et inversement. Il faudrait donc faire au cas par cas, mais comment ? L’enfant viendrait avec son lot de travaux à faire, envoyé par son enseignant ? L’animateur devrait donc organiser les journées en fonction des travaux scolaires mais également prévoir des activités et des jeux qui respectent les gestes barrière pour les après-midis. Donc, on demanderait aux animateurs d’avoir à la fois le rôle de l’enseignant, mais également celui de l’animateur, qui doit préparer des activités ludiques et pédagogiques respectueuses des gestes barrières et de la distanciation sociale. Cela me semble être beaucoup de travail, mais pourquoi pas ? », analyse-t-elle.

En attendant les précisions du gouvernement, la survie économique est la principale préoccupation. Depuis le 16 mars, les associations multiplient les réunions de travail pour tenter d’apporter des solutions. Conscient des difficultés économiques que ses partenaires rencontrent, Serge détaille : « Nous avons pris les dispositions économiques nécessaires, on travaille beaucoup avec nos adhérents que l’on considère aussi comme nos partenaires : certains sont là depuis 40 ans. Nous, de base, on n’a aucune subvention, aucune aide. Ce sont nos ayants droits qui paient les salaires, les séjours, les prestataires etc. Déjà, l’ensemble de nos salariés depuis vendredi dernier sont au chômage partiel, un chômage qu’on a essayé de repousser le plus loin possible. On ne sait pas combien de temps on pourra y prétendre, c’est pour ça que l’on a attendu le dernier moment possible. Cela fait aussi une perte de salaire pour le salarié directement. Tout l’enjeu de notre avenir c’est notre trésorerie. La clé de notre survie est là. On a 0 chiffre d’affaire depuis le 16 mars dernier. »

En plus des difficultés financières, il y aussi l’affect comme nous explique Serge : « C’est très dur pour nous de l’annoncer à nos équipes, certains directeurs travaillaient sur leurs séjours depuis décembre. C’est aussi une catastrophe pour nos partenaires, fournisseurs, c’est un crève-cœur de leur dire qu’on n’aura pas d’activités à leur confier sachant que l’on sait très bien que certains ne travaillent qu’avec nous en été. »

Le secteur de l’animation n’est pas un secteur comme les autres. Le profit est (fort heureusement) rarement la motivation des animateurs et des associations. Ils travaillent la plupart du temps pour des salaires très faibles, parfois contraints par des réalités économiques. Cette politique de salaire minimum assure d’avoir essentiellement des animateurs motivés et engagés.

La passion, le partage, la vie en collectivité, la transmission, l’éducation : autant de valeurs qui forment la raison d’être des colos. « C’est l’école de la vie », diront certains, c’est surtout l’occasion pour les enfants, comme pour les adultes de s’évader. Depuis 1876, plus de 60 millions de français sont passés par les colonies de vacances. Aujourd’hui, elles semblent plus que jamais en danger. Alors que le nombre de participants baisse d’année en année, cette cuvée 2020 va empirer la situation et risque de provoquer plusieurs faillites.

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