Confinement oblige, de nombreux salariés se retrouvent forcés à travailler de leur domicile. Employeurs peu soucieux du respect du Code du Travail et employés laissés à l’abandon entre quatre murs, le confinement peut être une aubaine pour certains patrons de faire fi des droits salariaux.
25 % des adultes sont actuellement en télétravail selon Le Monde. Le télétravail n’est pas accessible pour tout corps de métier, notamment pour les métiers qui font fonctionner le pays. Pour Hadrien Clouet, sociologue du travail spécialiste du télétravail, « cela ne peut pas devenir une norme. Il y a encore une proportion importante de personnes qui se rendent sur le lieu de travail. Les conditions d’exercice de l’activité sont hétérogènes, dans l’industrie, l’agriculture, où le télétravail est impossible. »
Le domaine relatif aux services est quant à lui le premier à s’emparer du travail à distance. Des inégalités d’emploi émergent : « Des salariés s’adaptent plus facilement en réorganisant leur journée de travail, et d’autres qui ne sont pas compétents pour utiliser des logiciels informatiques. On a un ajout de temps de travail non payé où ces travailleurs seraient constamment en flux tendu. »
Le principal enjeu du télétravail repose sur l’absence de distinction entre le temps de travail et celui de la vie privée. « Cette porosité entre vie professionnelle et vie de famille est un souci majeur. L’allongement du temps du travail repose sur un flou de ce qui relève du travail et ce qui n’en relève pas. Le travail à domicile est plus coûteux que le travail en entreprise », explique Hadrien. L’inégalité face à cette solution d’urgence met à mal les salariés, n’ayant aucun recours face aux difficultés rencontrées : « Ils sont individualisés et seuls devant leurs problèmes », ajoute le sociologue.
Stratégie de profit
« Aujourd’hui c’est le patron qui devient décideur en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail »,déclare Gérard Filoche, inspecteur du travail. « Certaines entreprises n’ont pas le souci de faire respecter le Code du travail, mais ont tendance à en profiter. Il faut voir le télétravail comme une stratégie pour faire du profit dans certains secteurs », explique Hadrien Clouet. Pour lui « il y a une non-volonté du cadre patronal de s’occuper de ça. »
Au cours des différents entretiens qu’il a réalisés avec des salariés, « c’est une préoccupation qui revient très peu. » Ces derniers n’ont pas de recours face à cette nouvelle instrumentalisation de la crise, venant des employeurs.
Le seul recours étant celui de l’Inspection du travail, mise à mal par le pouvoir exécutif et les mesures sanitaires : « Cela devient difficile d’effectuer ce contrôle parce que l’inspection du travail n’est pas sur le terrain. D’autant plus que la ministre consacrait beaucoup d’énergie à limiter les missions des inspecteurs. Il y a un choix politique de ne pas réguler ce qu’il se passe en ce moment », dénonce le sociologue.
Recours aux droits entravé
Pour Gérard Filoche : « Le risque de non-respect du droit du travail et des obligations de protection des droits des salariés est grand aujourd’hui. » Certains employeurs semblent avoir pris des mesures, selon Hadrien Clouet : « Des employeurs assurent des horaires fixes pour tout ce qui est communication d’entreprise, ils chassent les communications du week-end, ou limitent les envois mail à des horaires ouvrables. Certains bloquent les accès à des boites mail professionnelles en dehors des horaires de travail. »
Mais pour ceux dont l’employeur n’aurait pas pris ces dispositions, le recours à l’inspection du travail relève du parcours du combattant : « C’est extrêmement difficile actuellement. L’unité départementale du ministère du Travail n’a pas communiqué sur l’adaptation de l’activité des inspecteurs », explique le spécialiste du travail à distance.
Non seulement la démarche n’est pas facilitée, mais elle est même empêchée : « Quand on sait que les mails et appels des salariés ne sont pas redirigés vers les inspecteurs du travail, on se doute d’une volonté politique. Seuls les salariés ayant déjà eu affaire à des inspecteurs peuvent faire valoir leurs droits », selon Hadrien Clouet.
Une solution : les syndicats professionnels. Dans les faits, eux seuls peuvent servir d’intermédiaire pour faire remonter les entorses au Code du travail. Selon le sociologue : « La présence syndicale est cruciale à l’heure actuelle, pour garantir l’accès aux droits. Cela devient une passerelle essentielle sans laquelle il est peu envisageable d’avoir accès à l’inspection du travail. » Il ajoute que cette activité était déjà fortement« dématérialisée avant le confinement. »
Étudiante en journalisme, avec une licence en Science Politique, je cherche à comprendre ce(ux) qui m'entoure(ent)