En Arabie saoudite, le nouveau coronavirus impacte les projets voulus par le Prince héritier Mohammed ben Salmane pour diversifier l’économie saoudienne. Le Plan Vision 2030 et le tourisme religieux en font partie.
« Quand on parle de l’Arabie saoudite, on est tous concerné ». C’est Clarence Rodriguez, une journaliste ayant vécu douze ans en Arabie saoudite qui l’affirme. En tant que nouvelle puissance du monde arabo-musulman, le royaume qui prône le wahhabisme (sunnisme hanbalite) est un pion essentiel de l’économie mondiale, ne serait-ce que par sa puissance pétrolière. Une économie qui vise à se diversifier, comme l’en atteste le Plan Vision 2030 que s’est fixé pour objectif le Prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, arrivé aux commandes du royaume en juin 2017.
Un projet pharaonique qui vient de subir un coup d’arrêt en raison de la pandémie de coronavirus qui sévit actuellement. Riyad fait officiellement état de 121 décès (provisoirement) du Covid-19, les cas confirmés sont au nombre de 13 930 (source Johns Hopkins University). Selon Philippe Pétriat, maître de conférences en histoire contemporaine, le nouveau coronavirus a forcé le retour de l’Etat saoudien au premier plan dans la société civile.
« L’Etat réaffirme son rôle protecteur »
« Cela permet à l’Etat dans un système de réformes profondes et libérales, de réaffirmer son rôle. Depuis cinq-six ans, on parle de privatiser, d’alléger la fonction publique. Là tout d’un coup, l’Etat réaffirme son rôle protecteur. Le roi Salmane, dans un discours assez paternaliste le 19 mars dernier, a pris la décision de financer lui-même les frais de traitement de tous les malades du coronavirus en Arabie saoudite, qu’ils soient étrangers ou saoudiens », explique ce spécialiste de l’Arabie saoudite.
Un engagement de l’Etat qui n’est pas vraiment en accord avec le Plan Vision 2030 que « MBS » a déjà vanté plusieurs fois lors de ses déplacements à l’étranger ou lors du « Davos du désert », un rassemblement économique pour attirer les investisseurs, lancé par Riyad sur le modèle suisse. Un plan « très libéral […] qui encourage le secteur privé notamment Aramco (compagnie nationale d’hydrocarbures) », détaille M. Pétriat.
Qui dit projet, dit moyens. Un facteur clé dont le Prince héritier risque de manquer en raison de la crise sanitaire actuelle, qui a considérablement fait baisser le prix du baril de pétrole. Une donnée qui représente 70% du budget de l’Etat saoudien, et vitale pour financer les grands travaux voulus par Mohammed ben Salmane. « C’est une dépendance aux hydrocarbures », précise M. Pétriat. « Autant l’Irak ce n’est quasiment que du pétrole brut, autant l’Arabie saoudite dans ce chiffre, c’est une très grosse industrie pétrochimique. Il y a donc une bonne part de pétrole déjà industriel (plastique). Et ils raffinent très bien. »
Pour Clarence Rodriguez, correspondante permanente pour Radio-France à Riyad jusqu’en 2017, les autorités saoudiennes veulent sortir de l’Etat-providence actuel. « Quand j’ai connu le pays (elle est revenue en 2017), les Saoudiens étaient sous perfusion de l’Etat. Ils ne payaient pas l’eau, l’électricité. Concernant l’essence, je m’en souviens, on faisait un plein de 4×4 pour même pas dix euros. »
Une volonté de réformer qui s’explique aussi par la chute du baril de pétrole depuis 2014. Année durant laquelle les autorités saoudiennes prennent conscience de la nécessité de tertiariser et diversifier l’économie de ce pays de 33 millions d’habitants.
Le tourisme religieux impacté
Selon cette spécialiste de l’Arabie saoudite, le nouveau coronavirus annule la deuxième source de revenus du royaume saoudien : le tourisme religieux. Les pèlerinages représentent en effet « des millions de musulmans qui viennent aussi bien pour le ‘hajj’ (grand pèlerinage) que la ‘omra’ (petit pèlerinage). Ils ont été annulés. Ce sont donc plusieurs dizaines de milliards de dollars en moins et cela aggrave encore plus la crise économique. »
Dans le cadre du Plan Vision 2030, Clarence Rodriguez précise que Mohammed ben Salmane pensait augmenter le nombre de pèlerins venus de l’étranger : « Ils seraient passés de 9 à 30 millions d’ici à 2030 ». Grâce aux villes saintes saoudiennes, le Prince héritier souhaite donc accroître les revenus liés au tourisme religieux pour atteindre ses ambitieux objectifs économiques.
Les deux sources majeures de revenus du royaume wahhabite sont donc sérieusement impactées et réduites par le Covid-19. Coronavirus ou non, la journaliste estime que le Plan Vision 2030 sera très difficile à atteindre pour le jeune souverain. « Il va trop vite. Ce plan sera très difficile à réaliser car on est dans un pays très conservateur et qu’il bouscule les mentalités séculaires à l’intérieur du royaume. Non seulement la population saoudienne a peur, mais les investisseurs étrangers sont également circonspects. »