Des militaires français du 126e régiment d'infanterie accompagne une patrouille malienne dans le sud du pays en mars 2016. @Wikipedia Creative Commons

Depuis le mois de mars, la force française présente au Sahel dans le cadre de l’opération Barkhane [20 ans de conflit au Sahel*] fait face à une nouvelle menace : le risque d’une propagation du Covid-19 dans les bases avancées en Afrique.

Ce jeudi 23 avril, le ministère des Armées dénombrait 1 500 cas confirmés de coronavirus parmi son personnel. Plus d’un millier seraient apparus à bord du Charles de Gaulle. Au sein du contingent de 5 100 militaires au Sahel, la situation serait contrôlée, selon l’état-major des armées, contacté par mail. « Quelques cas de Covid-19 ont été identifiés et placés en isolement sous surveillance. Après l’identification des premiers cas, entre fin mars et début avril, les militaires contaminés par le Covid-19 ont été rapatriés pour être pris en charge en France. »

Désormais, de nouvelles mesures sanitaires doivent être prises pour éviter la transmission du virus entre les militaires et les populations civiles. Mais l’armée estime ce risque « compatible » avec la poursuite des opérations militaires au Sahel. Pour le général Didier Castres qui a dirigé les opérations en Afrique jusqu’en 2018, c’est une nouvelle préoccupation pour l’armée qui nécessite de nouvelles mesures d’hygiène, qui ne sont pas applicables tout le temps. « Le métier nous impose de prendre des risques. Lors d’une opération de terrain, la distanciation sociale entre les militaires n’a pas de sens. Il est impossible d’avoir un mètre de distance dans un blindé. Même chose pour les opérations aéroportées, un siège sur deux dans un avion militaire, ce n’est pas crédible. »

Le 10 avril, Florence Parly, ministre des Armées a également annoncé envisager de retarder la relève des contingents du Sahel « d’un ou deux mois si la crise sanitaire se poursuivait jusqu’à l’été ». L’état-major des armées évoque également la « mise en quatorzaine des personnels entrants et sortants, avant leur départ et à leur arrivée » afin de limiter la propagation du virus.

Pour le moment, le coronavirus est très peu présent dans les pays du Sahel avec quelques centaines de cas déclarés [Niger : 671 cas et 24 morts. Burkina Faso : 616 cas et 41 morts. Mali : 309 cas et 41 morts. Tchad : 40 cas et aucun mort. Mauritanie : 7 cas et 1 mort]. Au nord, les pays du Maghreb, premier foyer de la pandémie en Afrique, comptabilisent cependant des milliers de cas. 

Une préoccupation supplémentaire qui fragilise les Etats

Cette pandémie se superpose à une défaillance sécuritaire des États de la région. Ce contexte pourrait permettre aux groupes terroristes [Aqmi dans le Sahel et Boko Haram autour du lac Tchad] de s’emparer de la situation pour passer à l’action. De nombreuses attaques ont été orchestrées depuis le début de la propagation du Covid-19. Le 23 mars, le Tchad subit une attaque meurtrière de Boko Haram à sa base militaire de Bohoma. Près d’une centaine de soldats périssent. En parallèle, au Mali, le 19 mars, les forces armées maliennes font l’objet d’une attaque terroriste dans la commune de Tarkint. Le bilan est lourd : 29 morts et 5 blessés.

Selon l’état-major des armées, « la pandémie de coronavirus n’a pas diminué les menaces sur le plan sécuritaire, et pourrait même constituer un facteur aggravant ». Dans cette situation, la force Barkhane continue de poursuivre ses différentes missions de lutte contre les groupes armés terroristes au Sahel. « À ce stade, les opérations se poursuivent à un rythme qui demeure élevé, dans la continuité des actions conduites ces derniers mois », affirme l’état-major des armées.

Du 3 au 23 mars, la force Barkhane, conjointement avec les forces armées maliennes et nigériennes ont lancé l’opération Monclar dans la région des trois frontières. 1 700 soldats de la force Barkhane, 1 500 soldats de la force conjointe du G5-Sahel et 1500 soldats des forces armées nigériennes ont « neutralisé » ensemble « un grand nombre de terroristes », sans indiquer de chiffres exacts. Ils affirment dans un communiqué avoir détruit 80 motos, un pick-up armé d’une mitrailleuse lourde, une très grande quantité d’armements, de munitions, de matériel nécessaire à la confection d’engins explosifs, et de matériel de guerre en tout genre.

De son côté, en réponse aux massacres au Tchad à l’encontre de l’armée, le président tchadien, Idriss Déby lance l’opération « colère de Bohoma » le 29 mars. Quatre jours plus tard, l’armée Tchadienne prétend avoir éliminé 1 000 djihadistes. Sur son compte Twitter, le président tchadien félicite ses troupes : « Aucun élément de Boko Haram n’est présent dans les îles du Lac Tchad. Bravo à nos Forces de Défense et de Sécurité qui ont nettoyé toute la zone insulaire. »

Le 16 avril, 44 détenus présumés membres de Boko Haram sont retrouvés morts dans une prison de N’Djamena. Le procureur de la République dément les rumeurs de mauvais traitements. Seuls quatre des corps ont pu être autopsiés, le procureur affirme que la putréfaction a précipité l’enterrement des autres cadavres. « Ça demeure encore dans le secret de Dieu (…) L’enquête pourra le déterminer. Je ne peux pas mettre la charrue devant les bœufs » a-t-il déclaré au site d’information Alwihda Info.

Une coopération Africaine tourmentée

Lors du Sommet de Pau en janvier dernier, les alliés français au Sahel avaient décidé d’établir une coopération plus soutenue.

Mais, le 10 avril, le président tchadien met à mal les dispositions mises en place lors du sommet en France. S’estimant lésé par ses alliés lors de l’opération « colère de Bohoma », Idriss Déby annonce « qu’aucun soldat tchadien ne participera à une opération militaire en dehors du Tchad. Nous nous sommes battus seuls aux confins du lac Tchad sans l’apport des pays censés nous aider. »

Au sein des pays membres du G5-Sahel, l’armée tchadienne apparaît comme la seule « qui tient debout », affirme Abdou Fleur, fondateur du Réseau Afrique Stratégie, diplômé en diplomatie de crise et fonctionnaire au consulat du Sénégal. Le retrait des forces tchadiennes des opérations au Sahel serait une « catastrophe. L’armée malienne est à faire, ou à refaire, l’armée nigérienne pareil. Sans l’armée tchadienne, il n’y aura plus de G5-Sahel », confie-t-il.

Sur son compte Twitter, Florence Parly, ministre des Armée, a nuancé la décision de retrait d’Idriss Déby. Après un entretien téléphonique avec son homologue tchadien, Mahamat Abali Salah, elle assure que « Le Tchad continue ses efforts en déployant un bataillon dans la zone des trois frontières au sein du G5-Sahel. Un engagement concret dans l’esprit du sommet de Pau. »

L’après-crise effraie le diplomate sénégalais. « Moins de moyens seront mis à disposition de la lutte contre le terrorisme au Sahel. L’après-crise risque d’être difficile pour les pays du Sahel. Je pense que l’on s’occupera davantage de comment combler les pertes économiques que de financer la sécurité au Sahel. Il faut que les États africains soient autonomes. Pour moi, il faut un commandement unifié, porté par l’Union africaine. En réalité, le G5-Sahel se cherche encore. »

*20 ans de conflits au Sahel 

Depuis août 2014, la France déploie ses troupes dans les pays du Sahel. Cette opération, nommée « Barkhane » vise à stopper l’avancée des groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda au Sahel.

À partir de 2003, un nouveau foyer islamiste émerge dans le sud de l’Algérie. Ces djihadistes, formés pendant la guerre civile algérienne, s’implantent dans le désert du Sahel où ils diffusent l’islamisme radical. Plusieurs groupes maliens se forment à leur tour, armés grâce à la contrebande et aux rançons obtenues contre la libération d’otages. Bientôt ces groupes s’allieront autour de la bannière d’Al-Qaïda et forment Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

En septembre 2010, sept employés de la société française Areva qui exploite les gisements d’uranium d’Arlit, sont enlevés lors d’une opération au Niger. Les otages sont rapidement emmenés au Mali, où les militaires perdront leur trace jusqu’à leur libération trois ans plus tard. En parallèle, l’armée malienne se retrouve en déroute et quitte le nord du Mali dès 2012, défaite par les groupes djihadistes et rebelles touaregs indépendantistes. L’année suivante, la France déclenche l’opération Serval au moment où l’alliance salafistes djihadistes du nord du pays tente de s’emparer du sud.

« Qu’allons-nous faire des terroristes? Les détruire », déclare François Hollande le 15 janvier 2013 à la presse. La France n’a alors « pas vocation à rester au Mali », mais certains commentateurs politiques s’estiment déjà sceptiques quant à l’ambition d’une victoire rapide. Pour Dominique de Villepin, ancien ministre des Affaires étrangères, « aucune des conditions de la réussite n’est réunie ». Il dénonce notamment un partenaire malien instable politiquement et un manque d’appui régional.

En juillet 2014, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, annonce la clôture de l’opération Serval et son remplacement par l’opération Barkhane. Celle-ci couvre désormais l’ensemble des pays du Sahel, de la façade atlantique de Mauritanie jusqu’au Tchad.

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