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Catastrophe sanitaire, l’heure des changements écologiques

La crise sanitaire a poussé au second plan l’urgence climatique dans le monde entier. Le Covid-19 a pourtant mis en exergue les dangers de notre modèle sociétal et économique. Aujourd’hui, face au défi environnemental, la question « poursuivre au sein du modèle capitaliste et néolibéral actuel, l’abandonner, ou le réviser ? », se place au cœur des débats.

Le Covid-19 a provoqué un tremblement de terre au sein des économies mondiales. En France, le PIB devrait chuter d’au moins 8%, a assuré le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau.

Pour amortir ce choc économique, bénéfique aux yeux de certains, les Etats mobilisent des sommes conséquentes. Bercy a annoncé un plan de soutien de 100 milliards d’euros, dont 20 milliards attribués aux grandes entreprises françaises. Une aide qui aurait pu être conditionnée à des engagements environnementaux. Ce que prévoyait l’amendement porté par Matthieu Orphelin, député du Maine-et-Loire, mais rejeté : « Tout soutien en fonds propres aux grandes entreprises [doit être] conditionné à la mise en place, dans les douze mois qui suivent son obtention, d’une stratégie interne de réduction de leur empreinte écologique », demandait-il.

De leur côté, les banques centrales accordent elles aussi des montants titanesques. La BCE (Banque centrale européenne) s’est engagée à acheter 750 milliards de dettes privées ou publiques. Ainsi, un large panel d’entreprises reçoit de l’aide émanant des Etats et des banques. Les pouvoirs publics soutiennent par-dessus tout, les entreprises, même les plus polluantes.

Air France, Renault ou le parapétrolier Vallourec, toutes ces entreprises dites « stratégiques » bénéficieront d’une somme parmi les 20 milliards d’euros mis à disposition par l’Etat français. Des pays comme l’Autriche tentent eux de conditionner le versement d’argent public par des objectifs en accord avec le défi environnemental.

Pour Patrick Criqui, économiste, directeur de recherche émérite au CNRS et qui travaille sur l’économie de la transition énergétique et des politiques climatiques au laboratoire d’économie appliquée de l’Université de Grenoble : « C’est une occasion manquée de ne pas avoir conditionné ces aides. C’est un sujet à remettre sur la table dans les jours à venir. »

Un chamboulement en marche

Pourtant, cette crise sanitaire apparaissait selon certains comme un prétexte pour abandonner ou réviser le modèle capitaliste et néolibéral. La « décroissance », la récession ou la baisse de productivité a permis d’observer une diminution inégalée de 9% des émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport à 2019 entre le 1er janvier et le 30 avril. De son côté, Patrick Criqui soutient une « décroissance sélective plutôt que globale de notre production » dans l’objectif de « faire décroitre toutes les activités défavorables à l’environnement. »

La baisse d’émissions de GES est directement liée à la réduction des activités industrielles, du trafic aérien, du trafic automobile, et des importations venant des quatre coins du monde. À l’inverse les productions locales, les circuits courts et la circulation à vélo se sont tous largement développés. Cathy Clerbaux, directrice de recherche CNRS au laboratoire atmosphères, milieux, observations et spatiales (LATMOS) explique cette réduction : « On a enlevé beaucoup de sources polluantes. Si on limite certaines activités, il apparait évident que les émissions diminuent après cette crise sanitaire. C’est en quelque sorte un ‘test concluant’ pour les pays. »

La crise sanitaire enseigne que pour réduire durablement les émissions de GES, et pour œuvrer en accord avec l’équilibre l’environnemental, c’est une grande partie du fonctionnement économique et politique de notre société qu’il faut réviser.

« On pourrait en théorie imaginer un capitalisme qui ne soit pas productiviste. Mais, c’est très difficilement envisageable puisque la base même du capitalisme c’est la recherche du profit, affirme Christophe Aguiton, sociologue et militant syndical et politique, membre fondateur d’Attac, organisation altermondialiste française. Il est très difficile de détacher productivisme et capitalisme. Or, le productivisme tue le climat puisque c’est l’idée qu’il faut toujours produire plus. Mais, produire plus alors que nous avons besoin de réduire la consommation, c’est très difficile à concevoir. Le capitalisme aura beaucoup de mal à se réformer pour être réellement efficace face au défi environnemental. »

Dans l’objectif de faire aboutir cette transition écologique, plusieurs grands changements doivent s’opérer. Les relocalisations d’une partie des activités au sein des pays favoriseraient des circuits courts.

Le modèle capitaliste et néolibéral n’a eu de cesse de recourir à l’optimisation et l’allongement maximal des chaînes de valeur dans l’optique de maximiser les profits. Aujourd’hui, pour produire un iPhone, la chaîne de production est immense. Des pays africains exportent les matières premières (étain, coltan, tantale) vers l’Europe de l’Est, l’Asie de l’Est et l’Amérique du Nord. Sur ces territoires, les pièces pour confectionner le téléphone sont produites puis toutes renvoyées dans les usines d’assemblages en Chine et au Brésil. Les centaines de pièces composant le téléphone sont fabriquées à 90% à l’étranger. Cet allongement de la chaîne de valeur, sonne comme une aberration écologique.

« Nous ne pouvons pas relocaliser toutes les activités et chaînes de production. Serions-nous capables de produire les matières premières permettant de fabriquer un tas de produits ? Cela engendrerait une augmentation des prix. La ‘déglobalisation’ brutale pourrait produire un appauvrissement généralisé. Il faut agir en finesse. Il faudrait peut-être renchérir le coût du transport », explique Patrick Criqui.

Un avis nuancé par Christophe Aguiton. Selon lui, « agir en finesse » signifie très régulièrement « ne pas agir. On l’a vu dans le domaine des pesticides et du glyphosate. Le gouvernement a toujours affirmé vouloir agir en finesse et on s’aperçoit année après année qu’il y a une augmentation de la consommation de pesticides. La brutalité, évidemment non, mais il faut quand même des mesures radicales. Il faudrait relocaliser les productions dites stratégiques mais également de façon plus globale. Le néolibéralisme est complètement antinomique avec une politique respectueuse de l’environnement, du climat et de la biodiversité. Les chaînes de production extrêmement étendues et complexes sont très consommatrices de GES. »

Ces relocalisations doivent être accompagnées d’une limitation ou d’un arrêt total de la signature des traités de libre-échange. Un traité de libre-échange est signé par l’Union Européenne avec le Vietnam, alors que la crise du Covid-19 mettait à mal le néolibéralisme. Des produits et marchandises toujours plus nombreux transitent partout sur la planète. Depuis les années 2000, la croissance moyenne des échanges atteint près de 4% par an selon l’OMC. Ces échanges entraînent avec eux une catastrophe environnementale à travers l’immensité de leurs émissions de GES. 

Antoine de Salins, directeur d’un cabinet de conseil spécialisé dans le domaine de la transition environnementale prône quant à lui une révision de notre système plutôt qu’une sortie totale du capitalisme moderne : « Il faut réorienter notre modèle de croissance avec un pilier social et environnemental. Nous devons plus simplement revoir et faire évoluer notre modèle de croissance insoutenable. Le capital environnemental doit être pris en compte dans les décisions politiques et économiques. Mais il faut conserver un mode de développement efficace. La richesse, il faut tout de même la créer. »

Au-delà des aspects néfastes de la globalisation, son bilan s’avère positif dans certains domaines. En 1999, le nombre de personnes en situation de pauvreté culminait à 1.7 milliards, soit 29% de la population mondiale de l’époque. En 2015, une chute drastique de cet indicateur a été observée. À cette date, 9.6% de la population vivait sous le seuil de pauvreté, soit 700 millions de personnes. Simultanément, les inégalités globales ont explosé entre les différents territoires de la planète.

Autre grande interrogation : notre mode de consommation. Le capitalisme tente de diminuer un maximum la durée de vie des objets, favorisant le consumérisme effréné. Dans une tribune publiée dans les colonnes de Greenpeace, l’ONG pointe du doigt cette pratique : « Ses prix bas (Amazon), ses promotions quotidiennes, poussent à la surconsommation et contribuent à la hausse des émissions de CO2 en démultipliant l’extraction des ressources, les transports par bateaux, avions ou camions. »

« Doit-on changer de téléphone toutes les années ? s’interroge Antoine de Salins. La population mondiale doit redécouvrir son mode de consommation. » Des produits de meilleure qualité doivent être mis sur le marché par les fabricants. Il faut dépasser la vision productiviste du « tout jetable » pour favoriser l’allongement du cycle de vie des objets vendus. Cette modification permettrait d’alléger fortement l’étreinte exercée par notre mode de consommation sur l’environnement. La totalité des ressources que la terre est capable de produire en une année a été consommée en seulement sept mois en 2019, soit au 29 juillet. En 1970, ce jour de dépassement se datait au 29 décembre.

Par ailleurs, la crise actuelle a prouvé qu’en cas d’urgence, les pouvoirs publics sont capables de mobiliser des sommes gigantesques. Parallèlement, les critères de convergence de la zone euro – qui contraignaient les Etats membres à travers l’interdiction d’avoir un déficit public annuel supérieur à 3 % du PIB, et une dette publique supérieure à 60 % du PIB – ont littéralement explosé.

Des investissements publics massifs pourraient permettre de relancer des services publics, des transports propres, l’entretien de l’environnement, le traitement des déchets hors de la logique marchande et de rentabilité impulsée par le capitalisme. En imposant la fermeture des industries polluantes, le chômage frappera très probablement les salariés de ces secteurs. Dans le même temps, l’Agence de la transition économique française met en avant la création de 900 000 emplois dans l’économie verte d’ici 2050.

Le gouvernement doit pouvoir garantir un emploi pour ces salariés propulsés au chômage : « La boussole des politiques doit être celle de l’emploi. Il n’est pas question de sortir tous les emplois de la logique marchande. En revanche, il faut développer un secteur d’économie social à l’intérieur de l’économie capitaliste », considère Patrick Criqui.

L’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » propose une première vision de cette garantie. Ce dispositif est lancé sur dix territoires, de 5 000 à 10 000 habitants. Sur chaque territoire, des entreprises à but d’emploi et non lucratives (EBE) voient le jour. Ces EBE identifient les besoins du territoire sur lequel elles sont présentes et les compétences des personnes sans emploi. Des postes sont créés dans les domaines à forte utilité sociale et écologique que le secteur financier estime non rentable.

Sortir des économies polluantes

En opposition, les marchés, les banques, et le secteur financier décident de l’allocation des investissements. Tous secteurs non rentables sont laissés de côté.

Ce système a permis à de nombreux acteurs financiers d’émerger. BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs du monde détient plus de 7 000 milliards d’euros d’actifs en gestion. Le mastodonte des finances surpasse de loin le PIB d’un grand nombre de pays développés. Par comparaison, celui de la France atteint 2 500 milliards d’euros, tandis que celui de l’Allemagne s’élève à 3 500 milliards.

Son pouvoir est immense. Il détenait 1.9% du Cac 40 fin 2017 avec une participation à hauteur de 5% dans près de vingt multinationales françaises. En Août 2018, l’encours de la dette française possédée par BlackRock s’évalue à 32 milliards de dollars (30 milliards d’euros). De quoi influencer les gouvernements du monde entier ?

Récemment, la multinationale américaine est nommée conseiller de la Commission européenne sur les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance. Paradoxalement, Blackrock investit massivement dans les secteurs très polluants. Il détient plus de 87 milliards de dollars de part des entreprises d’énergies fossiles.

En 2019, Blackrock dispose par exemple de 6.3% du capital de Total. Dans une lettre, Larry Fink, président et directeur général de l’entreprise, affirme s’orienter vers de « l’investissement durable » et « un capitalisme plus durable et inclusif. » Quelques jours plus tard, il est accusé de tenir un double discours. Selon le Financial Times, son entreprise se serait opposée aux résolutions demandant à Woodside Energy et Santos – deux compagnies pétrolières australiennes – de s’aligner avec les accords de Paris et de dévoiler leurs actions de lobbying. En janvier 2020, sur ses 7 000 milliards d’actifs, 0.8% est investi dans des fonds comportant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), soit 56 milliards.

En France, les quatre principales banques – BPCE, BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale – continuent elles aussi de financer le pétrole et le gaz de schiste. Entre 2016 et 2019, 24 milliards d’euros ont été injectés dans l’exportation, la production et le transport de ces matières premières. D’ailleurs, c’est en 2019 que ces quatre banques ont investi le plus dans la production de pétrole et de gaz de schiste. Dans un communiqué, Natixis, du groupe BPCE, a assuré cesser le financement de tous les projets et entreprises dont plus de 25% de leur activité se base sur « l’exploration et la production de pétrole et de gaz de schiste. »

Les effets du changement climatique sont irréversibles, cumulatifs et systémiques. Sans cesse repousser à demain les actions en matière de climat amplifie de manière significative le problème. L’inaction pourrait engendrer des dégâts majeurs et irréversibles, ce que démontre une étude très inquiétante publiée en 2018 dans « nature climate change. »

Les alarmes ne manquent pas : incendies en Australie et en Californie, inondation dans le Var, coronavirus tel que le Covid-19 en 2003 (SRAS CoV 1), ou encore un dixième mois d’affilée avec des températures moyennes au-dessus des normales.

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